Il y a 80 ans Des volontaires canadiens dans la guerre civile en Espagne Bernar

Il y a 80 ans Des volontaires canadiens dans la guerre civile en Espagne Bernard Dionne1 Été 2017 : une quarantaine de jeunes Canadiens se sont joints aux forces kurdes pour se battre contre Daesh (le soi-disant État Islamique) depuis un an. Le parallèle avec les jeunes Canadiens qui se sont enrôlés dans les Brigades internationales en 1937 pour aller combattre Franco et le fascisme en Espagne est frappant et il n’a pas échappé à la journaliste Isabelle Hachey dans La Presse+ du 8 octobre dernier2. Qu’en est-il de cette participation canadienne à la guerre civile espagnole de 1936- 1939 ? Espagne 1936-1939 C’est le 18 juillet que le général Francisco Franco Bahamonde présida au soulèvement d’une partie de l’armée contre le gouvernement de front populaire de Manuel Azaña. La jeune république, proclamée en 1931, était alors menacée par une coalition de forces de droite et d’extrême-droite, dont la Phalange fasciste. De fait, l’Espagne vivait une période marquée par les violences sociales et politiques (insurrections, grèves générales, assassinats, etc.) depuis la fuite du monarque Alphonse III. Au cours de l’année 1936, les phalangistes ne reculaient devant rien, ni le meurtre de partisans de la gauche, ni les attaques violentes contre des grévistes; de leur côté, les anarchistes de la Confédération générale du Travail (CNT) portaient ouvertement des armes et il n’était pas rare qu’ils séquestrent des patrons ou exproprient des terres à la pointe du fusil. Communistes et socialistes avaient leurs 1 Historien, l’auteur a publié son premier roman chez Fides le 1er mai 2017, Et l’avenir était radieux, dont l’action se déroule essentiellement en Espagne lors de la guerre civile. 2 Isabelle HACHEY, « De Mascouche à Raqqa », La Presse+, 8 octobre 2017. propres milices qui faisaient régner la terreur parmi les opposants de droite et dans les rangs du clergé catholique. La situation dégénèra rapidement en juillet avec l’assassinat du député monarchiste Jose Calvo Sotelo, dernier en date d’une longue série de meurtres politiques. Au prononcé du putsh, les forces franquistes, essentiellement formées des troupes d’élite maures cantonnées au Maroc, s’emparèrent rapidement de Séville, des îles Baléares et de la région d’Aragon : ils occupaient 40% de la superficie du pays au bout d’une semaine. Mais les Républicains, une coalition de forces de gauche (socialistes) et d’extrême-gauche (communistes et anarchistes) tinrent bon à Madrid, à Barcelone, à Valence et dans l’Espagne industrielle, grâce à la mobilisation des ouvriers qui s’emparèrent des armes dans les casernes et organisèrent la défense contre les putchistes. Pour déplacer quelques dizaines de milliers de soldats du Maroc sur le continent, Franco bénéficia du soutien de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste. Tout au long du conflit, Hitler fournira des avions (la légion Condor), des armes et des soldats, Mussolini enverra plus de 75 000 soi-disant volontaires à la rescousse du caudillo espagnol, au mépris du traité de non-intervention qu’ils avaient pourtant signé avec la France et la Grande-Bretagne dans le but de ne pas entraîner une internationalisation du conflit espagnol. Après quelques hésitations, Staline, lui, opta pour une intervention en deux temps : envoi de volontaires, issus de la mouvance de l’Internationale communiste, qui appuyèrent les républicains dès octobre 1936; et fourniture d’avions, d’armes et de munitions, en échange des imposantes réserves d’or de l’Espagne, ainsi que de commissaires politiques qui prirent le contrôle du gouvernement en 1937. Lorsque les fascistes échouèrent dans leur tentative de s’emparer de Madrid, le conflit s’embourba dans une guerre civile qui dura jusqu’à la fin mars 1939. Les Brigades internationales L’urgence du combat contre le fascisme mobilisa bon nombre d’intellectuels occidentaux, à commencer par André Malraux, qui dirigea une escadrille aérienne, appelée Espana, qui livra d’épiques combats aux escadrilles fascistes; l’écrivain américain Ernest Hemingway galvanisa les troupes antifascistes sur le front et tira de cette expérience un célèbre roman, Pour qui sonne le glas. La journaliste Martha Gellhorn, les photojournalistes Gerda Taro et Robert Capa, les cinéastes Joris Ivens (The Spanish Earth) et Geza Karpathi (Hearth of Spain), les écrivains Pablo Neruda, Anna Seghers, H. G. Wells et George Orwell (Hommage à la Catalogne), appuyèrent les républicains chacun à leur manière. Enfin, on connaît l’œuvre de Pablo Picasso, Guernica, qu’il réalisa en juin 1937 pour le pavillon espagnol à l’exposition internationale de Paris afin de dénoncer le bombardement de la ville basque de Guernica, le 26 avril 1937 par les bombardiers de la légion Condor nazie. On estime qu’environ 40 000 volontaires provenant d’une cinquantaine de pays prirent part aux combats dans ces brigades internationales : des Français, le quart du contingent, mais aussi des