Amar Ouerdane La «crise berbériste» de 1949, un conflit à plusieurs faces In: R
Amar Ouerdane La «crise berbériste» de 1949, un conflit à plusieurs faces In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, N°44, 1987. pp. 35-47. Citer ce document / Cite this document : Ouerdane Amar. La «crise berbériste» de 1949, un conflit à plusieurs faces. In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, N°44, 1987. pp. 35-47. doi : 10.3406/remmm.1987.2153 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0035-1474_1987_num_44_1_2153 Amar Ouerdane LA «CRISE BERBÉRISTE» DE 1949, UN CONFLIT A PLUSIEURS FACES Écrasée par la misère, la Kabylie constitue le lieu de fermentation de nationalis tes révolutionnaires grâce, notamment, aux travailleurs émigrés militants ou sympat hisants de l'ENA et du PPA qui reviennent périodiquement ou définitivement dans leurs villages. De ce fait, le niveau politique et organisationnel y est meilleur que dans les autres régions d'Algérie. Sensibilisés par les «anciens», une pléiade de jeunes Kabyles, lycéens (Ali Laï- mèche, Amar Ould-Hamouda, Hocine Aït-Ahmed, Rachid Ali-Yahia...) et étudiants (Omar Oussedik, Yahia Henine, Mabrouk Belhocine, Sadek Hadjerès, Said Oubou- zar) affluent dans les rangs du PPA au cours de la Seconde Guerre mondiale. Issus des couches sociales populaires, d'origine paysanne, la jeunesse et le radicalisme politique caractérisent cette nouvelle vague de militants nationalistes. Contrairement aux principaux dirigeants kabyles de l'ENA (Imache, Si Djilani, Yahiaoui), cette nouvelle génération manifeste ouvertement son intérêt prononcé pour l'étude et la réhabilitation de la langue et de la culture kabyles. M. Aït-Amrane, lycéen à Ben Aknoun (El-Mokrani), compose en janvier 1945, à l'âge de vingt ans, le premier chant nationaliste en kabyle Kher a mmi-s umaziy («Debout fils de Ber bère!») devenu une sorte d'« hymne national berbère». Il a également traduit et adapté l'Internationale en kabyle. Ali Laïmèche et Hocine Aït-Ahmed, âgés de 20 et 19 ans, composent également des chants dont certains sont devenus célèbres (Benbrahim, 1982). C'est à cette époque que si Mohand Amokrane Khelifati, militant de l'ex-ENA et du PPA, instruit en français (certificat d'études : 1928) et en arabe, très pieux, ROMM 44, 1987-2 36 / A. Ouerdane admirateur sans borne de Messali, commence à parler de son alphabet berbère original, complété de surcroît en 1934. Il assure même l'avoir enseigné en prison à Djenien-Bou-Rezg (1940-1943) à quelques détenus nationalistes kabyles et même au communiste Amar Ouzegane. Cette initiative a soulevé l'hostilité de la part de certains détenus arabes (entretien avec M. A. Khélifati). A ce propos, Amar Ouzegane, qui ne relate pas spécifiquement cet événement, en rapporte un autre qui le corrobore. Les nombreux Kabyles internés par le régime de Vichy demand ent à un personnage qui jouit d'un immense prestige auprès des internés et qui prétend avoir séjourné sept ans à l'Université islamique El-Azhar du Caire, d'être leur imam. Celui-ci accepte. Amar Ouzegane écrit : Après la prière, il prononçait la khotba en arabe... littéraire. Malgré leur bonne volonté aiguisée par une foi islamique fervente, nos vieux montagnards ne parvenaient pas à comprendre grand chose aux sermons prononcés en arabe littéraire. C'est pourquoi ils désignèrent un des leurs, lettré en arabe, pour leur expliquer les paroles divines dans leur dialecte berbère. Mais le cheikh importuné par une traduction qu'il ne pouvait suivre, se mit en colère et se lança dans un violent réquisitoire contre les «faux musul mans qui ne comprenaient pas la langue noble (...) [concluant que] lorsqu'il y aura un gouvernement musulman, il coupera la tête à qui parlera une autre langue que l'arabe». Blessés et humiliés, les vieux kabyles quittèrent le cheikh. Le dernier s'adressa en kabyle au traducteur : «Dis au cheikh s'il faudra un interprète pour parler avec ma grand- mère?» Le mécontentement fut tel qu'il donna naissance à la formation d'un bloc qu'on surnomma la «République du Djurdjura». (Ouzegane, 1952, p. 6). Ces indices traduisent en fait l'atmosphère au sein du mouvement nationaliste : d'un côté l'intolérance de l'arabo-islamisme et de l'autre l'affirmation de l'identité culturelle berbère que les Kabyles assument, désormais, ouvertement. Cette prise de conscience et cette maturation politique déclenchent le processus de déblocage et débouche sur la volonté chez certains militants Kabyles de clari fier politiquement la question de la dimension berbère de l'Algérie. Comment l'inté grer dans le mouvement nationaliste dont l'idéologie est, depuis son implantation en Algérie, exclusivement arabo-islamique ? Cette effervescence culturelle et politique suscite parmi les militants kabyles une réflexion sur les questions nationale, démocratique (le système de cooptation tou jours en vigueur au sein du parti) et linguistique. Mais l'impitoyable répression des manifestations du 8 mai 1945 va refouler pour un temps encore ces questions. RADICALISATION DES JEUNES NATIONALISTES KABYLES La répression