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Tous droits réservés © Société de philosophie du Québec, 2016 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 19 sep. 2020 07:30 Philosophiques Critique et réflexion La réflexion dans la Théorie critique de l’École de Francfort Franck Fischbach Dossier. Usages de la réflexivité en philosophie allemande Volume 43, numéro 2, automne 2016 URI : https://id.erudit.org/iderudit/1038205ar DOI : https://doi.org/10.7202/1038205ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Société de philosophie du Québec ISSN 0316-2923 (imprimé) 1492-1391 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Fischbach, F. (2016). Critique et réflexion : la réflexion dans la Théorie critique de l’École de Francfort. Philosophiques, 43 (2), 233–248. https://doi.org/10.7202/1038205ar Résumé de l'article Le concept de réflexion joue un rôle clé dans la constitution de la théorie critique dès les premiers textes de Horkheimer dans les années 30. Mais la théorie critique n’a pas le monopole de la réflexion et la théorie traditionnelle la met également en oeuvre : c’est donc qu’il y a une spécificité de la réflexion engagée par la théorie critique. Au fil d’une enquête qui va de Horkheimer à Habermas, le présent article tente de localiser cette spécificité dans la particularité d’une expérience qui conduit à la réflexion, à l’adoption de l’attitude critique et ouvre l’horizon de l’émancipation. PHILOSOPHIQUES 43/2 — Automne 2016, p. 233-248 Critique et réflexion La réflexion dans la Théorie critique de l’École de Francfort FRANCK FISCHBACH Université de Strasbourg / CREPHAC EA 2326 RÉSUMÉ — Le concept de réflexion joue un rôle clé dans la constitution de la théorie critique dès les premiers textes de Horkheimer dans les années 30. Mais la théorie critique n’a pas le monopole de la réflexion et la théorie tradi- tionnelle la met également en œuvre : c’est donc qu’il y a une spécificité de la réflexion engagée par la théorie critique. Au fil d’une enquête qui va de Horkheimer à Habermas, le présent article tente de localiser cette spécificité dans la parti- cularité d’une expérience qui conduit à la réflexion, à l’adoption de l’attitude critique et ouvre l’horizon de l’émancipation. ABSTRACT — The concept of reflection plays an important part in the critical theory right from the beginning of the Frankfurter School in Horkheimer’s texts during the 30s. However, the critical theory doesn’t have a monopoly on reflec- tion and the traditional theory resorts also to it. Therefore, the critical use of the reflection must have a specificity that the present article aims at bringing to light. Following a path from Horkheimer to Habermas, this article tries to set this specificity in an individual and collective experience that can lead to reflec- tion, to the adoption of the critical attitude and opens the perspective of eman- cipation. Dès les textes fondateurs des années 30, la théorie critique se présente et se comprend elle-même comme la mise en œuvre d’une démarche de type essentiellement réflexif. Il n’y a de théorie critique possible ou de théorie possible comme critique que grâce à la réflexion. Le propre de cette réflexion est de produire ce que Horkheimer appelait une « clarification » (Klärung). Encore cet effet de clarification provoqué par la réflexion n’a-t-il rien de spécifique à la théorie de type critique : une réflexion provoquant une clari- fication existe bien sûr aussi dans la théorie de type traditionnel. Horkheimer le mentionne d’ailleurs lui-même : la pensée bourgeoise est ainsi faite que, dans la réflexion1 sur son propre sujet (Subjekt), elle reconnaît de façon logiquement nécessaire l’ego qui s’imagine être autonome ; cette pensée est par essence abstraite et son principe est l’indi- 1. Notons que dans la version du texte initialement parue en 1937 dans la Zeitschrift für Sozialforschung, le terme utilisé était « die Rückwendung » (que l’on peut rendre par « retour sur soi ») ; c’est dans la réédition de 1968 que Horkheimer a remplacé « die Rückwendung » par « die Reflexion ». On peut voir là, de la part de Horkheimer, une volonté de rendre plus expli- cite et plus immédiatement identifiable le concept philosophique de réflexion que le terme de Rückwendung dissimulait ou rendait inapparent. 