INCONSCIENT ET JUSTICE Alain Juranville Presses Universitaires de France | « Ci
INCONSCIENT ET JUSTICE Alain Juranville Presses Universitaires de France | « Cités » 2003/4 n° 16 | pages 87 à 102 ISSN 1299-5495 ISBN 9782130534570 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-cites-2003-4-page-87.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Mon propos sera le suivant. Certes l’inconscient affirmé par la psychanalyse va dans le même sens que l’existence affirmée (ou supposée) par toute la philosophie contempo- raine après Hegel, depuis Schelling et Kierkegaard (voire Marx)1. Au nom de l’inconscient comme au nom de l’existence, on ne peut que récuser toute perspective – idéaliste – d’une réalisation naturelle et nécessaire de l’idée (en l’occurrence de celle, suprême, de la justice). Mais l’inconscient permet de passer outre aux conceptions qui, notamment celle de Heidegger, n’ont rien dit et n’ont rien voulu dire de la justice. Et également aux conceptions qui, après l’holocauste décisivement (mais déjà quand il s’annonçait), ont voulu réintroduire la justice, mais comme simple exigence, au risque de retomber dans une forme cachée de l’idéalisme,quecesoitl’ÉcoledeFrancfort,Lévinasetjusqu’àDerrida.L’in- conscient permet de penser la réalisation effective de l’idée de justice. Et cela par la grâce qu’il implique. Car la justice est, dirai-je, loi et en même temps vérité, vérité de la loi, la loi en tant qu’elle a à être reconstituée par chacun (nulle autre injustice que quand la loi ne peut être considérée, par celui auquel elle s’applique, comme venant de lui). Et la grâce est, dirai-je aussi, autonomie et en même temps altérité, revouloir absolument libre de 87 Inconscient et justice A. Juranville 1. Cf., à ce propos, mon ouvrage La philosophie comme savoir de l’existence, vol. 1 : L’altérité ; vol. 2 : Le jeu ; vol. 3 : L’inconscient, Paris, PUF, 2000. Cités 16, Paris, PUF, 2003 © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 06/01/2021 sur www.cairn.info par Lucas Grinstein (IP: 190.194.234.89) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 06/01/2021 sur www.cairn.info par Lucas Grinstein (IP: 190.194.234.89) l’effacement de soi comme lieu de la loi, au profit de l’Autre (ce qui permet à l’existant, en tant que cet Autre, d’être libéré de sa captation par la loi devenuefausseetdelareconstituercommevraie).Maisfaireréférenceainsià la grâce, cela conduit à donner, pour la politique, une place décisive à la reli- gion. Ce qui, à l’homme de notre monde qui est celui de la fin de l’histoire, où l’évidence traditionnelle du religieux s’est – heureusement – effacée, peut certes faire problème. Et qui devra donc être justifié rigoureusement. Mon propos comportera deux parties, avec chacune deux moments. La première partie voudrait montrer que la psychanalyse suppose la justice effectivement réalisée. Je parlerai de l’inconscient, puis de la psychanalyse. La deuxième partie voudrait montrer que la philosophie, constitutive- ment en relation avec quelque chose de l’ordre de la psychanalyse, doit elle-même – et peut, dès lors que la psychanalyse est apparue comme telle – réaliser cette justice. Et qu’elle fait alors référence à la religion, à toutes les religions universelles, les Weltreligionen étudiées par Max Weber. Je parlerai de la philosophie, puis de la religion. En chacun des moments de l’analyse, il s’agira de s’attacher, d’abord à l’idée (de l’inconscient, de la psychanalyse...), ensuite à la réalité (avec la contradic- tion radicale à laquelle alors on se heurte, qui empêche toute réalisation naturelle de l’idée et qui, de toute façon, devra être assumée), enfin à la vérité (où cette contradiction est, par la grâce, résolue). Commençons par la psychanalyse. Et partons, pour la psychanalyse, de l’inconscient dont elle est l’affirmation. D’abord, l’idée de l’inconscient. L’inconscient est ce savoir (pour Lacan, « savoir insu ») qui, par rapport à la conscience ordinaire, surgit imprévisiblement comme son Autre. Autre qui fait s’effondrer l’identité fausse de cette conscience, et qui appa- raît lui-même comme lieu premier de l’identité vraie. D’une identité qui est principe du savoir, d’un savoir certes toujours déjà là, et cependant à recréer imprévisiblement. L’inconscient comme identité d’un tel Autre retrouve alors l’existence : « Vous savez, dit ainsi Lacan de Kierkegaard, que j’ai dénoncé, comme convergente à l’expérience bien plus tard apparue d’un Freud, sa promotion de l’existence comme telle. »1 Si l’inconscient, qui est un tel savoir, peut être objectivement reconnu, c’est par le don qu’il suppose. Car il est d’abord en un Autre absolu, au- 88 Dossier : Psychanalyse et politique 1. J. Lacan, Le Séminaire, livre XXII, RSI, séance du 17 décembre 1974. