De Peirce et Freud à Lacan Michel Balat S-Revue européenne de sémiotique, 25 pa
De Peirce et Freud à Lacan Michel Balat S-Revue européenne de sémiotique, 25 pages, 1989. Nous voudrions, au cours de ces quelques pages, présenter et développer quelques éléments de notre thèse1 portant sur les rapports entre Sémiotique et Psychanalyse. Psychanalyse et psychologie: le signifiant Si le socle théorique de la psychanalyse est solidement constitué par l'oeuvre de Freud et de son école, il n'en est pas moins vrai que les développements actuels qui en ont jailli ne sont pas nécessairement dans le droit fil de la pensée freudienne, du moins si l'on en juge par les appréciations que portent les uns sur les autres les différents courants se réclamant de l'oeuvre du maître2. Il nous semble indéniable que le grand apport a la psychanalyse post-freudienne, tant sur le plan de la théorie que de la pratique analytique, a été le fait de Jacques Lacan. Non que nous tenions pour négligeables les élaborations d'auteurs comme M. Klein, D. Winnicott, par exemple, dont les oeuvres sont riches et stimulantes. Mais Lacan a pour lui d'avoir repris dans son articulation d'ensemble le propos freudien, essayant à la fois d'intégrer à celui-ci des éléments significatifs des sciences modernes et de le prolonger en tenant compte des progrès de la clinique (que l'on songe ici, par exemple, à la "transmutation" en "objet petit a" qu'il va faire subir à l'"objet transitionnel" de Winnicott). Nous ne pourrons négliger le fait que ce programme lacanien s'est développé en réaction à la transformation de la psychanalyse en orthopédie du "moi". Quel fut alors le point d'attaque primordial de ce que nous pourrions appeler l'"insurrection lacanienne"? Partant de la définition du signe saussurien comme d'une entité à deux faces, signifiant et signifié, il va d'emblée mettre l'accent sur la distinction de ces deux termes en insistant sur la barre qui sépare signifiant et signifié dans l'"algorithme" S/s. Dès lors, il va en quelque sorte "autonomiser" le signifiant pour en faire ce par quoi le sujet - comme sujet de l'inconscient - va se soutenir, c'est- à-dire à la fois se faire représenter et accéder, dira-t-il, à l'ek-sistence, sur "une autre scène".3 C'est en quoi Lacan nous plonge directement dans la sémiotique, ou tout au moins dans la linguistique, faisant de l'étude du signifiant et de ses avatars, une des clés de la théorie. Freud avait constitué la psychanalyse comme une branche de la psychologie, dès lors 1 La triade en psychanalyse: Peirce, Freud et Lacan, de Michel Balat. Thèse de Doctorat d'Etat es- Lettres. Publiée sous le titre Des Fondements sémiotiques de la psychanalyse, L’Harmattan, 2000. 2 On pourra se reporter par exemple à La saga freudienne de Paul Roazen (1986) ou à La bataille de cent ans d'Elisabeth Roudinesco (Tome 1, 1982; Tome II, 1986). 3 "L'instance de la lettre dans l'inconscient" in Ecrits, Lacan, p.ll. que celle-ci accepterait de cesser d'identifier psychique et conscient. On sait même qu'il rédigea, aux premier temps de son élaboration, un essai de psychologie scientifique4. Cette tentative n'eut guère de suite et, à côte de l'enrichissement de la clinique psychanalytique, Freud se consacra par la suite à la constitution d'une "métapsychologie". Or les développements de la psychologie ont rendu le point de vue freudien problématique: en tout état de cause les rapports psychanalyse/psychologie ne sauraient être analysés en termes d'inclusions.5 Lacan va apporter des éléments de solution concernant la place de la psychanalyse. Pour lui (tout au moins dans un premier temps), c'est le pur jeu du signifiant qui fonde l'inconscient et le sujet. Le signifiant étant un des éléments-clé de la linguistique, c'est donc à celle-ci comme science que la psychanalyse fait appel pour se constituer. Il ne relèvera pas le fait que, pour Saussure, la linguistique, comme branche spéciale d'une Sémiologie qui l'englobe, est partie intégrante de la Psychologie, et que dès lors il y a sans doute quelque petitio principii dans le fait de s'appuyer sur le signifiant pour fonder le "sujet" de la psychologie. Ceci montre que Lacan avait dès l'origine l'intention de garder les mains libres vis-à- vis de cette linguistique ou de cette sémiologie. Il l'a largement prouvé par la suite. Parvenu à la maturité de son élaboration, Lacan reconnaîtra que cette théorie ne lui a pas permis d'aller aussi loin qu'il l'aurait désiré, réduisant dès lors l'ensemble des emprunts qu'il lui avait fait a ce qu'il appellera une "linguisterie". A notre sens il y a un quiproquo au point de départ de la théorie lacanienne du signifiant: il s'agit de la confusion entre le signifiant conçu, défini, comme un des sujets de la dyade signifiant/signifié - dans laquelle le signe paraît trouver son