Belges, des Italiens antifascistes, des Allemands qui avaient fui le nazisme, des Hongrois, des Polonais, des Juifs, des Britanniques, 2800 Américains, des Cubains, des Mexicains et des Canadiens. Peu entraînés, mal équipés, les volontaires arrivaient en Espagne en transitant par la France. On les envoyait se former à Albacete, au sud-ouest de Valence, où André Marty, du Parti communiste français et Luigi Longo, du Parti communiste italien, les haranguaient avant de les disperser sur les divers fronts. La formation qu’ils recevaient comptait pour moitié en séances de propagande politique et pour l’autre moitié en loufoques séances d’entraînement militaire sans fusils ni équipement digne de ce nom. Plus de dix mille d’entre eux trouvèrent d’ailleurs la mort en Espagne. Les survivants furent rapatriés au terme d’une dernière parade dans les rues de Barcelone, le 18 octobre 1938, lorsque Dolores Ibarruri, la dirigeante communiste espagnole surnommée la Pasionaria, leur déclara : « Vous êtes l’histoire, vous êtes la légende ». Les Canadiens et le bataillon Mackenzie-Papineau Ils furent près de 1700 Canadiens à joindre le combat républicain selon l’historien Michael Petrou3. Qui étaient-ils? Quelles étaient leurs motivations? La grande majorité étaient des Canadiens récemment naturalisés, provenant d’Europe du Nord et de l’Est, des Finlandais, des Ukrainiens, etc. De fait, 78% d’entre eux étaient nés à l’étranger. Au moment de leur engagement, ils venaient de Colombie- Britannique (350), d’Ontario (780), du Québec (200), du Manitoba (200) de l’Alberta (180), des Maritimes (31). La plupart (76%) étaient membres ou sympathisants du Parti communiste du Canada (PCC); plusieurs étaient chômeurs, bien que l’on compte de nombreux ouvriers semi-qualifiés, quelques infirmières et une douzaine d’étudiants. Les Robert Martineau, Maurice Constant, Lucien Tellier (Montréal) et le trappeur de Rimouski Lauradin Roy faisaient partie du groupe de 56 Canadiens- français qui joignirent les rangs de ce qui allait devenir le bataillon Mackenzie- Papineau. Au début du conflit, les Canadiens furent incorporés dans le bataillon américain Abraham-Lincoln. Leur demande de faire partie d’une unité canadienne fut exaucée le 1er juillet 1937 avec la formation du bataillon Mackenzie-Papineau, du nom des deux chefs des rébellions de 1837 dans le Haut et le Bas-Canada. Dirigés par un militaire d’expérience, le Vancouvérois Ronald Liversedge, les quatre compagnies d’infanterie et de mitrailleurs prirent part à de nombreux et terribles combats : Fuente de Ebro en octobre 1937 (60 morts, 200 blessés), Teruel en décembre, bataille de 3 Michael PETROU, Renégats. Les Canadiens engagés dans la guerre civile espagnole, Montréal, Lux, 2015. l’Èbre au printemps. Plusieurs volontaires désertèrent ou demandèrent leur rapatriement devant la férocité des combats dont ils ne s’étaient jamais douté. Les conditions de vie dans les tranchées étaient, pour dire le moins, démoralisantes : outre les bombardements incessants, les volontaires subissaient la faim, le froid, le manque de cigarettes, l’absence d’équipement et d’armes, sans compter la rudesse des commissaires politiques qui punissaient le moindre manquement à la discipline par des séjours en prison ou dans des camps spéciaux, appelés « tchékas » parce que contrôlés par la police politique soviétique. Le gouvernement républicain mit fin à l’engagement des brigades internationales en septembre 1938, espérant que, du coup, les Allemands et les Italiens se retirent également du conflit. Ce fut peine perdue : les Savoia-Marchetti italiens et les Henkells et les Stukas allemands continuèrent leurs bombardements ininterrompus de Madrid et de Barcelone jusqu’à la fin de la guerre, en mars 1939. Après la grande parade des brigadistes du 29 octobre à Barcelone devant 300 000 Catalans en délire, les Mac-Pap, comme on les appelait, durent patienter de longs mois à Ripoll avant de s’embarquer sur de vieux rafiots français à Valencia pour prendre la mer au cours d’un périlleux voyage de 15 heures sur la Méditerranée en direction de Barcelone; de là, ils prirent le train pour Perpignan et Le Havre, d’où 300 Canadiens s’embarquèrent vers le Canada. Norman Bethune Le Canadien le plus connu des volontaires fut sans contredit le médecin Norman Bethune. Chef chirurgien au tout nouvel hôpital du Sacré-Cœur, tenu par les sœurs de la Providence, Bethune adhéra au Parti communiste canadien en 1935, après un séjour en URSS. Là, contrairement à la situation de ses patients canadiens-français qui ne pouvaient défrayer le coût de leurs soins, il put constater les bienfaits d’une médecine socialiste. Dès qu’il entendit parler de la guerre en Espagne il organisa une levée de fonds à l’aide de quelques personnalités de la Cooperative Commonwealth Federation (CCF) et du Parti communiste et il partit en octobre uploads/Politique/ des-volontaires-canadiens-dans-la-guerre-civile-en-espagne-2017.pdf

  • 19
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager