L'ÉMANCIPATION DES JUIFS D'ALGÉRIE, UNE DÉCLINAISON DU MODÈLE ALSACIEN ? Michae
L'ÉMANCIPATION DES JUIFS D'ALGÉRIE, UNE DÉCLINAISON DU MODÈLE ALSACIEN ? Michael Shurkin Les Belles lettres | « Archives Juives » 2012/2 Vol. 45 | pages 14 à 31 ISSN 0003-9837 ISBN 9782251694351 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-archives-juives1-2012-2-page-14.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Les Belles lettres. © Les Belles lettres. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Or, en un sens, l’histoire de la régénération des Juifs algériens commence en Alsace, et l’évolution des deux communautés a continué de suivre des voies paral- lèles jusqu’à la perte de l’Alsace par la France. La question juive en Alsace Les pressions exercées sur l’État pour qu’il traite du « problème » juif en Alsace trouvent leur origine dans l’éco- nomie, la société rurale et la place qu’y occupaient les Juifs alsaciens. Rappelons seulement que les ruraux alsaciens considéraient leurs voisins juifs non pas comme faisant partie des leurs, mais au mieux comme des étrangers et au pire comme des parasites. L’hostilité était assez intense pour menacer réellement l’ordre public. En vérité, le risque de violences antisémites dans les années 1810 et 1820 – l’époque des pogroms « Hep ! Hep ! » en Allemagne, de l’autre côté de la frontière – était si élevé que les préfets en poste en Alsace durent maintenir une vigilance policière constante et déployer, en plusieurs occasions, des unités régulières de l’armée pour prévenir l’agitation et protéger les communautés juives. Les violences à grande échelle de 1832 et 1848 exigèrent des interventions militaires. Surtout, une liaison Affiche de soutien des autorités françaises aux notables du consistoire d’Oran en butte à une fronde interne en 1848. Central Archives of the History of the Jewish People, AL/inv/6628. L’émancipation des Juifs d’Algérie, une déclinaison du modèle alsacien ? Michael Shurkin © Les Belles lettres | Téléchargé le 03/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.99.49.58) © Les Belles lettres | Téléchargé le 03/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.99.49.58) L’émancipation des Juifs d’Algérie, une déclinaison du modèle alsacien ? – 15 possible entre ces émeutes antijuives et le ferment révolutionnaire ne pouvait échapper aux gouvernements successifs, anxieux de conserver un soutien populaire en Alsace et redoutant de voir les opposants radi- caux utiliser le drapeau de l’antisémitisme pour rallier la population. Les autorités parisiennes savaient qu’apparaître comme un appui pour les Juifs n’était pas fait pour les rendre populaires dans les campa- gnes alsaciennes, et pourtant elles défendaient les Juifs et leurs intérêts depuis l’établissement du contrôle de la France sur cette province au XVIIe siècle – ce qui permet de comprendre pourquoi les Juifs servaient de dérivatif au mécontentement politique. En 1791, l’Assemblée natio- nale, inspirée par l’optimisme des Lumières, accomplit un pas radical en émancipant les Juifs alsaciens dans l’espoir que la liberté aurait un effet salutaire sur les intéressés et débarrasserait la France du problème juif. Cette approche fit long feu : quinze ans plus tard environ, Napoléon Ier, bien moins animé par ces considérations, modifia le décret d’éman- cipation et fit d’importantes concessions à l’opinion selon laquelle les Juifs – surtout ceux d’Alsace –, trop différents pour pouvoir bénéficier de l’égalité civile complète, devaient être soumis à des « mesures d’ex- ception » de nature à hâter leur régénération. C’était là le début d’une contradiction qui allait rester fichée au cœur des politiques juives en Alsace et plus tard en Algérie, d’une hésitation entre deux engagements simultanés : l’un en faveur de l’égalité civile, des Lumières et des idées révolutionnaires sur la perfectibilité de l’homme et l’autre reconnaissant à la fois la nécessité de se montrer pragmatique et la distance séparant les Juifs des Français. Par ailleurs, d’un point de vue purement pratique, la dissolution formelle des administrations communautaires juives créait des problèmes que l’État préférait ne pas avoir à prendre en charge, en particulier celui des besoins en protection sociale de nombreux Juifs indigents. La stratégie impériale comprenait trois aspects. D’abord, elle soumit les Juifs alsaciens, discriminés comme tels, à une punition collective pour usure et leur imposa des mesures de coercition économique – réunies dans ce que l’on a appelé le « Décret infâme » – dont le but était de les contraindre à changer. Ensuite, Bonaparte ressuscita de fait les