Du même auteur La rhétorique du maire-entrepreneur, critique de la communicatio
Du même auteur La rhétorique du maire-entrepreneur, critique de la communication municipale, Pédone, coll. « Vie locale », 1992. Le métier d’élu local (dir. avec J. Fontaine), L’Harmattan, coll. « Logiques politiques », 1994. La citoyenneté étudiante (avec P. Merle), PUF, coll. « Politique aujourd’hui », 1996. Le discours politique, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1998. Les fans des Beatles, sociologie d’une passion (avec J.-C. Ambroise), Presses Universitaires de Rennes, coll. « Le sens social », 2000. Les maires, sociologie d’un rôle, Septentrion, coll. « Espaces politiques », 2003. La proximité en politique (dir. avec R. Lefebvre), PUR, coll. « Res Publica », 2005. L’individualisation, Presses de sciences Po, coll. « Références », 2008. L’individu aujourd’hui : débats sociologiques et contrepoints philosophiques (dir. avec P. Corcuff et F. de Singly), PUR, coll. « Res Publica », 2010. La politique en librairie : les stratégies de publication des professionnels de la politique, A. Colin, coll. « Recherches », 2012. L’ego-politique ; essai sur l’individualisation du champ politique, A. Colin, coll. « Individu et société », 2013. Les mots de la vie politique locale, PU Mirail, 2014. Discours, identité et leadership présidentiel (dir. avec M. Donot et Y. Serrano), L’Harmattan, 2017. COLLECTION « INDIVIDU ET SOCIÉTÉ » Sous la direction de François de Singly Maquette de couverture : © Le Petit Atelier Illustration de couverture : President Obama Addresses The Nation On The Connecticut School Shooting © Alex Wrong/Getty Images © Armand Colin, 2018 Armand Colin est une marque de Dunod Éditeur, 11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff ISBN : 978-2-200-62265-7 www.armand-colin.com à Isa, Eloïse, Delphine, Camille et Corentin Sommaire Sommaire Introduction Gouverner les émotions, gouverner par les émotions 1. La régulation étatique des émotions 2. L’exemplarité émotionnelle des gouvernants 3. La sanction des émotions déplacées 4. La revanche des émotions 5. Des émotions stratégiques ? 6. Une démocratie émotionnelle ? Conclusion Bibliographie Table des matières Introduction Gouverner les émotions, gouverner par les émotions Le 14 mai 2017, Emmanuel Macron fait son entrée à l’Élysée. Comme le veut l’usage, il salue à cette occasion ceux qui l’ont accompagné tout au long de la campagne présidentielle. Parmi eux, Gérard Collomb, maire de Lyon, futur ministre de l’Intérieur, l’un des premiers à avoir soutenu le leader d’En Marche ! L’échange entre les deux hommes, filmé de près par les caméras de télévision, est particulièrement chaleureux. Le nouvel élu pose une main amicale sur la joue de son aîné ; il n’en faut pas plus pour que l’émotion « submerge » (c’est le terme qui sera le plus souvent utilisé par les commentateurs) Gérard Collomb. Celui que le site 20 minutes crédite d’un « humour pince-sans-rire » et d’une réelle « maîtrise devant les caméras de télévision » ne peut retenir ses larmes. S’il ne constitue pas l’ordinaire de la vie politique, un tel surgissement de l’émotion n’a rien d’exceptionnel. Les larmes de Christine Boutin, les fous rires de Christiane Taubira, les colères de Philippe Seguin, les indignations de Jean-Luc Mélenchon… Les personnalités politiques laissent parfois transparaître des émotions. Les journalistes et commentateurs sont prompts à pointer ces écarts généreusement relayés par Internet, moins pour s’en offusquer la plupart du temps que pour s’en amuser, façon de rappeler que les puissants sont au fond semblables à ceux qu’ils gouvernent. Comme chacun d’entre nous, monsieur le député ou madame la ministre peuvent être saisis par l’émotion y compris dans l’accomplissement de leur métier. Ce surgissement de l’émotion est en principe éphémère, il ouvre une parenthèse qui se referme aussitôt, et l’on passe à autre chose. Car l’émotion brute n’a pas sa place en politique. Cet univers est censé être placé sous le signe de la rationalité et du contrôle de soi : c’est rationnellement que les gouvernants décident, c’est rationnellement que la puissance publique intervient pour produire un ordre social cohérent, et c’est rationnellement bien sûr que les citoyens effectuent leur choix dans l’isoloir. En politique, l’émotion est incongrue. Et pourtant… Le temps n’est plus de la retenue et du sang-froid à toute épreuve. Quand Simone Veil, il y a de cela quarante ans, devait se défendre d’avoir versé une larme d’épuisement à la tribune de l’Assemblée au plus fort du combat pour l’IVG, Christine Boutin peut au contraire tirer argument des larmes versées face à Lionel Jospin en 1998 : luttant seule contre le gouvernement et le projet de PACS, elle parvient à émouvoir. Entre 1975 et 1998, notre sensibilité a évolué ; les gouvernants peuvent davantage que par le passé donner libre cours à leurs émotions. Ils peuvent pleurer, peut-être même doivent-ils pleurer pour attirer notre sympathie… Depuis cette