PHANTASIA ET PHANTASMA CHEZ PLATON Bernard Collette P.U.F. | Les Études philoso

PHANTASIA ET PHANTASMA CHEZ PLATON Bernard Collette P.U.F. | Les Études philosophiques 2006/1 - n° 76 pages 89 à 89 ISSN 0014-2166 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2006-1-page-89.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Collette Bernard, « Phantasia et phantasma chez Platon », Les Études philosophiques, 2006/1 n° 76, p. 89-89. DOI : 10.3917/leph.061.0089 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour P.U.F.. © P.U.F.. Tous droits réservés pour tous pays. 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Sous l’amas d’illusions qu’à tout instant son imagination lui dictait, il croyait voir saillir un point nodal, un noyau inconnu qu’il tou- chait du doigt mais qui toujours lui manquait à l’instant où il allait y aboutir. » G. Perec, La disparition. Présentation Cet article a pour objet deux notions qui, bien que n’ayant jusqu’à ce jour suscité qu’un nombre restreint d’études1, jouent cependant un rôle majeur dans la psychologie et l’épistémologie platoniciennes. Il s’agit des notions de phantasia et de phantasma. Mon but est ici, premièrement, d’exposer et d’expliciter les définitions que Platon donne de ces notions dans le Sophiste et, deuxièmement, de montrer comment elles s’articulent Les Études philosophiques, no 1/2006 1. À ma connaissance, il n’existe que deux articles ayant pour objet direct l’étude de la phantasia chez Platon, à savoir celui de A. Silverman, « Plato on Phantasia », Classical Antiquity, vol. 10, 1991, p. 123-147, et celui de J. Follon, « La notion de phantasia chez Platon », dans De la phantasia à l’imagination, D. Lories et L. Rizzerio (éd.), Peeters, Louvain - Namur - Paris - Dudley, Ma, 2003, p. 1-14. En outre, on trouve l’article de K. Lycos, « Aristotle and Plato on “Appearing” », Mind, 73, 1964, p. 496-514, article qui confronte la position que tient Platon dans le Sophiste avec la critique qu’en fait Aristote dans son De Anima (G 3, 427 a 24 - 428 b 9). La notion de phantasia a toutefois fait l’objet d’une étude fouillée par G. Watson, Phantasia in Classical Thought, Galway, Galway University Press, 1988, 176 p. et par J. Barnouw, Propositio- nal Perception. Phantasia, Predication and Sign in Plato, Aristotle and the Stoics, Lanham, University Press of America, 2002, 383 p. La majorité des occurrences de phantasia se trouvant dans le Sophiste (4 sur 7 en tout), certains commentaires de ce dialogue traitent également de la phanta- sia, tel celui de M. Dixsaut dans son article « La dernière définition du sophiste (Sophiste, 256 b - 268 d) », dans Platon et la question de la pensée. Études Platoniciennes I, Paris, Vrin, 2000, p. 270-309, ou encore celui de N. Notomi dans son ouvrage The Unity of Plato’s Sophist. Between the Sophist and the Philosopher, Cambridge, Cambridge University Press, 1999. Concernant la notion de phantasma, outre les études qui viennent d’être citées, on consultera avec profit l’article de A. Vasiliu, « Dire l’image ou la parole visible chez Platon (sur le Sophiste, 216 a - 241 e) », Dionysius, 19, 2001, p. 75-112. Cette dernière étude, même si elle ne traite pas spécifi- quement de la notion de phantasma, retrace avec pertinence le lien que Platon révèle, dans le Sophiste, entre le non-être compris comme l’autre de l’être et la notion d’image dans ses mul- tiples formulations (comme eedwlon, eck°n, tApoV, pl0sma ou encore j0ntasma). Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Galatasaray - - 194.27.192.7 - 26/06/2014 22h30. © P.U.F. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Galatasaray - - 194.27.192.7 - 26/06/2014 22h30. © P.U.F. mutuellement. Ce faisant, j’entends également montrer qu’il existe une véri- table unité de vue, dans le corpus platonicien, sur ces deux notions. La phantasia trouve sa définition dans le Sophiste comme « opinion s’exprimant par l’intermédiaire d’une sensation ». Mais la notion de phantasia n’est pas pour autant absente des dialogues antérieurs. Déjà, dans la Répu- blique, se fait jour la distinction entre phantasia trompeuse et non trompeuse. La phantasia trompeuse est celle par laquelle l’âme se trompe elle-même en soutenant une doxa fausse. Par là, apparaît