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Quand l'entrepreneur devient aussi entrepreneur politique et institutionnel : le cas du développement de la méthanisation agricole en France Mourad Attarça Maître de conférences Institut Supérieur de Management - LAREQUOI Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines 47 Bd Vauban - 78047 Guyancourt cedex mourad.attarca@uvsq.fr Maryvonne Lassalle-de Salins Maître de conférences associée AgroParisTech - CEPAL 1 Av. des Olympiades - 91744 Massy cedex maryvonne.lassalle@agroparistech.fr RÉSUMÉ L’objet de cette communication est d’étudier les liens entre l’entrepreneuriat (économique), l’entrepreneuriat institutionnel et l’entrepreneuriat politique. Nous présentons tout d’abord une approche théorique, en nous référant aux travaux sur ces trois types d’entrepreneuriat, ainsi qu’à ceux sur le lobbying - qui font appel au concept d’entrepreneur politique -, et en analysant quels liens peuvent s’établir entre ces différentes dimensions. Nous étudions ensuite le cas de deux exploitants agricoles, promoteurs de la méthanisation agricole avec injection du biogaz dans le réseau de gaz naturel. Ces exploitants -des entrepreneurs au sens économique- visent, avec la méthanisation, à diversifier leurs activités agricoles et à anticiper un possible durcissement à long terme des contraintes environnementales. Ils se heurtent à un cadre réglementaire inadapté et incomplet, ne permettant pas le développement de cette activité, nouvelle en France. Nous étudions ainsi les différentes actions qu’ils mènent, individuellement ou au travers d’une association professionnelle, pour établir les règles du jeu de cette nouvelle activité. Il s’agit alors pour eux, non seulement d’essayer d’influencer les décisions politiques en étant entrepreneur politique, mais aussi, de construire une nouvelle filière industrielle, ce qui correspond à la dimension institutionnelle de l’entrepreneuriat. Les trois dimensions de l’entrepreneuriat se combinent alors, montrant alors l’intérêt pour un entrepreneur d’agir également en entrepreneur politique et en entrepreneur institutionnel. MOTS CLES Entrepreneuriat - Entrepreneuriat institutionnel - Entrepreneuriat politique - Lobbying Quand l'entrepreneur devient aussi entrepreneur politique et institutionnel : le cas du développement de la méthanisation agricole en France INTRODUCTION Les travaux sur l’entrepreneuriat constituent un domaine de recherche important, qui peut être vu sous des perspectives variées, marquées par l’idée de création ou de développement d’entreprises et de flux d’affaires (Filion, 1997 ; Paturel, 2007). Les mêmes mots d’entrepreneur et d’entrepreneuriat sont aussi utilisés dans un contexte « hors marché » (Baron, 1995). Ainsi l’entrepreneur institutionnel cherche à transformer son environnement institutionnel (Di Maggio, 1988) de façon délibérée, ou est imité par des suiveurs, ce qui, dans les deux cas, modifie le champ institutionnel de ses activités. La notion d’entrepreneur politique, pour sa part, met l’accent sur la dimension politique, qu’il s’agisse de faire émerger et d’organiser l’action collective, ou de promouvoir certaines solutions à un problème donné (Salisbury, 1969). Les concepts d’entrepreneuriat institutionnel et d’entrepreneuriat politique font directement référence au concept d’entrepreneuriat économique, mais les recoupements entre ces trois dimensions de l’entrepreneuriat ne sont généralement que partiels. L’objectif de cette communication est de proposer une contribution exploratoire à la compréhension des liens entre entrepreneuriat (au sens économique du terme), entrepreneuriat institutionnel et entrepreneuriat politique. Nous nous intéressons au cas où les trois dimensions coexistent chez un même acteur. Les apports de la communication sont doubles. Dun point de vue théorique, il s’agit de montrer en quoi les différentes approches conceptuelles de l’entrepreneuriat sont convergentes. D’un point de vue empirique, nous souhaitons montrer comment ces trois dimensions se combinent lors d’un projet entrepreneurial, en quoi cela peut constituer un atout ou une contrainte pour l’entrepreneur, et quelles sont les caractéristiques communes entre les trois formes d’entrepreneuriat. La communication est structurée en trois parties. Dans un premier temps, nous reviendrons sur les concepts respectifs d’entrepreneuriat, entrepreneuriat institutionnel et d’entrepreneuriat politique afin d’identifier leurs zones de recouvrement. Nous nous intéresserons en particulier 1 à l’entrepreneur en tant qu’innovateur (Paturel, 2007). Dans un deuxième temps, nous présentons une étude exploratoire, basée sur un cas de démarche entrepreneuriale hybride, c’est-à-dire simultanément économique, politique et institutionnelle. L’étude de cas retrace les différentes actions menées par deux entrepreneurs individuels -deux exploitants agricoles- pour mener un projet innovant : la production de biogaz à partir des effluents d’élevage avec injection directe dans le réseau de gaz naturel. Nous terminons cette communication par une discussion qui s’appuie sur le cas pour en tirer quelques enseignements pratiques et théoriques sur la notion d’entrepreneuriat politique et sur la combinaison des trois dimensions de l’entrepreneuriat. 