Platon et 1' origine de la tyrannie Sylvain Roux Untversité París X - Nanterre
Platon et 1' origine de la tyrannie Sylvain Roux Untversité París X - Nanterre Resumen El debate sobre el estatuto de la tiranía es antiguo: la imagen del tirano que emerge de las fuentes literarias no es neutra. Platón se plantea el problema en los términos tradicionales (anormalidad, elección divina del tirano), para confrontarles con su análisis político y psicológico: el resultado es un nuevo tirano, agente político, que soluciona los problemas económicos y sociales y que se humaniza. Abstraer The debate of the concept of tyranny has been firmly stablished for a long time: the image of the tyran that emerges from literary sources is not without a bias. Platon faces the problems posited by tyranny in traditional terms (anormality, the tyran as a figure appointed by god), an confront them with his political and psychological analysis: the result is a new tyran, conceived of, as a political agent, ruling and regulating over the social and political issues and becoming a humanizaed figure. Palabras clave: Grecia, Platón, política. S'attachant dans la République a penser le probleme de la justice, Platon développe sa réflexion dans deux directions différentes: politique, d'une part, en montrant ce qu'est une cité juste, et comment y faire régner la justice; éthique, d'autre part, en montrant ce qu'est une ame juste. Le point de vue platonicien est done double: la justice est étudiée dans deux lieux différents qu'on ne saurait dissocier. La question: "qu'est-ce qu'etre juste?" oriente done la recherche vers la politique et la psychologie. Ce faisant, Platon rencontre inévitablement la figure du tyran, car il existe tout d'abord un régime politique, qui semble bien réaliser l'injustice dans la cité, et par ailleurs des individus eux-memes injustes, c'est-a-dire dont le caractere est tyrannique. Ainsi se trouve démasqué d'emblée l'adversaire de la justice. Mieux, le raisonnement exposé dans la République vise justement a la fois a éviter le 434 SYLVAIN ROUX- Pl.ATON ET L'ORIGINE DE LA TYRANNIE régime politique de la tyrannie, et a se prémunir contre ceux qu'on nomme tyrans, c'est-a-dire, selon Platon, ceux dont l'ame meme est injuste. Si la tyrannie est doublement une injustice (politique et psychologique), elle est aussi doublement un danger. En meme temps qu'une analyse des causes de cette double injustice, la République sera done aussi l'exposition d'un remede. Il ne s'agira pas ici d'étudier en elle-meme cette longue analyse a laquelle Platon se livre, notamment aux livres VIII et IX de la République, mais plutot de montrer une rupture ou un déplacement dans le discours tenu par le philosophe sur la tyrannie. Nous voudrions examiner comment, pour Platon, un tel discours requiert de rompre avec l'analyse traditionnelle du tyran. Platon trouve en face de lui une image bien établie de ce demier, image par ailleurs essentiellement négative, telle que l'on peut la saisir chez les Tragiques, chez les poetes du Vleme siecle, ou chez les historiens. Or, Platon, en voulant décrire les effets de la tyrannie et en cherchant a expliquer !'origine de la tyrannie, n'entend pas rompre avec cette condamnation, mais plutot avec les raisons de cette condamnation. Paree que, comme on le verra, les Anciens, en attaquant le tyran, ont en meme temps accrédité une image ambigüe de celui-ci: homme a la fois exceptionnel et meurtrier, au pouvoir plus qu'humain, comme s'il y avait en lui quelque chose qui dépasse l'humain. Platon n'aura qu'a corriger: le tyran n'est que trop humain. l . Tragédie et tyrannie On trouve en effet dans les pieces célebres d'Eschyle et de Sophocle une critique particulierement vive du tyran. Or, au lieu de s'en tenir a celle-ci, Platon repere, a titre d'exemple qui a valeur selon lui de généralité, dans une piece d'Euripide1, un vers qui semble au contraire faire l'apologie du tyran. Le philosophe veut voir la la preuve qu'en réalité, par deJa une critique apparente, la tragédie entretient une liaison secrete avec la tyrannie, et que, paradoxalement, sa condamnation masque un acquiescement. Pour Platon, la condamnation traditionne lle de la tyrannie est done suspecte, paree qu'elle n'est qu'un paravent. 