déjà au grand jour le rôle crucial joué par l’opinion (doxa) dans la phantasia, c’est-à-dire dans la manière dont le réel extérieur « m’apparaît ». Quant au phantasma, j’entends montrer que si, dans un premier temps, Platon a pu l’identifier à la phantasia, il fut par la suite et de manière définitive distingué de celle-ci et défini comme l’image d’une phantasia. Toutefois, il s’agit d’une image qui, parce qu’elle mime l’apparaître, ne se présente jamais comme image mais bien comme la chose même. Cette capacité à se substi- tuer au réel trouvera, dans le Philèbe, sa pleine explication, lorsque Platon nommera phantasmata les images que produit l’imagination en l’absence de la sensation. I. La phantasia Avant de donner, avec Platon, la définition de la phantasia, il me paraît d’abord nécessaire d’analyser la problématique en laquelle cette définition puise sa source et d’où elle tire sa nécessité. Cette problématique est impor- tante puisqu’elle concerne et met en jeu l’un des piliers de la philosophie pla- tonicienne, à savoir l’entretien dialectique (le dial@gesqai). Tout commence dans le Théétète, lorsque Théétète propose à Socrate une première définition de ce qu’est la science : « La science, déclare-t-il, n’est pas autre chose que la sensation (o£k 5llo tB Cstin CpistPmh V aesqhsiV » (Théétète, 151 e 2-3). Or, cette définition est immédiatement identifiée par Socrate à la parole de Protagoras selon laquelle « l’homme est la mesure de toutes cho- ses ; pour celles qui sont, mesure de leur être, pour celles qui ne sont point, mesure de leur non-être » (Théétète, 152 a 2-4, trad. A. Diès). Ce qui nous inté- resse ici est l’interprétation qu’en donne Socrate, et que celui-ci reprend directement à Protagoras : « Telles tour à tour m’apparaissent (Cmoa jaBnetai) chaque chose, telles elles sont pour moi (Estin CmoB) ; telles elles t’apparais- sent, telles elles sont pour toi », puisque toi comme moi sommes des hom- mes (Théétète, 152 a 6-8). Autrement dit, pour Protagoras l’apparaître est iden- tique à l’être de la chose. C’est sur cette base que va surgir une première définition de la phantasia, qui l’identifie à la sensation : « — SOCRATE : Que sera, en ce moment, par soi-même, le vent ? Dirons-nous qu’il est froid, qu’il n’est pas froid ? Ou bien accorderons-nous à Protagoras qu’à celui qui frissonne, il est froid ; qu’à l’autre, il ne l’est pas ? — THÉÉTÈTE : C’est vrai- semblable. — SO. : N’apparaît-il pas (o£ko¢n kaa jaBnetai) tel à l’un et à l’autre ? — 90 Bernard Collette Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Galatasaray - - 194.27.192.7 - 26/06/2014 22h30. © P.U.F. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Galatasaray - - 194.27.192.7 - 26/06/2014 22h30. © P.U.F. TH. : Si. — SO. : Or ce “il apparaît” (tq d@ ge “jaBnetai”), c’est “il est senti” (acsq0netai) ? — TH. : Effectivement. — SO. : Donc, phantasia et sensation sont identiques (jantasBa 5ra kaa aesqhsiV ta£tpn), pour la chaleur et autres états sem- blables. Tels chacun les sent, tels aussi, à chacun, ils risquent d’être » (Théétète, 152 b 6 - c 3, trad. A. Diès, modifiée). On remarquera tout d’abord que, dans ce texte, le terme « phantasia » est considéré comme équivalent à l’expression « il m’apparaît (phainetai) ». Cette équivalence étant également affirmée dans le Sophiste (cf. 264 b 1), nous pou- vons la considérer comme acquise. Ainsi, la phantasia n’est rien de moins que la manière dont nous apparaissent les choses, c’est-à-dire dont nous les perce- vons1. Reste encore à savoir ce qu’il en est réellement de cette perception. Selon Protagoras, il ne s’agit ni plus ni moins que de la sensation (T aesqhsiV). La raison en est que, pour ce dernier, la phantasia doit nécessaire- ment être d’une nature non trompeuse et infaillible, puisqu’elle est l’instrument de mesure (le kritPrion, cf. Théétète, 178 b 6) par lequel l’homme « juge » le réel et par lequel le réel se révèle2. S’il y a « identité » (cf. ta£tpn, 152 c 1) entre phantasia et sensation, selon Protagoras, ce n’est toutefois pas au sens où les deux notions recouvreraient une seule et même réalité. En effet, la définition de uploads/Philosophie/ phantasia-et-phantasma-chez-platon.pdf

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