1 Journées d’études INRP-GÉDIAPS Vingt ans de recherche en didactique de l’Éduc
1 Journées d’études INRP-GÉDIAPS Vingt ans de recherche en didactique de l’Éducation Physique et Sportive à l’INRP (1983-2003) Didactique et formation des enseignants Yves Chevallard Paris, 20 mars 2003 1. Qu’est-ce que la didactique ? 1.1. Cet exposé est organisé en une suite d’assertions apportant des éléments de réponse à un certain nombre d’interrogations. En écho à la question qui ouvre mon propos – qu’est-ce que la didactique ? –, je donne tout de suite une première définition : la didactique est la science de la diffusion (et de la non-diffusion, voire de la rétention) des connaissances, savoirs et pratiques dans un groupe humain déterminé – une classe scolaire, « la » société, une institution, etc. 1.2. La didactique est une science. Elle procède d’une ambition, d’une volonté, d’un projet historique que j’articulerai plus loin avec une autre volonté – changer le métier d’enseignant. Cela noté, la didactique se construit à l’instar des autres sciences, c’est-à-dire non pas comme un clone d’autres sciences, qu’elle singerait servilement, selon une propension, hélas ! courante dans le continent des sciences humaines et sociales, mais en inventant sa spécificité scientifique, sa manière propre de « faire science ». 1.3. La didactique s’articule – plutôt qu’elle ne se fragmente – en diverses sciences didactiques en fonction de la « matière » – connaissances, savoirs, pratiques – dont elle étudie la diffusion. 1.3.1. Par son objet général, elle participe du continent des sciences anthropologiques. Par ses objets particuliers, qui parcourent toute la gamme des connaissances, savoirs et pratiques, elle ressortit aux différentes disciplines qui organisent, le cas échéant, les connaissances et pratiques dont elle étudie la diffusion sociale. Ainsi peut-on parler de didactique des APS, de didactique des mathématiques, de didactique de la langue française, de didactique de l’histoire, de didactique des soins infirmiers, etc. 1.3.2. La plupart des didactiques sont, de par leur objet, « codisciplinaires », en cela qu’elles conjuguent – d’une manière déterminée par les problèmes qu’elles étudient – plusieurs disciplines établies. 2. Quels sont les objets fondamentaux de la didactique ? 2.1. Les praxéologies 2.1.1. La « matière » dont la didactique – dont une didactique, dont telle ou telle didactique – étudie la diffusion a été subsumée plus haut sous l’expression de « connaissances, savoirs et pratiques ». On retiendra d’abord de cela que les didactiques s’occupent des pratiques et pas seulement des connaissances et savoirs qui les fondent et les « encadrent ». 2 2.1.2. En lieu et place de l’expression « connaissances, savoirs et pratiques », j’emploie d’ordinaire un mot qui a le mérite de condenser cette tension et cette solidarité : le mot de praxéologie, qui désigne dans un même souffle la praxis, le savoir-faire, et le logos, le savoir, qui l’accompagne. Le premier objet de la didactique, ce sont donc les praxéologies1. La didactique s’occupe de la diffusion (et de la rétention, de la non-diffusion) des praxéologies. 2.2. Diffusion et transposition 2.2.1. La notion de diffusion constitue un autre objet de la didactique. La didactique étudie les conditions et les mécanismes possibles de la diffusion d’une praxéologie, constituée en un point A de l’espace social, jusqu’en un point B, et donc aussi de leur non-diffusion : pourquoi, en tel groupe humain, sait-on telle chose et ignore-t-on telle autre chose ? Pourquoi sait-on y faire telle chose et pas telle autre ? 2.2.2. Entre diffusion et non-diffusion, de nombreux intermédiaires sont possibles. Si l’on note / la praxéologie constituée en un point A, la praxéologie reconstituée en un point B pourra s’écrire par exemple /L : la praxis est bien la même, mais le logos a changé. Cette praxéologie pourra encore s’écrire P/, avec, donc, un logos maintenu, mais une praxis modifiée, qui, parfois, sera même vidée de sa substance (P ). Plus généralement, la praxéologie reconstituée en B s’écrira P/L, formule qui, pour vague qu’elle soit, définit la notion de transposition : la transposition est une reconstruction. Le « point A » étant en fait une certaine institution sociale A, et le point B quelque autre institution de la société, la diffusion de / de A vers B réalise une transposition institutionnelle de la praxéologie /. En d’autres termes, la diffusion des « connaissances, savoirs et pratiques » se fait par transposition des praxéologies correspondantes. L’étude des mécanismes et des conditions de la transposition institutionnelle constitue le cœur de la science didactique. 