11 convient done de la déconstruire. Euripide précise done, dans Les Troyennes, que "la tyrannie nous égale a la divinité". Par ailleurs, Platon cite aussi un vers d'une piece perdue de Sophocle qu'il attribue a Euripide, et selon lequel le tyran est considéré comme sage paree l. Les Troyennes, v. 1169. Flor. JI. 6, 1995, pp. 433-443. SYLVAIN ROUX- Pl.ATON ET L'ORIGINE DE LA TYRANNIE 435 qu'il prend pour compagnons des sages2• Faire du tyran un sage, un sophos, c'est lui décerner un statut particulier parmi les autres hommes. Et cette différence permet une relation exceptionnelle avec le divin, qui n'est plus faite de soumission. Il est cet homme doté de moyens exceptionnels qui lui permettent de se rendre dieu au monde des hommes, au moins pour celui qui devient tyran. En résumé, le tyran est exceptionnel, paree qu'il est le seul en son genre a ne pas craindre le pouvoir des dieux. Mieux, el est comnie la transposition humaine de la puissance du divin, en ayant autant de pouvoir sur les hommes que les dieux en ont sur ceux-ci. Ce qui gene Platon, c'est done le rapport au divin que lui semble instaurer la Tragédie, qui, mettant en scene l'exception tyrannique, propose un passage possible de l'homme a la divinité. Alors la distance homme-dieu s'annule ou s'atténue. Platon, au contraire, cherche a établir une séparation radicale entre le monde humain et le monde divin. A ce danger d'interférence ou de confusion des deux niveaux, on sait que Platon oppose les príncipes de sa théologia. Celle-ci mentionne d'abord que la divinité ne saurait qu'etre bonne, et ne peut done etre cause du mal, mais seulement du bien. Elle précise de plus qu'un dieu ne saurait mentir et done ne saurait sans cesse changer de forme pour s'introduire dans le monde des hommes et les trompeĖ. Or, retirer de la divinité le vice qu'on tui attache communément, vice d'intention et non de nature, c'est interdire toute représentation tyrannique de celle ci (telle qu'on la trouve par exemple dans le Prométhée enchafné d'Eschyle) et surtout c'est créer une distance, cette fois-ci infranchissable, entre le monde des dieux et le monde des hommes. Le Zeus tyran d'Eschyle est encore trop humain, alors qu'un dieu toujours bon n'a plus rien d'humain. Si bien qu'en revendiquant un pouvoir absolu, le tyran ne peut plus prétendre se donner la force du divin. La "réforme " de la mythologie traditionnelle proposée par Platon consiste done a établir une différence de nature entre les hommes et les dieux, alors que la représentation traditionnelle insiste essentiellement sur des différences de puissance et autorise ainsi une conception quasi divine du tyran. Platon peut finalement achever sa critique de la tragédie en la considérant comme cause directe de l'installation d'une tyrannie: en séduisant les gouverne ments des démocraties, elle provoque leur glissement progressif vers la tyrannie. Pour cela, il suffit aux auteurs tragiques de "circuler d'Etat en Etat" et de choisir 2. République, Vlll, 568 a-b. 3. Les príncipes sont posés en République, Il, 379 b - 383 a. Flor. /l. 6, 1995, pp. 433-443. 436 SYLVAIN ROUX- PLATON ET L'ORIGINE DE LA TYRANNIE de bons acteurs dont les voix sont persuasives4 afio de propager leur représentation subversive de la tyrannie. Qu'il y ait une connivence entre tragédie et tyrannie, Platon pense pouvoir le justifier en montrant que les régimes tyranniques et démocratiques soutiennent tous deux le genre tragique et en font meme un genre majeur. Platon n'hésite plus alors a qualifier ces poetes de "panégyristes de la tyrannie"5. 2. Démocratie et tyrannie En établissant cette liaison entre tragédie et tyrannie, on aura remarqué que Platon rapproche en meme temps la tyrannie de la démocratie, et considere meme que le premier nait de la seconde. La véritable origine de la tyrannie, c'est done bien aussi un autre régime politique qui l'a immédiatement précédée. C'est ce que Platon montre amplement au livre VIII de la République. Platon y décrit en effet la dégénérescence progressive de la cité idéale en un régime timocratique d'abord, oligarchique ensuite, puis démocratique et enfin tyrannique. La tyrannie constitue done le terme définitif de cette décadence, c'est-a-dire ce régime ou l'injustice l'emporte absolument. Mais les différents régimes ne se succedent pas ici de maniere arbitraire: il y a au contraire un ordre de succession, dont le príncipe est que la tendance naturelle d'un régime, poussée a l'extreme, entraine finalement sa chute et sa transformation en un régime contraire. C' est ainsi que le désir de richesse sur lequel repose l'oligarchie finit par engendrer la guerre civile, de laquelle sort vainqueur la fraction du peuple qui instaure la démocratie. De meme, cette derniere, en rendant excessif le désir de liberté sur lequel elle repose, finit par engendrer la tyrannie: un exces donne naissance a un autre, la liberté a la servitude. En ce seos, l'avenement de la tyrannie a quelque chose d'inévitable, puisque le príncipe meme de la démocratie la conduit vers sa destruction et son remplacement par la tyrannie, uploads/Politique/ 4418-texto-del-articulo-9609-1-10-20160329.pdf
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- Publié le Mar 29, 2021
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