Communications L'horizon des ambiances urbaines Mr Jean-Paul Thibaud Citer ce d

Communications L'horizon des ambiances urbaines Mr Jean-Paul Thibaud Citer ce document / Cite this document : Thibaud Jean-Paul. L'horizon des ambiances urbaines. In: Communications, 73, 2002. Manières d'habiter. pp. 185-201; doi : https://doi.org/10.3406/comm.2002.2119 https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_2002_num_73_1_2119 Fichier pdf généré le 10/05/2018 Résumé L'ambiance est en train de devenir un des enjeux de la recherche architecturale et urbaine. Comment et à quelles conditions une thématisation de la notion d'ambiance est-elle possible ? En quoi nous aide-t-elle à renouveler nos façons de concevoir l'habiter ? Pour répondre à de telles questions, trois arguments sont plus particulièrement explorés : 1 ) la notion d'ambiance s'inscrit dans une perspective de retour vers le concret en faisant valoir le caractère incarné et situé de l'expérience sensible ; 2) elle opère un chiasme qui permet d'articuler une lecture esthétique à une lecture pragmatique de l'espace urbain ; 3) elle relève de paradoxes qui interrogent le sens même de l'habiter. Abstract Ambiance is in the midst of becoming one of the major issue in architectural and urban research. How and under which conditions can the concept of ambiance be defined ? How can it enable us to renew the ways in which we conceive dwelling ?In order to answer these questions, three points are particularly worth exploring: 1) the concept of ambiance provides a view towards a return to the concrete by emphasizing the embodiment of human experience ; 2) it also intertwines an aesthetic approach of urban space with a pragmatic one ; 3) and finally, it is based on paradoxes which question the very meaning of dwelling. Jean-Paul Thibaud L'horizon des ambiances urbaines II arrive qu'un terme, d'un emploi courant et banal, acquière une valeur scientifique et contribue à fonder un nouveau domaine d'investigation. Ce changement d'ordre de discours dans l'usage du mot n'est pas sans poser des problèmes théoriques et épistémologiques qui requièrent de toute évidence de nombreuses précautions. Qu'en est-il du terme « ambiance », en train de devenir un des enjeux de la recherche architecturale et urbaine ? Mettre la notion d'ambiance à l'épreuve de la pensée urbaine nécessite à la fois de tester sa portée heuristique et de faire œuvre de clarification. Autrement dit, comment et à quelles conditions une problé- matisation de la notion d'ambiance est-elle possible ? En quoi celle-ci nous permet-elle de renouveler nos façons de concevoir l'habiter ? Pour répondre à de telles questions, trois modes complémentaires peuvent être adoptés. Premièrement, une lecture exogène rendra compte de la conjoncture scientifique dans laquelle s'inscrit le champ des ambiances. Il s'agira d'identifier les conditions de possibilité d'une approche sensible de la ville. D'une certaine manière, la notion d'ambiance émerge sur la base d'une convergence de résultats issus de champs de recherche habituellement dissociés. - Deuxièmement, une lecture transverse mettra cette notion en résonance avec d'autres termes qui lui sont apparentés. L'examen des complémentarités de voisinage contribuera à spécifier et à positionner plus précisément la notion d'ambiance. Le chiasme dont elle relève la situera à la croisée d'une analyse esthétique et d'une analyse pragmatique de l'espace urbain. Troisièmement, une lecture endogène fera état des problèmes théoriques qu'elle ne manque pas de poser. En mettant en œuvre une heuristique des paradoxes, il s'agira de dresser à grands traits l'intérêt et la portée opératoire d'une telle notion. C'est donc par approximations suc- 185 Jean-Paul Thibaud cessives et variations de points de vue que se dégageront progressivement les lignes de force de ce champ d'investigation naissant. RETOUR VERS LE CONCRET Un des mouvements importants de la science contemporaine consiste à opérer un retour vers le concret1. En prenant appui sur la phénoménologie et sur le pragmatisme, de nombreux travaux proposent une alternative au dualisme cartésien en reconsidérant la place du corps dans notre façon d'appréhender le monde. La notion d'ambiance s'inscrit de plein droit dans cette perspective de Y embodiment2 pour laquelle nos catégories conceptuelles ne sont pas dissociables de notre activité sensori-motrice. A cet égard, quatre apports principaux intéressent plus directement la thématique des ambiances : la mise en évidence du pouvoir mobilisateur du lieu, la reconnaissance de la valeur articulatoire du geste, le dévoilement de l'implicite dans l'ordinaire des pratiques et l'ouverture . de la perception à sa dimension affective. Le lieu revisité. Nombre de travaux contemporains, issus de la philosophie, de l'architecture ou de la géographie humaine, revisitent la notion de lieu et cherchent à fonder ce que pourrait