Études rurales 165-166 | 2003 Globalisation et résistances Du travailleur au pa
Études rurales 165-166 | 2003 Globalisation et résistances Du travailleur au pauvre La question sociale en Amérique latine Denis Merklen Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/etudesrurales/8007 DOI : 10.4000/etudesrurales.8007 ISSN : 1777-537X Éditeur Éditions de l’EHESS Édition imprimée Date de publication : 1 janvier 2003 Pagination : 171-196 Référence électronique Denis Merklen, « Du travailleur au pauvre », Études rurales [En ligne], 165-166 | 2003, mis en ligne le 01 janvier 2005, consulté le 03 septembre 2018. URL : http://journals.openedition.org/ etudesrurales/8007 ; DOI : 10.4000/etudesrurales.8007 © Tous droits réservés Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http:/ / www.cairn.info/ article.php?ID_REVUE=ETRU&ID_NUMPUBLIE=ETRU_165&ID_ARTICLE=ETRU_165_0171 Du t ravailleur au pauvre. La quest ion sociale en Amérique lat ine par Denis MERKLEN | Éditions de l’ EHESS | Ét udes rurales 2003/1-2 - N° 165-166 IS S N 0014-2182 | IS BN 2-7132-1807-1 | pages 171 à 196 Pour cit er cet art icle : — Merklen D., Du t ravailleur au pauvre. La quest ion sociale en Amérique lat ine, Ét udes rurales 2003/ 1-2, N° 165-166, p. 171-196. Distribution électronique Cairn pour les Éditions de l’EHESS. © Éditions de l’EHESS. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Études rurales, janvier-juin 2003, 165-166 : 171-196 A U DÉBUT DU XXIe SIÈCLE un même objectif réunit l’ensemble des orga- nismes internationaux depuis les Nations unies jusqu’aux principaux bailleurs de fonds, en passant par les gouvernements et par un bon nombre des plus puissantes ONG : la lutte contre la pauvreté. Ainsi, pour les Nations unies, la période 1997-2006 est consa- crée à l’éradication de la pauvreté. « Notre rêve est un monde sans pauvreté », déclare pour sa part la Banque mondiale. Pour l’UNESCO il n’est aujourd’hui d’enjeu plus important et plus fondamental pour la communauté internationa- le que le combat de ce « fléau persistant de l’humanité » [BID 2000; BM 2000; ONU 1995; PNUD 2000; UNESCO 2000]. Cette quasi unanimité a été renforcée en 1999 lorsque la Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont lancé une initiative commune afin de mettre ce projet au centre des politiques publiques transnationales. La force de cette initiative est d’autant plus importante qu’elle conditionne le bénéfice d’une aide financière à l’élaboration d’un programme de lutte contre la pauvreté (« Document stratégique de lutte contre la pauvreté ») [BM 2000]. Aussi bien dans la perspective des États et des gouvernements que dans celle des orga- nismes internationaux, la mise en place de cette stratégie de lutte contre la pauvreté repré- sente un choix politique majeur. Les politiques sociales sont réorientées en fonction d’une transnationalisation croissante des politiques publiques. Une nouvelle optique théorique dans les manières de concevoir et de concep- tualiser les problèmes sociaux est le point de départ de cette reconduction politique. En pre- nant comme exemple l’Amérique latine, nous proposons d’observer et d’analyser ces nouvel- les directions conduites par les organisations transnationales qui font violence à une longue tradition de traitement et de conceptualisation de la question sociale. Ce consensus autour de la lutte contre la pauvreté s’inscrit dans un contexte marqué par de profondes mutations dans les sociétés latino- américaines. L’épuisement du modèle d’accu- mulation et de développement qui reposait sur une forte intervention de l’État et qui prévalait dans tout le continent a favorisé ce qu’il est convenu d’appeler les politiques du « consen- sus de Washington » [Williamson 1996]. Ces bouleversements ont déstabilisé les voies de l’intégration et les formes de socialisation poli- tique, principalement dans les couches popu- laires. Au-delà d’importantes différences d’un pays à l’autre, l’entrée dans le nouveau siècle est partout placée sous le signe de l’augmenta- tion du chômage, de la mise en question de la stabilité de l’emploi, de l’accroissement du tra- vail informel, de l’affaiblissement du rôle des Denis Merklen DU TRAVAILLEUR AU PAUVRE LA QUESTION SOCIALE EN AMÉRIQUE LATINE* * L’auteur remercie les commentaires de Daniel Bertaux, Robert Castel et Silvia Sigal. syndicats, de la diminution de la présence de l’État dans les domaines clés de la politique sociale, et des difficultés croissantes de l’école pour amener les jeunes vers le marché du travail et contribuer à leur promotion sociale. L’ap- pauvrissement et l’augmentation des inégalités dans la distribution des revenus vont de pair