/ LES BASES Dü SYSTÈME DE LA PHILOSOPHIE MORALE DE GüYAU THÈSE présentée à la F

/ LES BASES Dü SYSTÈME DE LA PHILOSOPHIE MORALE DE GüYAU THÈSE présentée à la Faculté de Philosophie de l’Université de Berne par LADISLAS SPASOWSKI originaire de Jakobowszczyzna (Russie Blanche). Acceptée par la dite Faculté sur la proposition de M. le Prof. Dr. L. STEIN. Berne/ le 13 mai 1908. Le Doyen: Prof. Dr. Studer. VARSOVIE Imprimerie de Ch. Kowalewski, Mazowiecka 8. 1908 A Eugénie, vaillante compagne de ma vie. L. S. f- ï A I î ! ) tv Introduction} La philosophie de Jean-Marie Guy au peut être définie, d’une manière générale: philosophie des valeurs (Wertungsphilosophie)1). L’essence de cet¬ te philosophie, M. Harald Hôffding l’exprime2) avec *) La véritable théorie ou philosophie des valeurs naquit en Autriche et en Allemagne pendant les derniers trente ans. Guyau n'a jamais employé ce terme pour désigner sa philo¬ sophie ou son éthique. C’est en se plaçant à ce nouveau point de vue dans la classification des directions de la pensée philo¬ sophique que nous rangeons Guyau parmi les penseurs qui agi¬ tent la question des valeurs. Outre cet élément distinctif entre Guyau et les philosophes qui posent avec conscience les fonde¬ ments de la théorie des valeurs il faut souligner encore le fait de grande importance, à savoir que tandis que Guyau appuya son éthique sur la biologie, le point de départ des penseurs alle¬ mands est toujours la psychologie. Windelband, le premier, a défini la philosophie „als die kritische Wissenschaft von den allgemeingiltigen Werten“ (Prâludien, II éd, 19011). L’idée de valeur avec ses diverses applications est soumise à une ana¬ lyse très approfondie par A. Meinong (Psychologisch-ethische Untersuchungen zur Werttheorie, 1894); Ch. v. Ehrenfels donne une analyse détaillée de la théorie des valeurs dans son «System der WerttheorieK, 2 vol. 1897—1898; il difinie j l’éthique comme psychologie des faits moraux de valeur. Voirlaussi Fr. Brentano (Von Ursprung sittlicher Erkentniss, 1889),LKitschl (Ueber Werthurtheile, 1895). 2) H. Hbffding. Moderne Philosopher 19u5. justesse par la formule d’Avenarius E>R, qui nous représente schématiquement ce fait qu’au fond de l’ê¬ tre vivant peut exister un surplus de tension et de po¬ tentiel conduisant, entre autre, à l’estimation de l’exi¬ stence et poussant l’esprit à dépasser les limites don¬ nées de la réalité. En vertu de cela tout système des valeurs, et au plus fort degré les systèmes de génie, U- établissant les normes de la vie, du bien, du beau, de la vérité etc., trahissent inévitablement des traits sub¬ jectifs de leurs auteurs („équation personellç”). C’est bien cet élément subjectif et créateur de toute philo¬ sophie des valeurs qui nous force à nous mettre vis-à- vis du système de Guyau à un tel point de vue qui, par l’application de la méthode évolutionniste, nous permetterait de dévoiler la genèse réelle de ses cri¬ tères essentiels et d’en acquérir une juste appréhension et estimation. Avant d’aborder notre tâche propre, à savoir l’examen des bases de la philosophie morale de Guyau, nous essayerons donc d’abord de représen¬ ter brièvement le développement de son intelligence et sa conception de la philosophie. L’esprit de Guyau, comme celui de Pascal, de Berkeley, de John St. Mill montra de très bonne heure de brillantes dispositions et, comme l’affirme M. Fouil¬ lée, directeur de ses études classiques, devenu après l’apologète de sa philosophie, c’est déjà à l’âge de quin¬ ze ans qu’ „il platonisait avec une élévation d’esprit et une pénétration incroyables chez un adolescent"... „tout rempli de cette „ardeur divine” dont parle Platon dans le Parménide, ©eta opp^"1). De sa prime jeunesse, do- ') A. Fouillée. La morale, l’art et la religion d’après Guyau. Y éd., 1904, pp. VII, I. 7 miné par le désir de résoudre l’énigme du bien et du mal dans l’univers, il s’était versé d’abord dans la phi¬ losophie des idées de Platon, puis s’est mis à exami¬ ner et compléter la doctrine néoplatonicienne „icpôo?oçuy enfin il a cherché le salut dans la philosophie kan¬ tienne et dans l’éthique des stoïciens. L’influence de l’idéalisme platonicien, ainsi que de l’idéalisme critique de Kant et du stoïcisme antique imprimèrent pour toujours leur sceau sur l’intelligence de Guy au 1). Mais peu après se dessine une phase nouvelle et importan¬ te dans sa conception du monde. En 1874 (à l’âge de 19 ans) son „Mémoire sur les utilitaires” est couronné par l’Académie des sciences morales et politiques. Le commerce avec les utilitaires et les positivistes de tous temps et l’examen critique des connaissances, acquises pendant les quelques années qu’il consacra au développement de son mémoire de concours, exercent une influence décisive sur l’esprit de Guyau