LA MODALITÉ CRITIQUE CHEZ MARX Author(s): Emmanuel Renault Source: Revue Philos

LA MODALITÉ CRITIQUE CHEZ MARX Author(s): Emmanuel Renault Source: Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, T. 189, No. 2, LA CRITIQUE APRÈS KANT (AVRIL-JUIN 1999), pp. 181-198 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41098339 . Accessed: 17/12/2014 18:11 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue Philosophique de la France et de l'Étranger. http://www.jstor.org This content downloaded from 194.214.29.29 on Wed, 17 Dec 2014 18:11:44 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions LA MODALITÉ CRITIQUE CHEZ MARX Marx, avec Kant et Bayle, est l'un des rares auteurs dont la pensée est associée dans son ensemble à la notion de critique. Il fît subir des modifications décisives à la fonction critique, et il est sans doute l'un de ceux qui eurent le plus d'influence sur les consonances actuelles du thème de la critique en philosophie et en politique. Et cependant, la notion de critique est affectée chez lui d'une plurivo- cité qui semble difficilement maîtrisable. Elle désigne parfois les objectifs du discours (la dénonciation de la société ou la dénonciation d'autres discours), la forme du discours (lorsque Marx oppose ce qui est critique à ce qui est naïf, non critique, dogmatique ou doctri- naire), le contenu du discours (dans l'identification de l'économie politique classique a une économie politique critique), et elle s'applique parfois à la pratique (lorsqu'il est question de « critique pratique »). Dès lors on ne peut éviter de soupçonner que le concept à même d'unifier l'ensemble de ces acceptions fait défaut. Il s'agit là d'un défi pour les interprètes1, et d'un problème qui concerne 1. Sur le concept de critique chez Marx, voir P.-L. Assoun, G. Raulet, Marxisme et théorie critique, Payot, 1978 ; J. Habermas, Entre science et philo- sophie : le marxisme comme critique, in Théorie et pratique, t. 2, Payot, 1975, p. 6-60 ; C. Luporini, Le politique et l'étatique : une ou deux critiques, in E. Balibar et coll., Marx et sa critique de la politique, Maspero, 1979, p. 53-106 ; J.-F. Lyotard, La place de l'aliénation dans le retournement marxiste, in Dérive à partir de Marx et Freud, UGE, 1973, p. 78-116 ; G. E. Mac Carthy, Marx's Critique of Science and Positivism, Kluwer Academic Publishers, 1988 ; J. Rancière, Le concept de critique et la critique de l'économie politique des « Manuscrits de 1844 » au « Capital » «, in L. Althusser et coll., Lire le Capital, PUF, 1996, p. 81-199 ; E. Renault, Marx et Vidée de critique, PUF, 1995 ; Revue philosophique, n° 2/1999, p. 181 à p. 198 This content downloaded from 194.214.29.29 on Wed, 17 Dec 2014 18:11:44 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 182 Emmanuel Renault l'évolution de la pensée marxienne. La diversité des usages de la notion de critique doit sans doute être considérée comme un héritage de la philosophie jeune-hégélienne, et plus particulièrement de la philosophie critique que Marx tentait d'élaborer lors de sa collabora- tion avec Bruno Bauer. Dans ce cadre, l'ensemble de ces acceptions trouvaient une unification dialectique que le Marx de la maturité refuse par principe1. Mais on n'en conclura pas pour autant que la notion de critique perd toute fonction théorique, que le mot n'est plus que le vestige d'une problématique dépassée, ou le simple signe de la vocation politique de la théorie marxienne. Même si les diffé- rentes acceptions de la critique sont liées les unes aux autres de façon assez lâche à l'époque de la maturité, et par conséquent, même si l'on ne peut parler d'un concept de critique complètement déterminé, ces différentes acceptions trouvent néanmoins une certaine forme d'unité en s'organisant autour d'un centre de gravité commun : le lien essentiel de la crise et de la critique. Le concept se compose et se définit ainsi en un sens qui tient à la problématique de la maturité puisqu'il dépend, on le verra, de l'interprétation matérialiste des idéalités fournie par la théorie de l'idéologie, et d'une conception matérialiste de la politique. La notion de critique remplit bien alors une fonction théorique centrale, relative non pas seulement aux objectifs politiques de la théorie marxienne mais aussi à la modalité de la poursuite de ses objectifs. Cette modalité critique suppose l'articulation de trois modèles de critique : la critique comme démys- tification, la critique