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 06/01/2021 sur www.cairn.info par Lucas Grinstein (IP: 190.194.234.89) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 06/01/2021 sur www.cairn.info par Lucas Grinstein (IP: 190.194.234.89) delà de l’humain, en un Autre absolu qui veut d’emblée son ex-istence vers son Autre. Alors que le sujet humain, l’ « existant », commence par refuser cette ex-istence, d’un refus qui le caractérise comme radicalement fini. Et l’Autre absolu lui fait certes éprouver cette finitude (il est pour lui, selon Lacan, « l’Autre qui peut l’annuler lui-même »1). Mais il lui donne aussi (sinon, pas d’affirmation de l’existence ou de l’inconscient) toutes les con-ditions (con-dere, donner avec) pour, à son tour, vouloir l’existence, et reconstituer la loi, d’abord en cet Autre. Et l’inconscient comme savoir objectivement reconnu est alors langage. Car, disons-le sans le démontrer, l’objectivité est, avec l’existence et l’inconscient, langage. Comme on le voit dans toute la pensée qui affirme l’existence : chez Heidegger, mais aussi chez Rosenzweig (qui présente la « méthode de la pensée nouvelle » comme « méthode du langage »2), et de même chez Benjamin, ou encore chez Lévinas avec son Dire en deçà du Dit. Et comme on le voit chez Lacan bien sûr quand il détermine l’inconscient (condensation et déplacement chez Freud) par les deux figures de la métaphore et de la métonymie. Une structure fondamentale quaternaire se déduit, pour l’existant, de ce langage. Ensuite, la réalité de l’inconscient. Ce qui, de par la finitude radicale, fait problème, et empêche d’abord que le savoir inconscient ne passe à l’existant, c’est la constitution, par celui-ci, à la place de l’Autre absolu vrai, d’un Autre absolu faux ou idole, que la psychanalyse a désigné sous le nom de Surmoi. Surmoi dont Lacan dit qu’il est « la loi et sa destruction », ou encore « haine de Dieu, reproche à Dieu d’avoir si mal fait les choses »3. Surmoi comme Autre qui n’a pas d’Autre et dont l’existant est le déchet. Surmoi comme lieu de la loi devenue fausse et violente. Contre ce Surmoi, l’inconscient apparaît comme désir qui vise non pas à effacer tout manque, mais à s’ouvrir toujours plus à son Autre. De là tout un mouvement dans quoi l’existant est entraîné par le désir, et qui lui fait traverser les quatre structures existentiales distinguées à partir de la psychanalyse, avec une acceptation croissante de la finitude. D’abord la psychose, où l’on s’identifie au Surmoi comme Chose, quitte à en être 89 Inconscient et justice A. Juranville 1. J. Lacan, « Le séminaire sur “La lettre volée” », in Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 53. 2. Franz Rosenzweig, « La pensée nouvelle », trad. franç. Marc de Launay, in Foi et savoir, Paris, Vrin, 2001, p. 158. 3. J. Lacan, Le Séminaire, livre I : Les écrits techniques de Freud, Paris, Le Seuil, 1975, p. 119, et livre VII : L’éthique de la psychanalyse, Paris, Le Seuil, 1986, p. 355. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 06/01/2021 sur www.cairn.info par Lucas Grinstein (IP: 190.194.234.89) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 06/01/2021 sur www.cairn.info par Lucas Grinstein (IP: 190.194.234.89) aussi le déchet. Ensuite la perversion où, tout en restant objet-déchet du Surmoi, on se fait objet-fétiche pour les autres, incarnant pour eux le Surmoi. Puis la névrose où, voulant s’arracher à la position de déchet, on se fait – mais vainement – sujet, qui devrait introduire une nouvelle objectivité. Enfin la sublimation, où l’on s’identifie effectivement à l’Autre, uploads/Philosophie/inconcient-et-justice-alain-juranville.pdf
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- Publié le Apv 15, 2022
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