1 Les Carnets du Centre de Philosophie du Droit L’éthique matérielle de la vie
1 Les Carnets du Centre de Philosophie du Droit L’éthique matérielle de la vie : le projet éthique-politique critique de la philosophie de la libération. by Antonio Rufino Vieira N° 134 2008 © CPDR, Louvain-la-Neuve, 2008 This paper may be cited as: Antonio Rufino Vieira, “L’éthique matérielle de la vie : le projet éthique-politique critique de la philosophie de la libératio.n”, n° 134, 2008. UCL Université catholique de Louvain Centre de Philosophie du Droit 2 L’éthique matérielle de la vie : le projet éthique-politique critique de la philosophie de la libération1 par Antonio Rufino Vieira(*) Résumé. Nous tenterons de montrer que le projet éthique-politique critique de la Philosophie de la Libération d’Enrique Dussel entend la pensée de Levinas et de Marx comme deux méthodes complémentaires, qui ont chacune leur importance, dans la mesure où elles lui permettent d’assurer de son propre chemin. À partir du dépassement des réflexions levinasienne et marxienne, condition pour l’épanouissement d’une pensée autonome, autochtone et critique sur le sol du continent américain, nous élaborerons une éthique matérielle de la vie, une critique de la globalisation et une affirmation des victimes du système. Mots-clef: éthique matérielle de la vie, philosophie critique, utopie concrète, philosophie de la libération latino-américaine, Enrique Dussel. Nous partons du principe que la philosophie peut contribuer à la transformation de la réalité injuste où des hommes et des femmes sont les victimes quotidiennes, c’est-à-dire que la vie est le critère éthique- politique décisif dont tous les autres dérivent. C’est avec cette même idée qu’Enrique Dussel commence tous les chapitres de son œuvre Éthique de la Libération (2000) affirmant que l’éthique de la libération est une éthique matérielle de la vie. La construction de cette éthique a ses racines dans le dialogue constant que Enrique Dussel établit avec deux penseurs qui s’éloignent en apparence, mais qui sont pourtant importants pour la précision de certaines catégories capables d’aider à la praxis de la libération: d’un côté E. Levinas et, de l’autre K. Marx. 1 Ce travail a été écrit avec la collaboration de Arivaldo José Sezyshta Licencié en Philosophie pour l’Université fédérale de la Paraiba et Coordinateur du Service Pastoral des Migrantes de la Confédération Nationale de sEvêques du Brésil - section Nordeste. Je remercie Marc Maesschalk (ISP/UCL). (*) Professeur au Département de Philosophie de l’Université fédérale de la Paraiba – Brésil et chercheur invité par l’Université Catholique de Louvain (de septembre 2005 à août 2006), avec l’appui d’une bourse postdoctorale octroyée par la CAPES – Brésil. 3 Dans ce travail, nous essaierons de relever le projet éthique-politique critique de la Philosophie de la Libération dussélienne qui comprend la pensée de Levinas et de Marx comme deux méthodes complémentaires, qui ont chacune leur importance, dans la mesure où elles permettent à la pensée latino-américaine de s’assurer de son propre chemin. Il en découle le besoin du dépassement de la réflexion levinasienne et marxienne comme condition à l’épanouissement d’une pensée autonome, autochtone et critique sur le sol du continent américain. Se rapportant à Marx, Dussel dit: Poursuivre le discours théorique de Marx à partir de l’Amérique Latine, pas seulement l’appliquer (ce qui serait une erreur puisqu’il serait “ouvert” et “inachevé”) et découvrir de nouvelles possibilités à partir de la praxis de la libération nationale du peuple, partant de la “logique des majorités (mais des majorités devenues l’objet de l’histoire de la libération) c’est la tache de la Philosophie de la Libération (Dussel: 1988 (b), 361). En ce qui concerne Levinas, Dussel affirme: Le dépassement réel de toute cette tradition (...), est la Philosophie de Levinas, quoique européenne et excessivement équivoque. Notre dépassement consistera à repenser le discours à partir de l’Amérique Latine et de l’analogie (Dussel: 1973, 123). [ Dans l’autre extrait Dussel dira:] Levinas nous est nécessaire pour montrer le contenu ultime de l’éthique matérielle, positive (l’accès à la présence corporelle de l’autre) et négative (critique d’un discours sur une Éthique de la Libération, mais qui n’est pas suffisante (Dussel, 2000,413, note no 564). Il s’agit d’un effort théorique qui vise à élaborer un nouveau discours, vers le dépassement de la pensée lévinasienne et un fondement marxiste latino- américain. C’est-à-dire, suivre la pensée marxienne, arrivée en Amérique Latine par la tradition orale et transmise par les immigrants, les travailleurs européens, surtout des allemands, vers la moitié du XIXe siècle. Ce fait a une très grande importance pour la naissance d’une pensée qui se propose d’être libératrice, car ce n’est ni la chaire ni le manuel, mais les cercles de travail et de mouvements sociaux en général