234 • Philosophiques / Automne 2016 vidualité coupée de tout devenir, l’individualité qui se prend pour la cause première du monde, voire carrément pour le monde même2. On a là le produit de la clarification engendré par la théorie traditionnelle quand elle réfléchit au sujet qui est le sien et tente de le saisir réflexivement : le produit de cette clarification réflexive est dans ce cas l’ego comme sujet à la fois individuel et universel (universel dans son individualité, c’est-à-dire dans son isolement) de la pensée ou de la connaissance, c’est-à-dire l’ego comme sujet abstrait de la pensée. Abstrait, ce sujet tel que mis au jour par la réflexion de la théorie traditionnelle l’est parce qu’il est considéré abstrac- tion faite de « ses rapports réels avec d’autres individus et avec des groupes, de sa confrontation avec une classe déterminée », et indépendamment de « son insertion médiatisée dans l’ensemble de la société et dans la nature »3. La clarification réflexive n’est donc pas propre en elle-même à la seule théorie critique, de sorte que la clarification qui est propre à la réflexion engagée par le théoricien critique doit posséder quelque chose de particulier et de spécifique qui la distingue de la réflexion telle qu’elle est pratiquée dans le cadre d’une théorie de type traditionnel. Cette spécificité est ainsi décrite par Horkheimer : dans une pensée critique véritable, la clarification ne possède pas seulement le sens d’un processus logique, mais tout autant celui d’un processus historique concret ; dans le cours de ce processus, ce qui change, c’est aussi bien la struc- ture sociale dans son ensemble que la relation du théoricien à la société en général, autrement dit : ce qui change, c’est le sujet autant que le rôle de la pensée4. De cette proposition, on peut déjà déduire que la réflexion, dans le cadre d’une théorie de type critique, produit une clarification qui a ceci de spéci- fique qu’elle possède une dimension expérientielle. Cela signifie que la clari- fication réflexive propre à la théorie critique n’a pas lieu pour la pensée seulement, dans le seul élément de la pensée ou, comme le dit Horkheimer, qu’elle n’est pas seulement un « processus logique ». La clarification réflexive de type critique produit des effets, en l’occurrence des effets de transforma- tion, à la fois sur le sujet même de la réflexion et sur les rapports que le sujet de la réflexion entretient avec le monde qui est le sien. Le sujet expérimente donc une transformation, un changement de ses rapports au monde et une modification de lui-même comme accompagnant ou résultant de la mise en œuvre de la réflexion quand celle-ci est menée d’un point de vue critique. 2. Max Horkheimer, « Traditionelle und kritische Theorie » (1937), in : Traditionelle und kritische Theorie, Fünf Aufsätze, Frankfurt a. M., Fischer Taschenbuch Verlag, 2011, p. 227 [noté : TKT] ; Théorie traditionnelle et théorie critique, trad. C. Maillard et S. Muller, Paris, Gallimard, 1974, p. 42 (noté : TTTC ; traduction modifiée par nous, F. F.). 3. TKT, p. 227 ; TTTC, p. 43 (trad. modifiée). 4. TKT, p. 228 ; TTTC, p. 43 (trad. modifiée). Critique et réflexion • 235 Pour le dire autrement, la réflexion clarifiante ou la clarification réflexive, quand elles sont critiques, ont pour effet de modifier ou trans- former à la fois le rapport sujet/objet et le sujet lui-même. Un exemple inté- ressant et utile est donné par Horkheimer quand il entreprend de distinguer entre la théorie critique et une autre démarche intellectuelle qui peut paraître en être relativement proche et avec laquelle il serait aisé de la confondre : la théorie critique reposant sur « une attitude [ein Verhalten] qui consiste à prendre pour objet la société elle-même5 » et à considérer « le travail pro- ductif sur le plan de la théorie6 » comme une activité sociale parmi les autres qui résulte comme les autres de la division sociale du travail et qui fait l’objet, comme toute activité utile, d’une demande sociale7 — la théorie cri- tique donc, parce qu’elle approche le travail théorique de cette façon, peut être aisément confondue avec une démarche de type sociologique qui pren- drait pour objet d’analyse « le caractère socialement conditionné des théo- ries8 ». Horkheimer explique que ce serait là une erreur dans la mesure où une enquête portant sur les déterminismes et les conditionnements sociaux qui pèsent sur les théories scientifiques et philosophiques relève elle-même encore complètement de la théorie traditionnelle : l’étude de l’idéologie ou la sociologie du savoir, que l’on uploads/Philosophie/la-reflexion-dans-la-theorie-critique-de-l-x27-ecole-de-francfort.pdf

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