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Terrain 59 (2012) L'objet livre ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Marcel Mauss Un inédit : la leçon inaugurale de Marcel Mauss au Collège de France ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Marcel Mauss, « Un inédit : la leçon inaugurale de Marcel Mauss au Collège de France », Terrain [En ligne], 59 | 2012, mis en ligne le 28 septembre 2012, 02 octobre 2012. URL : http://terrain.revues.org/15006 ; DOI : 10.4000/terrain.15006 Éditeur : Ministère de la culture / Maison des sciences de l’homme http://terrain.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://terrain.revues.org/15006 Ce document est le fac-similé de l'édition papier. Cet article a été téléchargé sur le portail Cairn (http://www.cairn.info). Distribution électronique Cairn pour Ministère de la culture / Maison des sciences de l’homme et pour Revues.org (Centre pour l'édition électronique ouverte) Propriété intellectuelle C’est le 23 février 1931 que Mauss prononce sa leçon inaugurale au Collège de France1. De celle-ci, il ne reste que des évocations éparses de plusieurs auditeurs, dont Jacques Soustelle et Lucien Finot. Dans sa biographie, Marcel Fournier (1994) regrettait ne pas avoir retrouvé le texte, surtout pour y voir Mauss faire l’éloge de Jean Izoulet2, « tâche pas facile pour le neveu de Durkheim ». En effet, la chaire de philosophie sociale d’Izoulet a été créée par le ministre de l’Instruction publique Alfred Rambaud, qui avait alors toute liberté pour choisir son premier titulaire. Impressionné par la lecture de La Cité moderne et la métaphysique de la sociologie, où Izoulet propose un nouveau fondement philosophique de la société et de l’État, Rambaud décida de confier la chaire à Jean Izoulet contre Émile Durkheim sur la base de leurs idées politiques et sociales3. L’humiliation fut cuisante pour Durkheim et pour beaucoup d’autres, car cette nomination signe la fin de l’expansion de la sociologie positive et scientifique4. Célestin Bouglé, dans une lettre à Henry Michel, ne se faisait plus aucune illusion : « Les sociologues sont dans le marasme et ils ont raison. On crée une chaire pour Izoulet au Collège de France. Finis sociologiae. Elle va périr dans cette exhibition foraine, dans le ridicule. Il serait sage à vous de penser à faire de la littérature5. » Comme le pressentait Fournier, l’exercice qui consiste à rendre hommage à son prédécesseur a été compliqué pour Mauss. C’est en tout cas ce que confirme la récente découverte d’une partie du texte de sa leçon, à la suite d’un inventaire effectué dans les archives familiales, encore inédites, de Marcel Mauss6. Un parcours difficile Cette élection de Marcel Mauss au Collège de France peut se lire de plusieurs manières. Replacée dans un mouve- ment plus long, elle est une conséquence de la stratégie mise en place par les durkheimiens afin d’acquérir une plus grande légitimité scientifique et institutionnelle. Bien que titulaire, depuis 1901, d’une chaire à l’École pratique des hautes études, Mauss ne jouit alors pas d’une très grande notoriété en dehors du cercle de ses étudiants. Son enseignement est circonscrit, technique, et le nombre de ses étudiants réguliers oscille entre une dizaine et une vingtaine. En 1907, après la mort d’Albert Réville (1826-1906), titulaire de la première chaire d’histoire des religions Un inédit : la leçon inaugurale de Marcel Mauss au Collège de France Présenté par Jean-François Bert La rédaction remercie chaleureusement Étienne Lévy et Robert Mauss qui lui ont fourni et autorisé à reproduire ce tapuscrit inédit de Marcel Mauss. Terrain 59 | septembre 2012, pp. 138-151 Marcel Mauss, Meyer-Miron Kodkine, 1935. (coll. Robert Mauss, cliché Chr. Langlois) repères 140 Mauss s’engage dans la campagne. Il peut désormais compter sur la voix de Charles Andler, son principal avocat, ainsi que sur la présence de Paul Langevin, de Louis Finot et d’Henri Maspero8. Mais Mauss doit encore faire face aux conservateurs, aux antisociologues et à ceux qui sont personnellement contre lui, ou plutôt contre ce qu’il représente. Charles Andler défend ses titres et ses travaux en le présentant comme mieux outillé que Durkheim, connaissant les langues anciennes, et maîtrisant aussi bien l’ethnographie que la muséographie. Mais pour Andler, surtout, cette élection doit permettre à Mauss de parachever son œuvre et de créer un nouveau groupe de chercheurs. L’élection se clôt au