être une « topique ». En soulignant le caractère charnel et situé de l'expérience sensible, cette pensée du lieu se construit sur la base d'une critique de l'espace abstrait et objectif. Contrairement à l'espace conçu comme une étendue homogène, continue et divisible, sur le mode du partes extra partes, le lieu procède d'un investissement corporel indissociable de son pouvoir d'orientation et d'expression. Autrement dit, s'il n'y a pas de lieu sans corps et si le corps est d'emblée en prise avec le lieu, ce dernier ne peut pas être réduit à un pur contenant formel, ni à un simple système de coordonnées géométriques. A une théorie de l'espace sans qualités se substitue une approche du lieu incarné3. Une telle entreprise redonne toute son importance à l'argument de l' intensif et dévoile par là même une des caractéristiques de l'ambiance. Alors que l'espace est généralement appréhendé comme un ensemble de grandeurs extensives, le heu permet de réintroduire l'idée de grandeurs intensives: Ainsi, l'espace est peuplé d'objets ou de parcelles que je peux discrétiser et dénombrer : un banc, une porte, un mur, un Abribus, une cabine téléphonique, etc. De l'ordre du nombre et de la 186 L'horizon des ambiances urbaines sommation, il relève de grandeurs extensives.' Son unité procède. d'une juxtaposition successive de parties distinctes: Par contre, le lieu engage des qualités sensibles plus ou moins prégnantes, qui peuvent croître ou décroître : ■ luminosité, chaleur, rugosité, etc. De l'ordre du degré et du différentiel, il relève de grandeurs intensives 4. Il en va alors de la manière dont le lieu se constitue comme unité immédiate et indivise ayant un caractère qui lui est propre. Sa cohérence interne ne résulte pas d'une sommation de parties juxtaposées mais plutôt d'un geste qui saisit d'emblée une globalité. De ce point de vue, si le lieu convoque bien une mise en forme du cadre bâti, il procède d'un rythme qui lui donne sa véritable consistance5. Réalité d'ordre rythmique et énergétique, le lieu relève moins d'une logique de l'inclusion que d'une logique de l'exposition. En mettant le corps en mouvement, en l'affectant et en le saisissant, il fait montre d'une puissance d'imprégnation qui ne laisse pas intact celui qui le traverse^. Tout est alors question de forces et de degrés, de tensions et de détentes, d'allures et de postures. Bref, le lieu ne se réduit en aucun cas à une enveloppe désaffectée et inopérante, il habite le corps en même temps qu'il se laisse habiter par lui. Pour finir, penser l'espace selon la catégorie de l'intensif permet de faire valoir l'efficace sensori- moteur de l'environnement construit. en redonnant sa juste place aux phénomènes rythmiques qui engagent notre rapport au monde ambiant: Le geste à l'œuvre. L'affinité étroite du lieu et du corps nous ramène tout naturellement à la question du geste. Affirmer que « l'être dans le monde se manifeste par des gestes 7 » conduit à reconsidérer le rôle central de la motricité dans nos façons d'agir. Il s'agit dès lors de se situer en deçà de l'expérience consciente et de faire valoir lé planpré-réfîexif des conduites quotidiennes. Remarquons tout d'abord que le monde nous est donné non comme une pure extériorité saisissable selon une position de surplomb mais comme un ensemble de situations concrètes mettant à l'épreuve nos aptitudes et dispositions à agir. De ce point de vue,* recourir à la notion de geste permet de dépasser les apories du modèle de l'action rationnelle en abordant sous un jour nouveau le double problème de l'intention * et de l'expression. D'une part, à une conception propositionnelle et téléologique de l'inten- tionnalité se substitue une conception motrice et écologique 8. L'action se structure moins sur. la base d'une représentation de fins fixées à l'avance que de gestes qui s'ajustent progressivement en fonction des ressources et des contraintes de l'environnement. Si certaines situations critiques ou problématiques altèrent l'action routinière et nous amènent parfois à en 187 Jean-Paul - Thibaud prendre conscience, la plupart des gestes quotidiens relèvent d'un « affairement absorbé 9 » consistant à répondre aux sollicitations de la situation indépendamment de toute représentation. D'autre part, si le geste renvoie bien au monde de l'action, il ne se confond pas pour autant avec lui. En tant que support de l'action 10, il se prête à des variations et des modulations qui expriment à même le corps les tonalités affectives du moment. Comme nous l'apprend la danse, la capacité du geste à épouser le terrain, à décliner des styles de motricité et des qualités de mouvements participe des diverses manières d'être dans un milieu. Autrement dit, le geste n'est ni seulement de l'ordre de la simple fonctionnalité, ni de uploads/Philosophie/jean-paul-thibaud-l-x27-horizon-des-ambiances-urbaines.pdf

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