1 Observatoire du monde juif Quatre fois l’an 10 € Bulletin n° 10/11 mai 2004 L

1 Observatoire du monde juif Quatre fois l’an 10 € Bulletin n° 10/11 mai 2004 L’Observatoire du monde juif, organisme indépendant et autonome, a pour vocation d’étudier et d’analyser la condition des communautés juives et les problèmes auxquels elles sont confrontées en France et dans le monde, tant sur le plan de leur existence spécifique que sur celui de leur environnement politique, social et culturel. Il se donne pour objectif de clarifier les enjeux des questions juives, d’en informer les responsables politiques et les professionnels de l’information, de communiquer les résultats de ces investigations aux milieux de la recherche, d’aider les communautés juives à se repérer dans l’évolution des choses. Pour trancher sur les stéréotypes et les déformations qui accablent le plus souvent ces sujets, l’Observa- toire se recommande des méthodes universitaires de la recherche sociologique et politologique. L’idée d’un Observatoire du monde juif implique que le « monde juif » constitue autant un poste d’obser- vation de l’environnement qu’une réalité observée elle même. C’est dans cette deuxième perspective que s’inscrit cette livraison. Un des faits les plus étonnants des événements des trois dernières années fut sans doute la con- damnation du « communautarisme » et du « repli communautaire » de la « communauté juive », au plus fort des agressions qu’elle subissait. En somme, l’acte d’agression qui identiait les Juifs comme tels se voyait retourné contre eux pour fustiger un excès d’afrmation identitaire. Il n’y a rien de plus délégi- timant qu’un tel soupçon. En effet, pour le dire à la façon de Raymond Aron dénissant « l’idéologie »: « le communautarisme, c’est toujours celui de mon ennemi ». Le terme, dans le débat politique français actuel, désigne une attitude en retrait de la nation et de la loi républicaine. Le souvenir de l’ancienneté de l’inscription des Juifs dans les cadres de la France moderne accentue le côté erratique d’un tel juge- ment. Cependant, le terme de « communauté », dont un historien a relevé plus de cent signications, recèle par essence, il faut le reconnaître, une ambiguïté irré- ductible, susceptible d’interprétations diverses. C’est sur ce soupçon que revient ce dossier. Faut-il y voir un avatar de la vieille accusation de « complot » ? Elle connaît de toutes façons un regain inédit dans certains pays, que ce soit sous la forme des « Protocoles des Sages de Sion » ou sous celle du « lobby juif ». Faut- il y entendre le reproche de « double allégeance » ? Il ne fait pas de doute qu’elle ne peut se manifester et se comprendre que replacée dans le contexte socio-poli- tique français actuel, symptôme parmi d’autres, mais plus que d’autres, d’une crise plus large. Les articles ici réunis ne se confrontent pas à cette question très vaste. Ils visent avant tout à éprouver cette accusation au l de la réalité sociologique des communautés juives, dans ce qu’elles sont durable- Mythes et réalités du Judaïsme français Communauté juive et communautarisme S T,   ’O    ment et dans leurs repères identitaires les plus impor- tants. Le paysage qui en ressort ne la conrme pas du tout. Bien au contraire, la crise récente a vu naître un nouveau mouvement associatif dans différentes régions françaises dont la nalité fut, par delà les vocations spéciques, d’intensier la communication avec la société et la sphère politique, pour rompre le sentiment d’isolement et de relégation et démontrer l’inanité de la rumeur. Ce mouvement ne fut pas tou- jours bien compris. Au plus fort des événements, on y vit souvent de l’agressivité. Nous en rendons compte de façon inédite, dans ce qu’il fut et est toujours. Néanmoins, comme on le verra, cette crise qui a ébranlé l’évidence de la légitimité d’une communauté juive dans la société française n’est pas allée sans une crise interne, qui s’avère avoir été le cadre même de cette créativité associative. Une crise dans la crise en somme, un microcosme où les dés lancés à la commu- nauté juive dans son ensemble se virent posés en son sein même. Vérication paradoxale que la crise qui s’est cristallisée autour de la communauté juive est la crise de la société française. ■ 2 Les « tensions intercommunautaires » De ce point de vue ce soupçon (qui se décline suivant une terminologie très savante : tribalisme, repli com- munautaire, lobby, etc.) est inséparable d’une autre notion bizarre : les « tensions intercommunautaires ». Cet euphémisme politiquement correct désigne en fait l’antisémitisme nourri à l’effervescence inouïe de la haine antijuive dans le monde