premier tour, le 29 novembre 1930. Marcel Mauss est élu. Maurice Halbwachs est le candidat de seconde ligne (Mucchielli & Pluet-Despatin 1999). Les enjeux d’une leçon Les récents travaux de Françoise Waquet montrent combien une leçon inaugurale est d’abord un rituel extrêmement codifié. Le texte de Mauss décrit principalement trois enjeux forts de sa nomination. L’exercice de la leçon, qui dure environ une heure, suit un plan standard par lequel le candidat exprime sa gratitude, évoque son prédécesseur et défend l’utilité de sa nomination. Il doit montrer aussi les progrès que son enseignement apportera à la discipline (Waquet 2010). Tout d’abord, et comme de rigueur pour chaque leçon inaugurale, Mauss prend le temps de rendre hommage à son prédécesseur ainsi qu’à ses maîtres. du Collège de France, Mauss dépose une première can- didature. Il est alors soutenu par l’indologue Sylvain Lévi qui sollicite pour le neveu de Durkheim la seconde place (Fournier 1994 : 320-331). Le décès de Jean Réville (1854-1908), qui avait succédé à son père deux ans auparavant, permet à Mauss de tenter une nouvelle candidature en 1909, cette fois en position de favori. Toujours soutenu par Lévi, Mauss peut aussi compter sur le linguiste Antoine Meillet et sur Charles Fossey. Cependant, son ambition pâtit de l’éparpillement des voix qui s’ensuit de la multiplication des candidatures (telles celles de Paul Foucart et de Jules Toutain). C’est l’abbé excommunié Alfred Loisy (1857-1940) qui devancera finalement Mauss. L’anti-durkheimisme était encore très représenté au sein de l’assemblée des enseignants du Collège. En 1930, la situation est différente. Mauss a acquis un statut national et international bien plus important. Il dirige l’Institut d’ethnologie et la publication L’Année sociologique. Il est aussi président de la Société de psychologie… Cette troisième campagne s’annonce pourtant difficile (ibid. : 563-581, 584-590)7. Il faut d’abord changer le titre de la chaire d’Izoulet en chaire de sociologie. Contre la « sociologie » maussienne, d’autres propositions émergent, telle celle de Charles Blondel – disciple d’Izoulet –, mais aussi celle de l’historien de la philosophie Étienne Gilson ou encore de Lucien Febvre, qui finalement renoncera. Une fois le titre accepté – même si l’abbé Breuil aurait préféré voir créée une chaire de « sociologie ethnique » ou d’« ethnologie sociale » –, 1. Le texte de Marcel Mauss ainsi que cette pré- sentation seront publiés dans l’ouvrage Faire un travail savant, l’atelier de Marcel Mauss, à paraître en novembre 2012 (cnrs éditions). Les notes et la bibliographie qui l’accompagnent sont toutes de Jean-François Bert. 2. Jean Izoulet-Loubatières (1854-1929), nor- malien, agrégé de philosophie, élu en 1897 à la chaire de philosophie sociale. Il est le traducteur des Héros, le culte des héros et l’héroïque dans l’histoire de Thomas Carlyle (1888) et des Hommes représentatifs. Les surhumains de Ralph Waldo Emerson (1895). Sa leçon inaugurale au Collège de France a été publiée en 1898 sous le titre « Les quatre problèmes sociaux » dans le Mercure de France (Izoulet 1898). 3. Le livre d’Izoulet n’a pas été remarqué par ses « qualités sociologiques ». Les comptes rendus, tel celui de la Revue de métaphysique et de morale, sont même sévères : « Ton oracu- laire et apocalyptique, singularités typogra- phiques, etc. […] La conception de M. Izoulet est une conception éclectique, inspirée à la fois de Leibniz et de Spencer, qui réconcilie le matérialisme et le spiritualisme, l’univers et l’homme, l’individu et la société, en intro- duisant partout l’enthousiasme de l’opti- miste – et sa facilité à se satisfaire. C’est en définitive, rendre service au grand public que de vulgariser une doctrine animée d’un esprit large et d’où émane “une belle espérance” » (Revue de métaphysique et de morale, t. 3, n° 5, 1895, pp. 1-2). 4. Durkheim se présenta une seconde fois au Collège de France en 1905. Bergson appuya sa candidature, mais ses efforts n’ont pas suffi à éviter que les historiens et les littéraires décident de créer une chaire d’histoire et des antiquités nationales qui sera confiée à Camille Jullian. 5. Lettre de juillet 1897. 6. Le texte a été découvert en mai 2012. 7. Voir aussi Marcel Fournier (1996) ; Christophe Charle et Christine Delangle (1987). 8. « Je uploads/Philosophie/lecon-inaugurale-au-college-de-france-marcel-mauss-terrain-pdf.pdf

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