avec les transformations des économies rurales et induisent des changements importants dans les pratiques culturelles et politiques des cou- ches populaires. Les Amériques latines se dis- tinguent des autres régions du « Sud » moins par le niveau de pauvreté atteint dans leurs différen- tes sociétés, que par la dynamique de décompo- sition sociale qui y gouverne depuis plus de vingt ans. Il paraît bien réducteur d’envisager cet ensemble complexe de transformations sous l’angle de la pauvreté. Qui plus est, une telle réorientation conceptuelle renverse les manières traditionnelles de penser le social en Amérique latine. Malgré l’évolution récente vers une conception « pluridimensionnelle », les études concernant ces problèmes se focalisent sur l’aug- mentation et l’intensification de la pauvreté, ou bien sur les quantifications des degrés d’inégalité dans la distribution des revenus au moyen du coefficient de Gini1. C’est sous l’impérialisme théorique de la notion de pauvreté que travaillent les agences internationales telles que la Com- mission économique pour l’Amérique latine des Nations unies (CEPAL) ou l’UNICEF, ainsi que les médias, les sciences sociales, et les princi- paux bailleurs de fonds comme la Banque mondiale ou la Banque interaméricaine de déve- loppement (BID). Après une analyse des usages et de la genèse des principales méthodes de détermination de la pauvreté en Amérique latine, nous essayerons d’apporter une réponse à un certain nombre de questions : comment s’inscrit le nouveau traite- ment de la question sociale en termes de pau- vreté dans l’ensemble des transformations socio-historiques touchant le continent? Qu’est- ce que la notion de pauvreté met en lumière, et qu’est-ce qu’elle empêche de voir2? Quelles ont été les conséquences de son utilisation dans la programmation des politiques publiques? Denis Merklen . . . . 172 1. Le coefficient de Gini mesure la distance existante entre les plus hauts et les plus bas revenus. Le coeffi- cient varie en théorie entre 0, pour une distribution par- faitement égalitaire, et 1 si tout le revenu est concentré en une seule personne. Toutes les estimations montrent que l’Amérique latine a la distribution des revenus la plus inégale du monde avec un Gini proche de 0,5 pour l’ensemble des pays (contre 0,3 pour les pays dévelop- pés et d’Europe de l’Est, 0,46 pour l’Afrique et entre 0,34 et 0,4 pour l’ensemble de pays asiatiques). À l’in- térieur de l’Amérique latine, l’Uruguay apparaît comme le champion de la bonne distribution avec un coefficient proche de 0,4, alors que le Brésil et le Paraguay rem- portent le palmarès de l’inégalité des revenus avec des valeurs avoisinant 0,6. Le coefficient de Gini permet aussi d’observer les variations dans la distribution de la richesse d’un pays dans le temps. L’Argentine est sur une pente prononcée vers l’inégalité. Le pays passe de valeurs proches de 0,3 dans les années soixante-dix à presque 0,5 à la fin du XXe siècle. Les données ont été tirées de BID [2000]. 2. Deux précisions. Premièrement, nous n’analyserons pas les différentes utilisations du mot pauvreté dans les sciences sociales en général ou sous un regard qui serait purement théorique. Pour une analyse des théories de la pauvreté voir R. Ogien [1983]. En second lieu, les débats méthodologiques concernant les techniques d’estimation de la pauvreté ne sont pas au centre de cet article. À pro- pos des débats méthodologiques en Amérique latine cf. J. Bolvinik [1999 et 2000] et A. Longhi [1996]. Nous faisons l’hypothèse que, en dehors de toute considération technique, les débats autour de la nature de la crise sociale en termes de « pauvreté » et les dites « stratégies de lutte contre la pauvreté » doivent être considérés comme la contribution des intellectuels à la construction de nouveaux enjeux politiques. Nous imposons ainsi un questionnement théo- rique afin de faire émerger la question poli- tique qui résonne en sourdine sous les orches- trations de ces débats sur la pauvreté, sur la meilleure façon de la mesurer, et, en dernière instance, sur la manière la plus appropriée de la combattre. Pauvreté est un mot maudit. Il opère comme un « obstacle épistémologique » [Bachelard 1972] projetant une ombre épaisse sur des enjeux politiques qu’il empêche de voir. Dès lors, une dernière question s’impose : quel est le rôle (politique) que les sciences sociales sont en train de jouer dans des conflits concernant le sort uploads/Politique/ du-travailleur-au-pauvre-la-question-sociale-en-amerique-latine.pdf
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- Publié le Aoû 29, 2022
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