conjuguée à l'échec de la direction dans son projet insurrection nel (ordonné après les massacres et annulé la veille, le 22 mai) ont soulevé des interrogations sur les méthodes d'organisation et de fonctionnement du parti parmi les militants kabyles. Elles se traduisent dans l'immédiat par une demande à la direction de réunifier les «deux» Kabylies en un seul district. La réponse laconique de la direction : «ordre formel de ne pas vous occuper de la Petite Kabylie» (Ait- Ahmed, 1983, p. 74) prouve le maintien de la suspicion (héritée de l'ENA) de la direction du parti à l'égard des Kabyles et son hostilité à une organisation du territoire sur la base du critère linguistique. Influencés sur le plan idéologique par le marxisme, les jeunes responsables de La « crise berbériste» de 1949, un conflit à plusieurs faces I 37 la «Grande» Kabylie (Bennaï Ouali, Ali Laïmêche, Amar Ould-Hamouda, Hocine Aït-Ahmed et Omar Oussedik) ne l'identifiaient pourtant pas au PCA, contrair ement à l'affirmation de l'historien Mahfoud Kaddache (1980, p. 805). Lorsque le PCA réalise, au cours de l'été 1945, qu'il était allé trop loin dans son ant inationalisme en demandant un «châtiment exemplaire pour les agents provocat eurs hitlériens» et les «pseudo-nationalistes», il adopte (août 1945) une nouvelle tactique : tout en condamnant les chefs nationalistes et continuant à défendre la thèse du «complot fasciste», il engage en même temps une campagne d'« amnistie pour les égarés». Selon Nahori, alors dirigeant du PCA, interviewé par Emman uel Sivan : «Lorsque les cadres du PCA se rendirent en Kabylie pour y fonder des comités d'amnistie, ils se virent traités de "renégat" et de "traîtres" » (Sivan, 1976, p. 152). Conscients de l'hostilité de la direction à la réhabilitation de la langue berbère, les responsables kabyles cherchent à donner un fondement rationnel au mouve ment nationaliste, seul cadre permettant d'assumer la dimension berbère. Aït-Ahmed écrira plus tard : «promouvoir la pensée révolutionnaire et les pratiques démocrat iques c'était une façon de réhabiliter la culture berbère» (1983, p. 96). La question berbère se trouve donc étroitement associée à celles de l'indépen dance nationale et de la démocratie. Cette approche fut développée en mars 1946 par les cadres de la Kabylie devant Amar Khellil, délégué officiel du parti, en présence de quelques autres militants de la Kabylie, notamment Amar Cheikh, Belaïd Aït-Medri, Salem El-Hadj et Mohand Amokrane Khelifati selon lequel la mise entre parenthèses de la question de la langue berbère fut décidée à cette réunion. Sa proposition de préparer un programme d'enseignement de la langue kabyle en adoptant naturellement son alphabet et de le présenter au parti fut rejetée. Toujours selon Khelifati, l'argument- clé, avancé pour rejeter sa proposition fut le suivant : «Poser la question de la langue berbère à la direction hostile et de moins en moins révolutionnaire et ce après les massacres colonialistes de mai 1945, risque de déclen cher une crise dont les conséquences seraient catastrophiques pour le mouvement nationaliste. » Se ralliant à la majorité, il en gardera, jusqu'à présent, une certaine rancune aux «Kabyles marxisants» préoccupés désormais uniquement par des questions idéologiques et politiques (entretien personnel avec M. A. Khelifati). Des militants d'autres régions constatent aussi le caractère de «moins en moins révolutionnaire» de la direction, Mohamed Boudiaf, un des futurs «neuf chefs historiques» de la Révolution algérienne, écrit : « Progressivement le nationalisme du PPA se liquéfie sous l'influence des notables algériens, eux-mêmes soumis aux «conseils» modérateurs des courants bourgeois pan arabes, vidant ainsi le parti de son contenu révolutionnaire. Ce travail de sape idéologi que est, bien sûr, le fait de la direction.» (Boudiaf, 1974, p. 24) A la veille des élections législatives à l'Assemblée nationale française de novemb re 1946, la direction a décidé, sous l'initiative de Messali, qui venait d'être libéré de prison (le 1 1 août 1946), de participer au scrutin, sur la seule recommandation d'Azzam Pacha, secrétaire général de la Ligue Arabe. Cette orientation politique accentue la radicalisation des responsables de la Kabyl ie. Ils exigent la tenue d'un congrès, obtenu... après les élections. Entre-temps, 38 / A. Ouerdane pour désamorcer leurs critiques, la direction convoque une conférence nationale des cadres à Bouzaréah (banlieue d'Alger). Justifiant la participation aux élections, Messali s'oppose à la création d'une organisation paramilitaire proposée notam ment par Bennaï Ouali et Amar Ould-Hamouda qui préconisent la clandestinité totale et la préparation immédiate de la lutte armée. L'élection de cinq députés sous l'étiquette « Pour le Triomphe des Libertés Démoc ratiques» accentue quelque peu la crise au sein du parti uploads/Politique/ la-crise-berbriste-de-1949.pdf
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- Publié le Mar 05, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
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