Économie et institutions 25 | 2017 Varia Futurité, origine des institutions éco
Économie et institutions 25 | 2017 Varia Futurité, origine des institutions économiques Futurity, origin of the economic institutions Jean-Jacques Gislain Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/ei/5828 DOI : 10.4000/ei.5828 ISSN : 2553-1891 Éditeur Association Économie et Institutions Référence électronique Jean-Jacques Gislain, « Futurité, origine des institutions économiques », Économie et institutions [En ligne], 25 | 2017, mis en ligne le 20 décembre 2017, consulté le 10 décembre 2020. URL : http:// journals.openedition.org/ei/5828 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ei.5828 Ce document a été généré automatiquement le 10 décembre 2020. Revue Économie et institutions Futurité, origine des institutions économiques Futurity, origin of the economic institutions Jean-Jacques Gislain Je remercie Sylvie Morel, Bruno Théret et les évaluateurs de la Revue pour leurs remarques pertinentes. La futurité est le principe le plus important de l’économie. (Commons 1934b, 125) Le temps est totalement institutionnel. (Commons 1934a, 642) 1 Les théories des institutions économiques se posent rarement la question de l’origine de ces institutions et la plupart les construisent sur la base de leur secondarisation par rapport à une instance première qu’il faudrait « réguler » : le Marché, le Mode de production capitaliste, le Système social. Seule l’approche institutionnaliste, en particulier celle de John Rogers Commons (1862-1945), conçoit l’activité économique comme d’abord instituée. La question de l’origine des institutions économiques est alors première dans la compréhension de l’activité économique. La réponse à cette question à partir du principe de futurité, compris comme construction sociale de la temporalité économique, permet alors d’analyser l’origine des institutions économiques. Ces dernières, dans le capitalisme, ont la particularité de libérer la futurité économique plutôt que de chercher à la sécuriser le plus possible comme c’était le cas dans les sociétés traditionnelles. Ceci donne au capitalisme une temporalité économique bien spécifique. 2 Dans une première section, est examinée la capacité respective des diverses approches économiques à rendre compte de l’origine des institutions économiques. Il en ressort que l’approche institutionnaliste de Commons est la plus apte dans cette tâche. La deuxième section met en évidence le rôle crucial de la temporalité quant à l’origine des institutions économiques. Il est alors montré que le principe de futurité proposé à cet effet par Commons est particulièrement pertinent. La troisième section montre comment le Futurité, origine des institutions économiques Économie et institutions, 25 | 2017 1 principe de futurité imprime un genre de causalité spécifique, la causalité institutionnelle, à l’œuvre dans l’activité économique. Enfin, dans une dernière section, il est montré comment les institutions centrales du capitalisme moderne que sont la monnaie de crédit et le capital intangible ne sont compréhensibles qu’à l’aune du principe de futurité. 1. Institution de l’activité économique 3 À l’exception de l’institutionnalisme des origines (T. Veblen, J.R. Commons), les théories économiques qui s’intéressent aux institutions économiques postulent généralement l’antériorité logique d’une instance – le Marché, l’infrastructure du Mode de production, le Système social, etc. – sur ces institutions. Celles-ci sont alors posées déductivement en rapport, et souvent en opposition, à cette instance plus « naturelle » (le Marché), plus « historique » (le Mode de production) ou plus « générale » (le Système social)1. 4 Pour rendre compte de l’origine des institutions économiques, les théories économiques à méthodologie néoclassique mettent de l’avant les « défaillances » du Marché (l’information imparfaite et les interactions stratégiques chez les nouveaux keynésiens ; les coûts de transaction chez les néo-institutionnalistes) ou son « incomplétude » (le manque d’information et de coordination chez les conventionnalistes). D’autres théories, plus sociologiques, invoquent, pour expliquer ces institutions, une contrainte positive de l’« évolution » (le passage du statut au contrat chez H. Spencer 1862) ou normative de « solidarité » (la corporation chez E. Durkheim 1894) nécessaire à l’existence du Marché. D’autres encore présentent les institutions comme des réponses fonctionnelles requises par le Système social (Parsons, 1951). Dans le prolongement de l’analyse marxienne, certaines théories expliquent l’existence des institutions économiques comme des formes d’adaptation du Mode de production capitaliste aux conditions historiques du moment (l’École de la Régulation, Boyer & Saillard 2010), et ceci selon la variété des circonstances nationales (Hall & Soskice 2001, Amable 2003). L’une des grandes originalités de l’institutionnalisme, et c’est en cela que son appellation est justifiée, a été de rompre avec la secondarisation analytique des institutions économiques et de placer ces dernières au premier rang de l’analyse économique. Il ne s’agit plus de rendre compte de pourquoi et comment les institutions régulent une instance qui leur serait première (et primitive ?), mais plutôt de comprendre pourquoi et comment les institutions économiques instituent l’activité économique. 