période, la tendance à l’expressivité s’est encore accentuée, comme en témoigne ce moment fort de la vie politique que fut le second tour de l’élection présidentielle de 2007 : face-à-face, deux personnalités politiques, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, particulièrement habiles à mettre en avant leurs émotions. Notre démocratie est devenue émotionnelle, comme l’a confirmé la dernière élection présidentielle : entre Benoît Hamon se donnant pour mission (et pour slogan) de « faire battre le cœur de la France », Emmanuel Macron qui en appelle à la « fierté d’être Français », Jean-Luc Mélenchon qui déclare « connaître la colère » du peuple, François Fillon qui a entendu ses « cris du cœur » et qui voit la « colère qui monte », ou encore Nicolas Dupont-Aignan qui demande aux électeurs de « serrer sur leur cœur le bonheur d’être Français », le discours de campagne est tissé d’émotions 1. Si l’on quitte le petit monde des personnalités politiques pour observer la vie politique en général, on aperçoit rapidement que les émotions sont également, et depuis longtemps, omniprésentes. Enthousiasme des militants, colère des manifestants, tristesse d’un candidat battu… La peur, la joie, la haine, la honte, le ressentiment, le dégoût… toutes les émotions qui pimentent (ou qui empoisonnent) l’activité humaine connaissent des déclinaisons politiques, pour le meilleur ou pour le pire. Comment par exemple ne pas suivre l’anthropologue Marc Abélès (2005) lorsqu’il insiste sur la « cruauté » du jeu politique ? Non, la politique n’est pas un métier comme les autres ; « Entrer en politique, c’est d’abord et avant tout s’exposer » (p. 8). Si les régimes démocratiques peuvent apparaître comme relativement apaisés au regard des passions extrêmes déchaînées par les grands totalitarismes et par les guerres du XXe siècle, ils se situent très loin de l’idéal de pure rationalité qui avait pu inspirer certaines utopies politiques du XIXe siècle. Les émotions politiques y sont peut-être « de basse intensité » (Godmer, 2017), mais elles sont bien présentes. La politique n’est pas une science, l’art de gouverner n’est pas réductible à l’expression d’une pure rationalité, et les citoyens ne sont évidemment pas de purs homos economicus choisissant froidement entre des programmes. La politique est de part en part travaillée par les émotions ; tout au plus peut- on, dans le meilleur des cas, juger les gouvernants ou les gouvernés raisonnables, ce qui est une façon prudente de dire que rationalité et émotions se conjuguent en une alchimie complexe (et doit-on d’ailleurs opposer émotions et rationalité ?). La science contre l’émotion ? Malgré ces évidences, la science politique, au fil des premières décennies de son existence, a semblé considérer que la rationalité scientifique commandait de se méfier des émotions, celles du chercheur évidemment, mais aussi celles des acteurs sociaux étudiés. Obsédée par le désir de rendre compte des phénomènes politiques en termes cliniques, positivistes, la science politique a cherché à refroidir ses objets pour les rendre aussi redevables que possible d’une analyse objective. C’était confondre la démarche scientifique et son objet. À la différence des chercheurs, les électeurs, les militants, les élus n’ont aucune raison de proscrire les émotions de leur activité. La science politique s’est pourtant attachée à traquer la rationalité du côté de l’électeur choisissant entre plusieurs candidats, du côté du militant choisissant de s’investir plus ou moins, du côté du décideur choisissant une action publique plutôt qu’une autre. Si le paradigme de la rationalité a pu, se déployant de la sorte, produire un grand nombre de résultats incontestables (qu’il serait bien aventureux de prétendre résumer ici), il a en revanche montré ses limites en laissant dans l’obscurité une composante essentielle de toute vie politique 2. Pas besoin d’être spécialiste de l’enquête sociologique pour mesurer la part des affects dans les choix politiques que l’on vient d’évoquer. Quiconque a assisté à un meeting politique, à une manifestation, à une soirée électorale, sait la dimension émotionnelle de cet univers singulier, ce que confirme par exemple l’approche ethnographique (Bachelot, 2017 ; Godmer, 2017). La politique est tissée d’émotions, comme toutes les activités sociales sans doute (recherche scientifique y compris). Croire que la modernité a progressivement fait disparaître les émotions et que celles-ci seraient le propre des sociétés traditionnelles constitue un contresens aujourd’hui unanimement dénoncé mais très présent dans la sociologie d’après-guerre. « Selon un schéma largement accepté, regrettait ainsi Pierre Ansart en 1983, les communautés traditionnelles seraient unies par de forts liens affectifs uploads/Politique/ 1-4954063360812385117-pdf.pdf
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- Publié le Dec 21, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
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