comme décision dans un contexte de crise, et la critique comme exposition critique de l'économie politique. On les considérera ici successivement. Marx fit un usage particulièrement intensif de la notion de cri- tique. Il développa une critique de la philosophie hégélienne du droit, une critique de la religion, une critique de la politique, une critique de la philosophie, une critique de la critique jeune- hégélienne, une critique des différentes formes de socialisme, et une critique de l'économie politique. On remarquera que, dans cette K. Röttgers, Kritik und Praxis. Zur Geschichte des Kritikbegriffs von Kant bis Marx, Walter De Gruyter, 1975, p. 253-277 ; A. Tosel, Études sur Marx (et Engels). Vers un communisme de la finitude, Kirne, 1996, p. 7-22. 1. Pour le sens de 1 idée de critique chez B. Bauer, voir K. Röttgers, op. cit., p. 193-218. Pour la manière dont les différentes acceptions marxiennes de la critique sont unifiées à l'époque de la collaboration avec B. Bauer, voir Zvi Rosen, B. Bauer and Karl Marx. The Influence ofB. Bauer on Marx's Thought, Martinus Nijhoff, 1977, et E. Renault, op. cit., p. 16-40. Revue philosophique, n° 2/1999, p. 181 à p. 198 This content downloaded from 194.214.29.29 on Wed, 17 Dec 2014 18:11:44 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions La modalité critique chez Marx 183 enumeration, les différents objets auxquels est appliquée la critique sont des discours ou des représentations. Chez Marx, la notion de critique ne désigne certes pas qu'un rapport entre des discours, puisque la critique de ces discours est motivée par la « critique pra- tique » de la société, mais l'on peut commencer par se demander en quoi consiste la critique marxienne lorsqu'elle désigne un rapport entre discours. En règle générale, la notion de critique peut alors être prise en deux sens, soit en un sens large où elle signifie examen de la valeur d'un discours, d'une œuvre ou d'une action, soit en un sens plus res- treint où elle désigne des jugements de type négatif. Lorsqu'il est question de critique de la philosophie et de critique de la politique, c'est bien en ce sens négatif et restreint de la dénonciation. Et si l'on veut caractériser la forme que prend cette dénonciation, on devra dire qu'elle ne relève pas d'une polémique dans laquelle deux dis- cours s'affrontent l'un à l'autre et cherchent à faire valoir leur supé- riorité, mais qu'elle relève au contraire d'une théorie des erreurs ou, plus précisément, d'une théorie de l'illusion qui ramène l'erreur au mécanisme qui la produit. D'après le Marx de la Critique de la philo- sophie hégélienne du droit (1843), il convient d'opposer ces deux for- mes de critiques et d'y voir respectivement une critique dogmatique, et la vraie critique, la critique vraiment philosophique : « La critique dogmatique [...] combat avec son propre objet, un peu comme avant on voulait se débarrasser du dogme de la Sainte Trinité par la contra- diction entre un et trois. La vraie critique en revanche montre la genèse intérieure de la Sainte Trinité dans le cerveau humain. Elle décrit son acte de naissance. C'est ainsi que la critique vraiment phi- losophique ne se contente pas d'exhiber des contradictions dans leur existence : elle les explique, »* II s'agit là d'une constante des diffé- rentes critiques marxiennes : elles dénoncent les discours en identi- fiant leurs erreurs dans le cadre d'une théorie de l'illusion. Marx a tout d'abord trouvé cette théorie de l'illusion dans la théorie feuerba- chienne de l'aliénation religieuse, avant de lui donner la forme d'une théorie de l'idéologie. C'est la dimension idéologique des différents discours qui est alors dénoncée par la critique, que cette dimension idéologique relève de ce que Marx nomme fétichisme dans la critique de l'économie politique, ou qu'elle relève à proprement parler de ce qu'il nomme l'idéologie lorsqu'il s'agit des différentes formes de socialisme, de la philosophie ou de la religion. 1. Critique du droit politique hégélien, ES, 1975, p. 149. Revue philosophique, n° 2/1999, p. 181 à p. 198 This content downloaded from 194.214.29.29 on Wed, 17 Dec 2014 18:11:44 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions 184 Emmanuel Renault Le concept d'idéologie indique que le problème de l'illusion n'est pas seulement chez Marx un problème théorique et uploads/Philosophie/la-modalite-critique-chez-marx.pdf

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