5 Dans cette dernière optique, l’institutionnalisme doit donc reprendre à son fondement la question première de l’intelligibilité de l’institution de l’activité économique. Pour construire une telle théorie économique institutionnaliste il est alors nécessaire d’élaborer une théorie de l’action économique sur laquelle s’appuyer. 6 La théorie dite de l’action rationnelle n’est pas pertinente pour cette tâche (Guerrien & Benicourt 2008, Keen 2011). Sauf à tomber dans les paradoxes et les incohérences du néoclassicisme, l’institution ne peut être fondée sur les ruses de la raison qui se jouent du pauvre personnage de l’homo œconomicus. Ajouter des règles externes, les institutions, à la règle interne d’optimisation utilitariste de l’acteur économique est un procédé méthodologique inacceptable. Pour le dire différemment, ajouter des hypothèses auxiliaires ad hoc (les institutions) à une hypothèse principale (l’homo œconomicus) n’a jamais été une bonne méthode pour obtenir des conclusions qui ne peuvent être déduites Futurité, origine des institutions économiques Économie et institutions, 25 | 2017 2 de l’hypothèse principale. Ajouter des normes, règles, conventions, etc. pour « sociologiser » l’homo œconomicus et son contexte d’activité est donc une mauvaise direction. 7 Une autre orientation est, comme le propose T. Veblen (Gislain 2000b) et ses exégètes (Hodgson 2004), de multiplier les règles internes de l’acteur sous formes d’instincts issus de l’évolution adaptative des êtres humains au cours de leur longue histoire. Cette approche, fondée sur un certain darwinisme méthodologique (Gislain 2011b), peut paraître séduisante car elle échappe aux incohérences néoclassiques, mais elle se confronte elle-même à un paradoxe difficilement soutenable. En effet, outre le caractère fort discutable de l’existence de ces fameux « instincts », ceux-ci se manifestent dans la réalité économique en produisant des résultats, les institutions, ayant un contenu inverse par rapport à la logique de leurs instincts initiateurs. La mentalité dominante de l’acteur institué conduit chez lui à un comportement économique totalement opposé à ses instincts de base. La mentalité « propriétaire » et ses variations secondaires que sont la consommation et le loisir « ostentatoires » sont les institutions économiques dérivées des instincts du travail efficient, de la grégarité et de la curiosité gratuite. Comment cette dérivation-inversion peut-elle se produire ? La lecture de Veblen suggère l’existence d’un quatrième instinct ou propension perturbatrice : la rivalité. Cette dernière, exacerbée par la possibilité d’accaparement du surplus économique issu de l’exercice des trois premiers instincts, pervertirait ces derniers pour les mettre au service de la « comparaison provocante ». Les institutions économiques contemporaines seraient ainsi le résultat d’une ruse de l’évolution. Les institutions secondaires, comme la consommation ou le loisir, et tertiaires, comme le sport ou la mode (Veblen 1899), s’ajoutant aux institutions plus évoluées de la propriété, comme le capital financier (Veblen 1904), composeraient une configuration institutionnelle contemporaine dont la logique évolutive serait bien difficile à contrecarrer… sauf à puissamment réactiver la positivité sociale et économique des trois instincts fondamentaux (Veblen 1921)… dont on comprend difficilement pourquoi et comment ils ont pu, eux, ne pas évoluer positivement. 8 La théorie de l’action économique la plus intéressante pour fonder une théorie des institutions nous paraît être celle initiée par J.R. Commons (1934a)2. Cette théorie de l’action est bien, comme le propose Max Weber (1921), une théorie de l’action sociale. Elle est une action individuelle socialement construite et son mode de construction sociale réside dans le fait social, au sens durkheimien (Durkheim 1900), qu’elle est instituée. Cette institution est un processus, nous dit Commons (1934a), qui peut être analysé à partir de cinq principes, chacun d’eux permettant de rendre compréhensible une dimension de l’activité économique. Ces principes sont la rareté, l’efficacité, la futurité, la coutume et la souveraineté3. Les deux premiers ont été au fondement des théories économiques passées, le principe d’efficacité pour les théories classiques de Smith à Marx, et le principe de rareté pour les théories utilitaristes et néoclassiques. Ces théories ont été incapables de rendre compte des institutions économiques autrement, comme nous l’avons souligné plus haut, qu’en les secondarisant par rapport à une instance économique plus fondamentale, le Marché, le Mode de production ou le Système. L’activation analytique des trois autres principes est donc nécessaire pour compléter l’analyse institutionnaliste. 9 D’un point de vue logique, le principe de futurité doit être abordé en premier car il constitue, en tant qu’expression du souci humain principal qu’est la crainte concernant l’avenir incertain, l’amorce du comportement humain, et en particulier du comportement Futurité, origine des institutions économiques Économie et institutions, 25 | 2017 3 économique. Ce principe de futurité intègre, dès l’origine de la problématique du comportement économique, la question de uploads/Philosophie/ei-5828.pdf
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- Publié le Fev 12, 2022
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