Astérion 5 (2007) Le philosophe et le marchand ................................

Astérion 5 (2007) Le philosophe et le marchand ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Isabelle Thomas-Fogiel Sens et statut de la théorie des échanges commerciaux dans le système de Fichte ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Isabelle Thomas-Fogiel, « Sens et statut de la théorie des échanges commerciaux dans le système de Fichte », Astérion [En ligne], 5 | 2007, mis en ligne le 13 avril 2007, consulté le 13 octobre 2012. URL : http:// asterion.revues.org/842 Éditeur : ENS Éditions http://asterion.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://asterion.revues.org/842 Ce document PDF a été généré par la revue. © ENS Éditions SENS ET STATUT DE LA THÉORIE DES ÉCHANGES COMMERCIAUX DANS LE SYSTÈME DE FICHTE Isabelle THOMAS-FOGIEL° Résumé : Il s’agit, dans cet article, de faire saillir les traits les plus marquants de la pensée économique de Fichte. On montre que l’organisation du marché et des échanges en général participe d’une vision franchement étatique et protectionniste. Mais l’interventionnisme de l’État a pour fondement la théorie juridique de la propriété comme espace de liberté. Si communisme fichtéen il y a, il s’agit d’un communisme de la liberté, conçu comme répartition des sphères d’action. Là est sans doute l’un des traits les plus originaux de Fichte puisque la mise en commun propre à la notion de communisme ne repose pas sur l’idée d’une égalité stricte entre les citoyens, mais bien plutôt sur l’idée de la liberté de chacun d’entre eux. L’étatisme a paradoxalement ici pour fondement une certaine forme d’individualisme. En un mot, toujours plus de liberté égale toujours plus d’État. Mots-clés : État, échanges commerciaux, économie, division du travail, classes sociales Pour répondre à la question : dans quelle mesure et pour quelle raison les échanges commerciaux ont-ils pu constituer un objet philosophi- que pour Fichte, il pourrait paraître licite, en un premier temps, d’invoquer l’exigence systématique et intrinsèquement globalisante si caractéristique de l’idéalisme allemand. En effet, les grandes synthèses de cette période semblent bien incarner l’acmé de la prétention à cou- vrir la totalité des champs du savoir ainsi qu’à statuer sur l’ensemble des dimensions du réel. À cette époque, la philosophie semble plus que jamais aspirer à une position de surplomb, qui la verrait définir, voire déduire les limites, méthodes et contenus de toutes les autres disciplines particulières. Ainsi, si un système ne peut, par définition, ° Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne. 33 Astérion, n° 5, juillet 2007 laisser hors de sa récapitulation la moindre parcelle du savoir, et si l’idéalisme allemand marque l’ère des systèmes, alors il a pu paraître évident que l’économie, au même titre que les mathématiques, la phi- losophie de la nature, mais aussi la philosophie du droit, de la reli- gion, de la politique, etc., devait prendre place au sein de cette ré- flexion générale sur le réel et le rationnel. En bref, nous pourrions cavalièrement conclure ici en disant que si l’économie est un objet philosophique dans l’idéalisme allemand, c’est tout simplement parce que tout y est philosophique. Cette première réponse, pour apparemment évidente qu’elle soit, n’en masque pas moins deux problèmes : d’une part, la position de surplomb de la philosophie comme science qui les engloberait toutes est, au sein de l’idéalisme allemand, plus subtile et complexe que les habituels détracteurs de cette thèse ne voudraient le croire ; d’autre part, et surtout, quand bien même on admettrait la validité de cette première réponse, elle ne permettrait pas, en raison de sa généralité même, de comprendre pourquoi au sein de l’idéalisme allemand, c’est précisément Fichte qui a le plus détaillé la question de l’organisation économique. À cet égard, Henry Denis dans l’Histoire de la pensée éco- nomique tient L’État commercial fermé pour « le premier texte dans le- quel se manifeste la prise de conscience très nette déjà du problème fondamental que pose une organisation collective de la production et de la distribution des biens »1. Dès lors et derechef, pourquoi cette importance de l’économie dans le système ? En quoi le marchand a-t-il pu à ce point intéresser le philosophe ? Et en quoi la théorie de l’organisation économique en- gage-t-elle, en dernière instance, tout le système philosophique, c’est- à-dire la totalité de la doctrine de la science ? Pour répondre à cette question, il nous faut, en un premier temps, nous pencher sur l’organisation de la production et de la distribution des richesses dans la société voulue par Fichte, ainsi que sur la théorie des échanges commerciaux qui en découlent. Il sera nécessaire, ensuite, de montrer le lien d’implication entre cette organisation économique et la théorie fichtéenne du droit, en même temps que de comprendre combien cette théorie générale éloigne radicalement Fichte du mercantilisme 1. H. Denis, Histoire de la pensée économique (1966), Paris, PUF, 1983 (réédition mise à jour), p. 252. 