De Verdun à Vichy, de héros à traîtres – évolution politique des anciens combat
De Verdun à Vichy, de héros à traîtres – évolution politique des anciens combattants AOC 2020. Par Julia Cagé, Anna Dagorret, Pauline Grosjean et Saumitra Jha ECONOMISTE, ECONOMISTE, ECONOMISTE, ECONOMISTE Le 6 janvier dernier, des militants pro-Trump envahissaient le Capitole. Un événement qui fait écho aux émeutes devant la Chambre des députés à Paris, le 6 février 1934. Des milliers de partisans de la droite défilent alors contre la République et contre la gauche, amalgamée avec le communisme, déclenchant une « guerre civile » qui affaiblit le pays. Tant et si bien que, six ans plus tard, l’une des plus anciennes démocraties au monde mourrait. En effet, le maréchal Philippe Pétain, élu à la tête d’un pouvoir autoritaire, collabore avec l’Allemagne nazie. Et pour ce faire, il s’appuie notamment sur des réseaux d’anciens combattants de la première guerre mondiale, qui lui sont dévoués corps et âme. Des milliers de partisans de la droite marchent en direction de la Chambre des députés. Ils défilent sous différentes bannières, dont celles d’organisations d’extrême droite ouvertement racistes. Certains manifestants prêtent foi aux rumeurs colportées par la presse de droite évoquant une conspiration de l’État profond, d’autres entendent procéder à une démonstration de force qui affaiblira ou renversera le gouvernement de gauche, porté au pouvoir par une faible majorité et que d’aucuns jugent communistes. D’autres encore manifestent contre les Juifs. Le véritable risque d’escalade de la manifestation, néanmoins, est dû à la présence de groupes très organisés d’anciens combattants dans ses rangs. publicité Parmi ces anciens combattants figurent des héros décorés qui ont beaucoup donné au service de leurs pays. Mais que devient leur engagement envers les valeurs et les processus démocratiques, dans un contexte où leur camp a perdu les élections ? Un parallèle évident peut être établi avec les événements survenus à Washington le 6 janvier 2021. Cependant, le 6 février 1934, la réaction de la police française à l’émeute devant le siège de la Chambre des députés fut plus violente que celle de la police du Capitole des États-Unis et, selon certains, témoignait de son sentiment de panique. La police ouvrit le feu, tuant 14 manifestants et en blessant 236. La gauche vit dans les événements une tentative de coup d’État, la droite dénonça l’oppression gouvernementale qui avait fait de ses partisans des martyrs de la liberté. Débuta alors en France une « guerre civile » qui affaiblirait considérablement la capacité du pays à répondre aux crises à venir. Tant et si bien que, six ans plus tard, l’une des plus anciennes démocraties au monde se donnerait la mort, ses représentants votant pour céder leur pouvoir à une dictature dirigée par le maréchal Philippe Pétain. Traité en héros pour avoir sauvé la France lors de la cruciale bataille de Verdun durant la première guerre mondiale, Pétain dirigerait le régime autoritaire et raciste de Vichy, qui collaborerait avec l’Allemagne nazie jusqu’à la libération de la France en 1944. La cuisante défaite militaire de la France en 1940 n’expliquait pas tout. Elle n’était sans doute qu’un symptôme supplémentaire d’un processus sous-jacent qui avait conduit à une érosion des valeurs démocratiques. À l’inverse d’autres États démocratiques tombés face aux nazis cette année- là, les représentants élus de la France renoncèrent à établir un gouvernement légitime en exil. Nombre d’entre eux semblaient plutôt convaincus que l’abandon de la démocratie représentait le prix à payer pour ouvrir la voie au « renouveau national » de la France. Des travaux récents montrent comment l’échec de jeunes démocraties, notamment l’Allemagne des années 1930, survient souvent lorsque des gardiens institutionnels permettent à d’aspirants despotes d’accéder légalement au pouvoir à la faveur d’un opportunisme à court terme (voir par exemple l’ouvrage de Levitsky et Ziblatt, How Democracies Die). Les démocraties tendent néanmoins à gagner en résilience avec le temps. Pour certains chercheurs, la diffusion des valeurs démocratiques parmi les citoyens joue un rôle essentiel dans cette résilience. On en sait beaucoup moins, en revanche, sur la façon dont s’érode le soutien aux valeurs démocratiques, y compris au sein de démocraties auparavant solides. Ce que nous montrons dans nos travaux, c’est que pour préserver les valeurs démocratiques et réduire la polarisation politique, il est nécessaire de comprendre l’importance de l’ancrage au sein des réseaux sociaux et économiques d’individus susceptibles d’exercer une influence politique. Au cours de l’histoire, l’héroïsme collectif offre un contexte propice à l’émergence de tels réseaux. Notre article de recherche, « De Verdun à Vichy, de héros à traîtres », s’appuie sur une « expérience naturelle », c’est-à-dire sur un choc historique nous permettant d’estimer l’effet causal d’un « héros » et la façon dont l’exposition à un tel héros a servi de fondement à un réseau d’individus dotés d’influence politique en France, un réseau de héros de guerre né de la rotation rapide (la fameuse noria) des régiments français sous le commandement direct de Philippe Pétain lors de la bataille de Verdun en 1916. Nous combinons cette expérience historique avec la construction et l’étude d’une base de données unique et récemment déclassifiée recensant plus de 95 314 Collaborateurs au cours de la seconde guerre mondiale, base constituée par le renseignement militaire de la France libre à la fin de la guerre[1]. Un réseau « exogène » de héros : la rotation des régiments lors de la bataille de Verdun Verdun, baptisée la « Stalingrad » de la première guerre mondiale, devint le symbole de la force morale et de la détermination à résister de la France. Au total, 305 440 soldats furent tués, soit pratiquement un mort par minute au cours des dix mois de ce qui s’avéra la plus longue bataille de l’histoire[2]. La signification profonde de la simple phrase « J’ai fait Verdun », largement adoptée parmi ses anciens combattants, était comprise dans tout le pays. L’offensive surprise de l’armée allemande à Verdun prend la France complètement au dépourvu, et entraîne le renvoi de quatre généraux en cinq jours. À la suite d’une décision prise « sur un coup de tête », le commandement est confié à Philippe Pétain (Alistair Horne, The Price of Glory : Verdun 1916, p. 129). Au début de la première guerre mondiale, Pétain, simple colonel alors âgé de 58 ans, s’apprête à prendre sa retraite après une carrière sans éclat. Il est affecté à Verdun du seul fait de sa disponibilité. Affecté à la tête d’une rotation arbitraire de régiments provenant de tout le pays, Pétain renforce la logistique et stabilise le front avant d’être promu et remplacé en mai 1916[3]. Lorsque la bataille prend fin en décembre, au moins un régiment ayant combattu à Verdun a été rattaché à 88,7 % des 34 947 municipalités françaises, et 50,1 % de ces régiments ont servi sous le commandement direct de Pétain. Déjà salué comme le héros de Verdun, ce dernier sera plus tard nommé maréchal de France. Soutien aux partis d’extrême droite et à la collaboration avec les nazis Pétain est à nouveau appelé à la rescousse lors de la seconde guerre mondiale, cette fois pour diriger la France après sa cuisante défaite face à l’Allemagne. Le 10 juillet 1940, l’Assemblée nationale donne au Conseil des ministres l’autorité d’établir une nouvelle constitution. Pétain est bientôt investi des pleins pouvoirs en tant que chef de l’État désigné. Aussitôt arrivé au pouvoir, le régime de Pétain s’emploie sans tarder à démanteler les institutions libérales et adopte une ligne autoritaire. En octobre 1940, la collaboration de Pétain devient manifeste lorsqu’une photo le montrant en train de serrer la main à Hitler est largement diffusée. Le régime épouse alors rapidement un programme d’extrême droite raciste, dont le caractère répressif s’accentue à partir de novembre 1942 : la France tout entière se trouve alors sous occupation militaire allemande, et le régime de Vichy donne à la Milice le mandat de débusquer et de tuer les membres de la Résistance française. La première carte représente la répartition des Collaborateurs recensés dans le fichier déclassifié d’après leur municipalité de résidence en 1945, superposée à l’expérience de leurs régiments lors de la première guerre mondiale. S’il existe d’importants écarts régionaux en ce qui a trait à la proportion de Collaborateurs, celle-ci s’avère nettement supérieure dans les municipalités où résident d’anciens combattants ayant servi à Verdun sous Pétain. En utilisant les outils de l’analyse quantitative en économique (régressions économétriques), nous montrons que les municipalités où vivent des soldats qui ont servi à Verdun sous Pétain affichent des taux de collaboration 6,9 % supérieurs à ceux de municipalités du même département par ailleurs semblables. Cette collaboration revêt des formes diverses, de l’adhésion à des organisations d’extrême droite et d’une collaboration économique active à la participation aux milices paramilitaires de Vichy engagées dans la chasse aux Juifs et à la Résistance, voire à la Waffen SS envoyée sur le front de l’Est en 1944, alors qu’il était déjà clair que les nazis perdraient la guerre. Les municipalités peuplées de soldats ayant servi à Verdun sous Pétain se révélaient du reste 8 % moins susceptibles d’abriter des membres civils de la Résistance française[4]. Pourquoi uploads/Politique/ 2020-21-aoc-controverse-entre-des-economistes-et-des-historiens.pdf
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- Publié le Aoû 03, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
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