1. ENTREPRENEURIAT, ENTREPRENEURIAT INSTITUTIONNEL ET ENTREPRENEURIAT POLITIQUE Les concepts d’entrepreneuriat, d’entrepreneuriat institutionnel et d’entrepreneuriat politique relèvent de champs disciplinaires différents, respectivement celui de l’économie, celui du management stratégique et celui des sciences politiques. Ces concepts ne sont pas nécessairement convergents et des auteurs (comme Levy-Tadjine et al., 2006) ont ainsi relevé le caractère abusif de l’usage du terme « d’entrepreneuriat » en management stratégique. L’objectif de cette partie est de montrer qu’il existe des situations où ces trois concepts sont complémentaires et permettent de rendre compte de situations et de comportements spécifiques de certains acteurs : les entrepreneurs individuels qui font du lobbying (Limousin, 2007 ; McGrath, 2005) pour faire aboutir leur projet entrepreneurial. 1.1. L’ENTREPRENEURIAT ÉCONOMIQUE Les travaux sur l’entrepreneuriat constituent un domaine de recherche important, au confluent de plusieurs champs disciplinaires (Filion, 1997 ; Verstraete et Fayolle, 2004). Paturel (2007) distingue sept approches ou perspectives de l’entreprenariat :  L’approche par l’innovation ; il s’agit de l’approche la plus « classique » qui renvoie à la vision schumpetérienne de l’entreprenariat. Pour Schumpeter (1935), l’entrepreneur occupe une position centrale dans le système économique : capable de sortir des schémas de pensée habituels, de prendre des risques, il est au cœur des processus d’innovation, eux-mêmes les moteurs du développement de l’économie. L’entrepreneuriat est donc intimement lié à la notion d’innovation : « L’entrepreneur est celui qui favorise 2 l’émergence et le développement de nouvelles possibilités non encore connues dans l’environnement économique » (Liouville, 2002).  L’approche par la création ou l’impulsion organisationnelle ; cette approche, initiée par Gartner (1990), voit l’entrepreneuriat à travers l’émergence d’une nouvelle organisation. L’organisation doit cependant être considérée simultanément comme un moyen et comme le résultat du processus entrepreneurial (Verstraete et Fayolle, 2004).  L’approche par les opportunités ; Kirzner (1983) a, par exemple, montré que l’entrepreneuriat est une réponse à des besoins non satisfaits ou à des imperfections du marché. Dans une perspective similaire, Shane et Venkataraman (2000 : p. 218) considèrent que l’étude de l’entrepreneuriat est celle « des sources d'opportunités, du processus de découverte, d'évaluation et l'exploitation des opportunités, et de l'ensemble des individus qui les découvrent, les évaluent et les exploitent ».  L’approche par la création de la valeur ; Pour Bruyat (1993), le processus entrepreneurial renvoie à la dialogique1 « individu / création de valeur ». D’une part, l’individu (sujet) définit les modalités de la création de valeur (objet) et veille à sa mise en œuvre. D’autre part, l’objet du processus entrepreneurial « investit » l’entrepreneur et peut contribuer à modifier ses caractéristiques.  L’approche par le processus ; il s’agit de considérer l’entrepreneuriat sous l’angle d’un processus, c’est-à-dire un ensemble d’actions agencées dans le temps, par exemple les « diverses étapes de la création ex nihilo ou de la reprise (d’une entité) » (Paturel, 2007).  L’approche par les traits et l’approche par les faits ; ces approches (Paturel, 2007) mettent l’accent sur les caractéristiques propres à l’entrepreneur (origine sociale, personnalité, compétences…) ainsi que sur les récits des parcours entrepreneuriaux. Elles comportent un risque de déterminisme (tendance à dresser des portraits robots des entrepreneurs ou à surestimer les récits des « success story »). Ces différentes approches de l’entrepreneuriat apparaissent comme des perspectives plus complémentaires que concurrentes. Dans une approche syncrétique, Filion (1997) a ainsi proposé la définition suivante de l’entrepreneur : « une personne imaginative, caractérisée par une capacité à fixer et à atteindre des buts. Cette personne maintient un niveau élevé de sensibilité en vue de déceler des occasions d'affaires. Aussi longtemps qu'il/elle continue d'apprendre au sujet d'occasions d'affaires possibles et qu'il/elle continue à prendre des décisions modérément risquées qui visent à innover, il/elle continue de jouer un rôle 1 La dialogique doit être comprise, ainsi que la définit Edgar Morin, comme une relation entre deux notions à la fois complémentaires, antagonistes et concurrentes. 3 entrepreneurial ».. 1.2. L’ENTREPRENEURIAT INSTITUTIONNEL En cherchant à s’éloigner des approches néo-institutionnalistes déterministes, Di Maggio (1988) a proposé la notion d’entrepreneur institutionnel pour désigner les acteurs susceptibles de transformer leur environnement institutionnel et mieux comprendre les processus de transformations des institutions. Ce concept a, depuis, fait l’objet de nombreux développements théoriques et pratiques (Battilana et al., 2009 ; Dorado, 2005 ; Fligstein, 1997 ; Garud et al., 2007 ; Lawrence et Suddaby, 2006 ; Maguire et al., 2004 ; Munir et Phillips, 2005). Le terme d’entrepreneuriat institutionnel fait également l’objet de controverse de par son caractère polysémique (Lévy-Tadjine et al. 2006). La notion d’entrepreneur institutionnel renvoie ainsi à des « acteurs qui ont un intérêt dans des arrangements institutionnels particuliers et qui utilisent des ressources pour créer de nouvelles institutions ou pour transformer des institutions existantes » (Maguire et al., 2004 : p. 657). Dans une synthèse de la littérature, Delemarle (2007) identifie deux catégories de situations d’entrepreneuriat uploads/Politique/ aims2012-2815.pdf

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