2.2.3. À côté du type de praxéologies dont elle étudie la diffusion (APS, soins infirmiers, etc.), une didactique se spécifie encore par l’aire de diffusion dont elle se soucie. Ainsi y a-t- il des didactiques scolaires, elles-mêmes multiples selon qu’on étudie la diffusion de telle praxéologie dans telle classe en telle discipline (en 4e en mathématiques, en 4e en français, etc.) – c’est là l’usage commun –, ou dans telle classe (en 4e, etc.) entendue comme complexe plus ou moins intégré de systèmes didactiques disciplinaires (mathématiques, français, etc.), ou même, par delà les classes qui le composent, dans tel cursus studiorum. 2.3. La dialectique des institutions et des personnes 2.3.1. C’est par le truchement des institutions que les praxéologies parviennent jusqu’aux personnes, acteurs des institutions : on ne peut comprendre les apprentissages personnels si l’on ne cherche pas à comprendre les apprentissages institutionnels. De même, on ne peut 1 On évitera de confondre cet emploi du mot, aussi ouvert qu’il est possible, avec d’autres emplois, plus fermés, que l’on trouve aujourd’hui dans certains secteurs de la formation. Le mot de praxéologie a été utilisé par l’économiste libéral américain d’origine autrichienne Ludwig von Mises (1881-1973), dans un ouvrage paru en 1949 aux États-Unis sous le titre Human Action: A Treatise On Economics. Ce mot y désigne, grosso modo, « la science de l’action humaine », telle du moins que l’entendait von Mises. Approfondie par divers auteurs – tel le Polonais Tadeusz Kotarbinski (1886-1981), dont paraît en 1965 l’ouvrage Praxiology: An Introduction to the Sciences of Efficient Action –, l’approche de von Mises, et le mot qui la porte, sont passés du domaine économique au domaine religieux (notamment en Amérique du Nord) et, de là, se sont insinués jusque dans le domaine de la formation.. L’emploi du mot praxéologie en théorie anthropologique du didactique n’appartient en rien à cette lignée notionnelle, quelque intérêt que celle-ci puisse présenter par ailleurs. 3 comprendre les échecs d’apprentissage personnels sans prendre en compte les refus ou les impossibilités de connaître de certaines institutions dont la personne est le sujet2. Il y a, dans la diffusion des connaissances (et des ignorances) et des pratiques (et des incapacités), une dialectique indépassable entre personnes et institutions. 2.3.2. C’est ainsi que nombre d’élèves apprennent moins de leur professeur, directement, que, indirectement, de quelques-uns de leurs camarades, par exemple parce qu’ils ne s’autorisent pas à soutenir avec le professeur un rapport direct, duel, qui les exposerait, à biens des égards, d’une manière vécue par eux comme peu supportable. 2.3.3. Plus généralement, un élève apprend (ou n’apprend pas) « grâce à » (ou « à cause de ») ses camarades de classe, ses camarades d’autres classes, et aussi « grâce à » (ou « à cause de ») ses parents, etc. Les apprentissages sont un changement qu’on assume ensemble (ou qu’on n’assume pas) au sein d’une tribu en mouvement – en principe le « groupe-classe » –, condition sans laquelle, à tenter d’apprendre tout seul, dans un dialogue socratique avec le maître, on risquerait de rompre des liens – à la famille, au quartier, au groupe d’âge, à la bande de copains, etc. – vécus comme vitaux, parce que fondateurs d’identité. 2.4. Percolation et situations institutionnelles de percolation 2.4.1. L’analyse de la dialectique « didactique » des personnes et des institutions conduit à déconstruire la vision dominante en matière de diffusion de connaissances, celle d’une diffusion radiale, où les connaissances sont supposées aller directement d’un « centre de diffusion » à chacun des « destinataires » visés – par exemple du professeur aux élèves de la classe. 2.4.2. Contre ce modèle dominant, j’avance un modèle de percolation, selon le mot introduit en 1957 par le mathématicien anglais J.M. Hammersley3. Les praxéologies « percolent » d’une institution à une autre, et elles percolent dans une institution donnée – une classe par exemple –, parvenant ainsi aux acteurs de l’institution selon des trajets variés, souvent multiples. 2.4.3. La diffusion par transmission interpersonnelle directe est un cas particulier relativement rare de percolation. Parler de percolation permet de regarder précisément les phénomènes de diffusion (et de non-diffusion) comme des problèmes (de didactique), dont tant les conditions que les mécanismes sont à élucider (par la didactique). Dans quels cas les situations institutionnelles fonctionnent-elles comme situations de percolation ? Sous quelles conditions et par quels moyens est-il possible qu’advienne, en une institution donnée, une situation didactique, c’est-à-dire une situation de percolation voulue comme telle par quelque instance institutionnelle ou personnelle – quel que soit le sentiment de ceux auprès de qui elle vise à diffuser tel fragment d’organisation praxéologique ? (On verra qu’en fait une situation de 2 La double uploads/Philosophie/ chevellard-didactique-et-formation-des-enseignants-2003 1 .pdf
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