qui constituent le premier lieu de l’accueil marxiste sous continental (FORNET-BETANCOURT : 1995, 11), ce qui fera que, au début, cet accueil se concentre essentiellement sur des éléments sociaux et politiques. Il est important de comprendre qu’à partir d’une relecture attentive et minutieuse de Marx, Dussel privilégiera la catégorie de l’extériorité qui sera comprise à l’aide de Levinas. Avant cette relecture, et jusqu’à 1985, quand il publie Hacia 4 un Marx desconocido (Vers un Marx inconnu), Dussel dira qu’ « à la dialectique de Marx, il manque la catégorie de l’altérité ». (DUSSEL, in FORNET- BETANCOURT : 1995,306). Dans ce sens, avant son « renversement marxien » (VIEIRA, 2000), Dussel entend que la dialectique chez Marx devient historique, sans réussir à dépasser l’historicité de la totalité européenne. C’est pourquoi à ce premier moment, il s’éloigne méthodologiquement de Marx, concevant l’analecta comme une logique de l’extériorité ou de l’altérité. Alors, il transforme la dialectique marxienne en une analecta, allant de la totalité et son expansion dominante vers l’altérité, qui elle, peut partir de l’autre libre, comme d’un « au delà du système de la totalité ». Dans un passage représentatif de cette interprétation Dussel dit La critique à la dialectique a été faite par les post-hégéliens (parmi eux Feuerbach, Marx et Kierkegaard). La critique de l’ontologie heideggérienne est faite par Levinas, Les premiers sont toujours modernes ; le deuxième est toujours européen. Nous suivrons de préférence leur chemin en vue de les dépasser depuis l’Amérique Latine. Ils sont la « préhistoire de la philosophie latino- américaine » et l’antécédent immédiat sur le penser prépondérant européen (de Kant, Hegel ou Heidegger) parce qu’ils nous incluent comme « objet » ou « chose » en leur monde ; on ne pouvait pas non plus suivre ceux qui les imitent en Amérique Latine, parce qu’il s’agit d’une philosophie inauthentique. Les seuls critiques réels au penser dominateur européen sont les européens mentionnés par les mouvements historiques de libération en Amérique Latine, l’Afrique ou l’Asie. C’est pour eux, parce qu’ils saisissent (et dépassent) les critiques de Hegel et de Heidegger, européens, et parce qu’ils écoutent le mot provocant de l’Autre, l’opprimé latino- américain, dans la totalité nord atlantique comme futur, qui pourra naître la philosophie latino-américaine, qui sera analogiquement africaine et asiatique (DUSSEL : 1973, 119). A ce moment Dussel, lit toujours Marx comme représentant de la totalité européenne, car malgré une conception radicalement différente de ses prédécesseurs, il n’avait pas rompu avec la perspective de la totalité négatrice de l’altérité et, en conséquence, il ne pourrait pas être une référence pour la Philosophie de la Libération, car « malgré le passage de l’ontologie pour la métaphysique (...) Dussel suivait lisant Marx comme à un autre agent de la totalité. Fils et partisan de Hegel, Marx fut un penseur de la totalité et l’exécuteur de la dialectique » (MENDIETA : 2001,19). Après 1985, Dussel changera son point de vue et, à partir de sa relecture de Marx, ayant compris, avec l’aide de Levinas, que la catégorie par excellence chez Marx est l’extériorité et pas la totalité, il reprendra la dialectique, 5 comprennent l’analecta non plus comme une méthode en soi, mais étant une partie positive de la méthode dialectique. C’est alors qu’il commencera à montrer le marxisme comme une possibilité organique aidant à contribuer aux transformations qualitatives de la société. L’analecta, du fait qu’elle part d’un « plus au delà », permet une ouverture vers le logos qui n’est pas inclus dans le système. L’analecta devient le complément de la dialectique et se transforme en un support capable d’y permettre l’ouverture à l’extériorité de l’autre qui, lui, ne peut pas être réduit à son identité même ou à « l’absolument autre » de Levinas. Dans de plus récentes réflexions dusséliennes, on peut voir la liaison entre Levinas et Marx qui surgit comme une condition vers le dépassement où l’analecta sera le complément à la dialectique, rendant une méthode ouverte à la critique de la condition humaine, sous le point de vue de l’éthique matérielle de la vie et, particulièrement, selon le concept de « travail vif », explicité par la catégorie de l’extériorité. Alors, Marx représente « un modèle de pensée critique, dont on ne devrait tellement pas prendre connaissance, une théorie déjà élaborée dans l’exécution de la critique historique-pratique (par exemple, la critique au capital faite par Marx lui-même) comme auparavant, de la perspective méthodologique de la dialectique critique » (FORNET- BETANCOURT : 1995, 315). La suite marxiste et latino-américaine de Marx dépend de cette uploads/Philosophie/l-x27-ethique-materielle-de-la-vie.pdf
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- Publié le Apv 16, 2022
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