34 Astérion, n° 5, juillet 2005 ainsi que des doctrines libérales du marché. Une fois élucidés ces deux premiers points, nous pourrons penser la place de l’économie au sein de l’architectonique générale, en montrant que l’organisation stricte du marché est une des conditions de la constitution juridique, qui est elle-même déductible de la doctrine de la science. Une fois établi ce statut de la déductibilité des sciences particulières compris nous pour- rons montrer que le système relève moins de l’exorbitante prétention totalisante si souvent dénoncée dans l’idéalisme allemand qu’il ne participe d’une tentative de fondation des sciences de la culture ; ten- tative qui est peut-être susceptible aujourd’hui d’être réactivée sans trop d’extravagance. 1. L’organisation économique et les échanges commerciaux chez Fichte 1. 1. La division des classes et la place du marchand Rappelons tout d’abord que Fichte définit la place du marchand et du marché, au sein d’une société conforme à la raison, société qui doit être et n’est pas encore, essentiellement dans trois textes : le Fondement du droit naturel de 1796, L’État commercial fermé de 1800, et enfin la Doctrine du droit de 18122. D’un point de vue général, la société fichtéenne est divisée en dif- férentes classes ou corps de métier : la classe des agriculteurs, la classe des fabricateurs, la classe des marchands et enfin la fameuse classe des fonctionnaires, cible privilégiée de l’ironie hégélienne. La classe des agriculteurs, que Fichte, comme les physiocrates, nomme les pro- ducteurs, est de loin la plus nombreuse et assure, grâce à la culture du sol, la survie alimentaire de l’ensemble des classes sociales. La classe des fabricateurs se divise, de fait, c’est-à-dire dans la réalité, en deux groupes distincts, les operarii qui disposent de leur travail mais ni des 2. Fichte, Fondement du droit naturel selon les principes de la Doctrine de la science, trad. Alain Renaut, Paris, PUF, 1986 ; L’État commercial fermé (1800), trad. David Schulthess, Lausanne, L’Âge d’homme, 1980 ; Doctrine du droit de 1812, trad. Anne Gahier et Isabelle Thomas-Fogiel, Paris, Cerf (Passages), 2004. 35 Astérion, n° 5, juillet 2007 outils ni de la matière le permettant, et les opifices qui sont « ceux qui <en plus de leur travail en> possèdent la matière »3. Il s’agit là de l’opposition traditionnelle entre ouvriers et artisans. Cependant, on ne retrouve pas les operarii dans la société idéale, celle qui doit être, socié- té que construit la dernière partie de L’État commercial fermé. Pour- quoi ? Tout simplement parce que Fichte reprend ici le principe kan- tien qui veut que tout travailleur possède son outil de travail pour être un citoyen actif. Or, dans la société selon la raison, il n’y aura que des citoyens actifs et donc, en dernière instance, pas d’ouvriers au sens marxiste du terme. En un mot, Fichte n’a ni prévu ni souhaité le déve- loppement de la classe ouvrière dans les sociétés industrielles. La so- ciété qu’il pense demeure une société d’artisans ou de petites manu- factures. À ces deux premières classes, agriculteurs et artisans, s’ajoute celle des marchands ; le marchand est uniquement et exclusi- vement chargé de mettre en rapport le vendeur et l’acheteur. Enfin, la société comprend la classe des fonctionnaires, classe qui englobe tout ceux qui ne sont ni producteurs, ni artisans ni marchands, soit classi- quement l’armée, la police, la justice, mais aussi les professeurs, les savants, mais encore les médecins, les pasteurs, les écrivains, les orga- nisateurs de loisirs, etc. Chacune de ces classes s’engage vis-à-vis des autres à respecter un certain nombre d’obligations positives et négatives. Ainsi uploads/Philosophie/isabelle-thomas-fogiel.pdf

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