arabo-islamique, qui a ni par gagner de larges secteurs de la population européenne immigrée, d’où l’essentiel des agressions antisémites a émané depuis trois ans et, plus préci- sément, depuis la guerre du Golfe. Étrange notion, en effet, qui déculpabilise les fauteurs de troubles, pour faire partager avec « équité » à leurs victimes une co-responsabilité dans l’agression dont elles sont victimes. Comme si la réciprocité était vraie dans les actes d’agression. Le concept de « tensions intercom- munautaires » implique en fait une véritable dénéga- tion du phénomène antisémite comme tel et la mise en question de ses victimes pour « alléger » la faute de ses auteurs. Il engendre inéluctablement – ce que les faits ont vérié – la peinture d’une communauté juive agressive et donc communautariste. La meilleure illustration en fut donnée par le compte rendu jour- nalistique de la manifestation du 7 avril 2002 qui a vu descendre dans la rue la moitié de la communauté juive, une manifestation dont tous les observateurs pourtant avaient pu observer le caractère pacique, si l’on excepte les casseurs de n de manifestation qui s’engoufrent – à l’habitude – dans la protestation citoyenne. En somme, c’est le cri et l’appel à l’aide de la victime qui t scandale. Pas l’acte agressif! La bizarrerie d’une telle situation est double. L’ac- cusation n’est pas en effet corroborée par la réalité même de la condition juive dans ce pays. Les Juifs sont inscrits dans le pacte national et le pacte républicain, depuis que la France moderne existe. Le premier date de 1807, avec la convocation par Napoléon du Sanhé- drin qui a vu les Juifs (rabbins et laïcs) réformer le judaïsme pour entrer dans la nation, en renonçant explicitement à ses lois politiques et civiles. C’est Napoléon qui institua ainsi le judaïsme consistorial qui devint le mode d’insertion des Juifs dans la nation. C’est ce mode qui fut reconduit avec la loi de la sépara- tion des Églises et de l’État en 1905. Le même proces- sus se retrouve pour le gros contingent des Juifs d’AFN qui forment le judaïsme français, les Juifs d’Algérie1. La bizarrerie découlait aussi d’une inversion de la réalité de la situation : en l’occurrence, le fait que les agressions émanaient d’un communautarisme bien plus réel, celui que promeuvent les courants fonda- mentalistes islamiques qui ont pour objet de consti- tuer les populations immigrées en minorité nationale dans le cadre de la future Europe. De façon stupé- ante, ces problèmes se virent abordés à travers des objets secondaires et abstraits (laïcité, voile, etc.) – ce qui n’enlève rien à leur importance – sans que pour autant ces populations ne se voient aussi massivement et directement accusées de communautarisme que les Juifs. On ne peut que penser qu’est ici à l’œuvre un système de « deux poids, deux mesures », qui s’exerce sur le maillon le plus faible du réseau social, le maillon juif, selon la logique du bouc émissaire, excellemment décrite par René Girard. Une conrmation par un tierce exemple, encore plus révélateur, nous est donnée du caractère très singulier d’une telle accusation en comparant le trai- tement réservé à la communauté juive à celui de la communauté chinoise (sans parler plus largement de la communauté asiatique) évaluée à environ 450 000 personnes dont 250 000 dans la région parisienne, soit un chiffre comparable à celui de la communauté juive. Nous avons là en effet une population d’immigrés qui augmente très vite (19,6 % en 4 ans selon le rapport de décembre 2002 du ministère de l’intérieur) et qui donne tous les signes d’une acculturation problémati- que, de repli communautaire et économique. Des rues et des quartiers entiers se sinisent au l des enseignes en chinois des échoppes et des commerces et des regroupements de population provoquant le départ des anciens résidents. Or, on n’entend pas parler de communautarisme à propos de cette population. Nous comprenons par déduction que l’accusation de com- munautarisme lancée contre les Juifs est une partie intégrante du phénomène antisémite depuis trois ans. Ses antécédents à vrai dire sont historiques, relevant de la vieille histoire de l’antisémitisme européen. Un tel climat n’est pas bien sûr sans effet sur les Le soupçon de « communautarisme » : la politique d’une terminologie S T,   U Les historiens relèveront sûrement dans 50 ans (mais après quels drames ?) la bizarrerie de la mise en accusation des Juifs de France quant à leur délité à la nation et à la loi républicaine. C’est bien ce qu’implique en uploads/Politique/ communaute-juive-et-communautarisme-pdf.pdf

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