unité -. et le signifiant comme un des sujets de la triade signifiant/sujet (de l'Ics)/autre signifiant. Certes Lacan tentera d'établir la barre qui sépare S et s comme un tiers terme dans la définition du signe, mais on ne transforme pas ainsi la logique interne dyadique de la théorie tirée des leçons de Saussure en une logique triadique, qui est celle dans laquelle à l'évidence il se trouvait. Nous pouvons même ajouter qu'il reçoit cette logique de Freud, pour qui, si l'on peut dire, les bonnes bases d'une théorie vont toujours par trois: Ics, Pcs, Cs, ou Moi, Ça, Surmoi, ou même Inhibition, Symptôme, Angoisse. On pourrait comprendre alors que nous nous soyons tourné vers le penseur de la logique triadique et père de la sémiotique moderne, Peirce6, afin de voir s'il n'était pas possible de reconsidérer la tentative lacanienne à l'aide des développements de la sémiotique. Nous nous sommes dès lors peu préoccupé de ce qu'on appelle la Sémiologie qui se donne comme la généralisation à l'étude des signes des outils de la linguistique dyadique saussurienne. La sémiotique peircienne: la sémiose On sait que la sémiotique peircienne se définit comme une théorie des inférences des 4 "Essai de psychologie scientifique" in La naissance de la psychanalyse, Freud. 5 Cf. par exemple Métapsychologie, Freud. 6 On pourra consulter, pour un panorama des idées de Peirce, les Ecrits sur le signe, présentés et commentés par Gérard Deledalle. signes à partir des signes, c'est-à-dire une théorie de la sémiose7. On trouvera donc chez Peirce une définition triadique du signe in abstracto, mais aussi une conception de la dynamique du signe, à savoir la sémiose. Cette définition amène Peirce à forger le terme de "representamen" par lequel le signe, réalité multiforme, va trouver l'unité d'un tout dans le champ de la représentation. Le representamen sera un des sujets d'une relation triadique authentique, dont le deuxième sujet sera l'objet du signe, et le troisième un "interprétant", c'est-à-dire un autre signe du même objet. Cet interprétant devient à son tour representamen dans une relation triadique semblable à la première, produisant ainsi un autre interprétant. Ce que nous pouvons exprimer sous la forme du diagramme de la figure I. Utilisez Word 6.0c (ou ultŽrieur) pour afficher une image Macintosh. Que l'interprétant ne soit pas conçu comme l'interprète et nous voici placé devant une nouveauté dans ce champ: puisqu'il n'est fait aucunement appel au sujet de la psychologie dans cette définition du signe, peut-être va-t-elle pouvoir nous permettre de le fonder. C'est ce que nous nous efforcerons de montrer, à la suite de Lacan. Cette définition a pour autre conséquence le fait que ce processus est ad infinitum. Bien entendu, il n'est alors "que" potentiel: ce caractère infini le montre à l'évidence. La sémiose actuelle, c'est-à-dire celle qui a une forme d'"heccéite", ne saurait être décomposable en une infinité d'actes, fussent-ils triadiques. Enfin, soulignons aussi que le jeu des déterminations intervenant dans la sémiose fait que R (le representamen) représente O (l'objet) "pour" I (l'interprétant). Qu'est-ce à dire, sinon que I a aussi pour objet ,d'un certain point de vue, le representamen R lui- même (ou plutôt, dira Peirce, la relation R/O8). Intervient dès lors une autre série dans laquelle I, comme representamen, représente R (ou R/O) pour un autre interprétant I'. Nous pourrions représenter comme sur la Figure II le diagramme du processus d'ensemble. 7 Cf. "Quelle philosophie pour la sémiotique peircienne? Peirce et la sémiotique grecque" de Gérard Deledalle in Semiotica 63 - 3/4 (1987), pp. 241-751. 8 Cf. 2-274 (pages 185/187 de la thèse citée). Le premier nombre indique le numéro du tome des Collected Papers de Peirce, le second, le numéro du paragraphe dans le tome. Utilisez Word 6.0c (ou ultŽrieur) pour afficher une image Macintosh. Ce processus potentiel est donc une structure en réseau triadique assez complexe, comme une sorte de toile d'araignée. On pourra en trouver une représentation en un diagramme non-linéaire dans la figure III. Utilisez Word 6.0c (ou ultŽrieur) pour afficher une image Macintosh. Quelle que soit la forme que nous donnions au diagramme — et nous utiliserons de préférence ici celui de la figure II —, on peut y voir trois niveaux: deux parties séparées par une frontière. Une partie "fixe". domaine de l'objet — invariant dans la sémiose, domaine de la détermination du signe —, une partie efflorescente, domaine des interprétants, de la surinterprétation, que nous pourrions encore qualifier uploads/Philosophie/de-peirce-et-freud-a-lacan.pdf
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- Publié le Jui 13, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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