et sur la direction ultérieure de sa pensée philosophique. En 1878 paraît „La morale d’Epicure et ses rapports avec les doctrines contemporaines”, en 1879 „La morale anglaise contemporaine", oeuvre pleine de pensées ori¬ ginales, et ces deux livres conquèrent la critique à ce point que M. Boirac déjà à propos du premier d’entre eux avait écrit aussitôt, „qu’il fait honneur à la philo¬ sophie française contemporaine” 2). C’était une épo- ‘) L’influence de cet idéalisme à outrance se montra tout naturellement d’abord dans ses deux essais de jeunesse (Étude sur la philosophie d’Épictète" et .Stoïcisme et christianisme. Épictète, Marc-Aurèle et Pascal"), comme compléments de sa traduction du „Manuel d’Épictète". 2) Revue philosophique, 1878, VI, pp. 646-648, 513—522. 8 que critique pour le développement de sa conception philosophique: non seulement il a brillamment exposé *) et soumis à une critique de fond les principaux sy¬ stèmes sensualistes et naturalistes depuis Épicure jusqu’à Darwin et Spencer, mais il a entrepris une confrontation audacieuse et féconde des principes de l’éthique idéaliste avec ceux de la morale réaliste. Depuis ce temps, l’influence de l’école naturaliste a fra¬ yé une direction de son système original de philoso¬ phie, et dans sa morale se produisit une métamor¬ phose radicale de l’idéalisme philoso¬ phique transcendant dans l’idéalisme é t h i c o-p sychologique. L’optimisme platonicien avec les idéals d’adolescence croulèrent. Le point de vue scientifique du penseur moderne triompha. Avec toute la sincérité de sa nature, Guyau s’était mis à développer la vérité nouvelle, „prêt à /recommencer . tout son travail d’autrefois, à rompre avec son passé, plein de cette tranquillité que la nature apporte dans ses métamorphoses et qui ne compte pour rien les souffrances du moi, ses préjugés évanouis ou ses espérances brisées” * 2). En même temps la loi de l’é¬ volution s’impose avec toute sa puissance à sa conce¬ ption du monde. Il prévoit un moment, quand les hypothèses de l’évolution et de la sélection seront universellement admises, comme c’est le cas aujourd’¬ hui pour l’hypothèse newtonienne de gravitation. „I1 devient alors aussi absurde de vouloir construire *) Voir Ja lettre de Spencer à Guyau, citée par Fouillée La morale, l'art. etc,“ p. 89. 2) La morale angl. contemp., 4 éd., 1900 p. IX. 9 sans elles un système de morale, qu’il le serait de con¬ struire un système d’astronomie en supposant les astres immobiles ou le soleil tournant autour de la terre" !). Il se fait le défenseur le plus convaincu, in¬ fatigable, le plus conséquent et original en France de la loi de l’évolution, remaniée et complétée par lui, et la met pour base de tout son système philosophique — de l’éthique, de l’éducation, de l’art, de la philo¬ sophie de la religion et de la métaphysique. „L’é¬ volutionnisme de Guyau embrasse toute la science actuelle aussi bien que celle de l’avenir. La méthode consiste à procéder de manière à épuiser d’abord tout ce qu’a établi la science contemporaine, puis à élargir ces résultats par la voie inductive conformé¬ ment aux principes de l’évolution” * 2). Après la période critique commence celle de la création originale et féconde sans exemple, interrom¬ pue par la mort prématurée du philosophe à l’âge de 33 ans (1888): en 1881 paraissent „Vers d’un philo¬ sophe”, puis „Les problèmes de l’esthétique contempo¬ raine” (1884), „Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction” (1885), „L’irréligion de l’avenir” (1887), enfin les oeuvres posthumes—„Education et hériditê” (1889), „L’art au point de vue sociologique” (1889), „La genèse de l’idée de temps” (1890). Cette fécondité philoso¬ phique a revêtu chez Guyau des formes artistiques. Etant de nature non seulement philosophe, mais aussi poète, unissant dans son esprit non seule¬ ment l’intelligence profonde de la science moderne, •) La morale angl. eontemp., p. 186. 2) Friedrich Ueberwegs Grundriss der Gesehichte der Phi- osophie des neunzenten Jahrhunderts, IX Atif., 1902, p. 394. niais encore la connaissance de première main du monde hellénique, doué d’un talent d’écrivain très émi¬ nent, Guyau a créé une série d’oeuvres philosophiques qu’on a nommées avec justesse des oeuvres d’art. Mais ce n’est pas le côté artistique qui constitue, d’après nous, l’essence de la création de Guyau. Au fond d’elle demeure, comme cela a bien compris M. Tarozzi, le point de vue moral: „Negli intenti eglié sopratutto un moralista” *). Du reste „il a été partout, —affirme un autre critique 2) —il n’est pas, si l’on peut dire, un seul des sommets de la philosophie où il n’ait hardiment posé le pied, où il n’ait uploads/Philosophie/les-bases-de-la-morale-de-guyau-pdf.pdf

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