corporations juives d’Ancien Régime, et les chargea de reprendre leurs vastes programmes sociaux ainsi que de mobiliser les ressources communautaires pour réaliser la modernisation culturelle voulue par l’État et les élites juives parisiennes. À ces fins, l’État encouragea les nouvelles corporations, désormais dénommées consistoires, à établir sur les individus juifs une autorité qui allait à l’encontre de la loi française et © Les Belles lettres | Téléchargé le 03/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.99.49.58) © Les Belles lettres | Téléchargé le 03/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.99.49.58) 16 – Dossier : Français, Juifs et Musulmans dans l’Algérie coloniale du principe constitutionnel. Il invitait fortement les consistoires à agir autant qu’il était possible comme les corporations d’Ancien Régime1. Enfin, l’État et ses partenaires juifs attendaient des consistoires qu’ils agissent sur les Juifs et les guident, et non qu’ils soient les instruments d’une autonomie démocratique pour les personnes mêmes qui avaient besoin d’être régénérés. La législation initiale limita le nombre de Juifs appelés à se prononcer sur les affaires consistoriales à un collège élec- toral ouvert uniquement au petit nombre d’hommes qui répondaient strictement au critère d’être des propriétaires et maintint sur l’organi- sation consistoriale la surveillance étroite des préfets, secondés par la police locale et le Consistoire central. Cette approche se libéralisa rapidement. La Restauration laissa s’éteindre le « Décret infâme ». Elle commença aussi à inclure les Juifs dans le mouvement général d’expansion de l’instruction primaire publique, laquelle devint le pivot de la stratégie officielle pour les régé- nérer et faire d’eux des Français. Cela supposait que les responsables officiels adhèrent, quasiment à tous les niveaux, non seulement à l’idée du rôle civilisateur des Lumières, mais aussi au principe de l’égalité civile. L’instruction primaire moderne chez les Juifs reçut une impul- sion majeure sous la Monarchie de Juillet. Ce régime redoubla d’efforts pour ouvrir de nouvelles écoles pourvues d’enseignants diplômés appli- quant des programmes et des outils uniformisés, fermer les institutions traditionnelles et obliger les responsables municipaux à subventionner l’instruction des Juifs. Il libéralisa également le système consistorial, au moins dans les limites de la doctrine libérale professée par François Guizot et ses contemporains. Le 25 mai 1844, il promulgua une ordon- nance royale, rédigée en collaboration avec le Consistoire central dirigé par Adolphe Crémieux, qui élargit le suffrage de manière à promou- voir de nouvelles élites ostensiblement libérales – les « capacités » selon la terminologie de Guizot – et restreindre l’influence des élites juives traditionnelles. La Seconde République bouleversa provisoirement l’en- semble du système en instaurant le suffrage universel masculin dans les élections consistoriales. Tandis que la condition légale des Juifs se libéralisait en France en général, les officiels français et les élites du Consistoire central ne nour- rissaient pas moins des doutes persistants sur les Juifs alsaciens, en parti- culier sur ceux du Haut-Rhin, dont ils craignaient qu’ils demeurent trop particuliers pour qu’on puisse leur accorder les libertés grandissantes dévolues aux autres Juifs. Ils maintenaient donc des mécanismes légaux et des pratiques qui contredisaient de plus en plus la politique générale. © Les Belles lettres | Téléchargé le 03/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.99.49.58) © Les Belles lettres | Téléchargé le 03/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.99.49.58) L’émancipation des Juifs d’Algérie, une déclinaison du modèle alsacien ? – 17 Par exemple, Crémieux et ses collègues pensaient que la libéralisation apportée par l’ordonnance de 1844 pourrait se révéler contreproduc- tive dans le Haut-Rhin. Convaincus qu’il serait mauvais de singula- riser les Juifs de ce département dans la nouvelle législation par une « mesure d’exception », ils introduisirent dans la loi des dispositions de portée générale qui permettaient aux préfets de réduire à néant les conséquences indésirables de l’extension de l’électorat juif en peuplant les collèges électoraux d’hommes triés sur le volet et en bloquant ainsi la majorité. Après que la Seconde République a décidé uploads/Politique/ aj-452-0014.pdf
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- Publié le Jui 20, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
- Langue French
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