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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 Entre les États-Unis et la Chine, Paris cherche sa voie PAR FRANÇOIS BOUGON ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 21 SEPTEMBRE 2021 © Photo Andrew Parsons / 10 Downing Str / Agence Anadolu / AFP La France est la victime collatérale de l’alliance entre les États-Unis, l’Australie et la Grande-Bretagne face à la Chine. Mais cette crise transatlantique montre aussi la nécessité d’en finir avec l’héritage écrasant du gaullisme flamboyant. La France est en colère. Et un Breton tonne. Samedi soir, le ministre des affaires étrangères Jean- Yves Le Drian a été envoyé en mission commandée au «Journal» de France 2 pour jouer les « bad cops » après la rupture par l’Australie du « contrat du siècle ». L’ancien hiérarque socialiste– passé maître dans l’art du deal avec des dictatures pour leur vendre des armes – met Joe Biden, l’actuel président états-unien, dans le même sac que son prédécesseur, Donald Trump. « Sans les tweets. » La nuance n’est guère diplomatique, tout comme les mots et expressions employés : « mensonge », « duplicité », « rupture majeure de confiance »… Lundi, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies à New York, le ministre a redit à quel point « ce qui compte là, maintenant, c’est d’abord la question de la rupture de confiance entre partenaires ». « Tout ça nécessite aujourd’hui des clarifications », a-t-il déclaré. La pilule est amère pour celui qui avait accueilli en juin à Paris le chef de la diplomatie de l’administration Biden, Antony Blinken, francophone et francophile, en lançant : « Bienvenue chez toi ! » Crise transatlantique Bref, la crise est là entre Paris et ses alliés américains et australiens– les deux ambassadeurs ont été rappelés à Paris pour consultations – après l’annonce de l’alliance AUKUS entre Washington, Canberra et Londres destinée à contrer la Chine dans l’Indo-Pacifique mais qui passe, dans un premier temps, par l’abandon de la vente de sous-marins français. Il faut une question du journaliste pour que Le Drian évoque la Grande-Bretagne. La colère vire alors au mépris : « On connaît leur opportunisme permanent, donc ce n’est pas la peine de faire venir notre ambassadrice pour qu’elle nous l’explique […]. Et la Grande-Bretagne, dans cette affaire, c’est un peu la cinquième roue du carrosse. » Les Français ont des raisons objectives de ne pas accepter une décision humiliante prise à leur insu par des pays censés être des alliés. « Dans une vraie alliance, on se parle », a estimé Le Drian. Joe Biden, Boris Johnson et Emmanuel Macron lors du sommet des dirigeants du G7 à Carbis Bay, au Royaume-Uni, le 11 juin 2021. © Photo Andrew Parsons / 10 Downing Str / Agence Anadolu / AFP Dans un éditorial publié lundi, le quotidien australien The Age a également jugé que l’Australie aurait dû « mieux traiter la France ». « M. Macron doit faire face à une élection difficile et il pourrait y avoir un élément de posture nationaliste dans [sa] réponse, écrit le journal. Néanmoins, il est clair que cette décision a créé des tensions. Si elle n’est pas corrigée par notre ministre de la défense et notre corps diplomatique, elle pourrait à long terme aller à l’encontre de nos intérêts dans le Pacifique Sud, où les Français restent influents, et dans l’Union européenne, où ils jouent un rôle essentiel– ce dont nous n’avons pas besoin lorsque nous essayons de négocier un accord de libre-échange post-Brexit. » Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/3 Côté américain, selon le Washington Post, on attribue aussi ces emportements théâtraux à la prochaine présidentielle. Et l’on promet un coup de téléphone de Joe Biden à Emmanuel Macron pour apaiser la situation. Mais, à quelques mois de ce scrutin important en France, cette crise, provoquée par le « Grand jeu » géopolitique en Asie-Pacifique – ce qu’on appelle désormais l’Indo-Pacifique, une notion qui s’est imposée ces dernières années sur fond de montée en puissance de la Chine–, devrait permettre d’ouvrir le débat sur ce que pourrait être la diplomatie française au XXIe siècle. Tectonique des plaques Car, au-delà des passions du moment, on assiste à un changement géopolitique profond. Comme le remarque l’hebdomadaire libéral britannique The Economist, il est possible de voir de temps à autre « les plaques tectoniques de la géopolitique se déplacer devant vos yeux » : Suez en 1956, Nixon en Chine en 1972, la chute du mur de Berlin en 1989... AUKUS s’ajoute à la liste. Cette crise dans le pacte transatlantique peut être un mal pour un bien : tenter enfin de définir une politique étrangère entre les deux superpuissances d’aujourd’hui, les États-Unis et la Chine. Cela ne peut passer bien évidemment que par le renforcement d’une politique européenne, car, on l’a bien vu avec cette histoire de contrat rompu, la France est une puissance moyenne, qui dispose certes d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, mais qui, seule, n’a plus les moyens de ses ambitions : être une puissance d’équilibre. Alors, bien sûr, pourra-t-on rétorquer, les élites françaises ne cessent d’en appeler à l’autonomie stratégique européenne. Comme l’a dit l’ambassadeur français aux États-Unis, Philippe Étienne, lundi matin, au micro de RTL, « nous sommes une puissance d’équilibre, nous sommes une puissance importante, nous avons nos moyens, les moyens de la France. Nous avons aussi une Union européenne qui a de plus en plus les moyens d’assurer sa contribution à la sécurité locale, nous voulons poursuivre dans cette voie ». Mais pour réussir ce basculement, il faudra opérer certains choix douloureux, se poser de nouveau la question du rôle de l’Otan dans ce monde nouveau, en finir aussi avec le mythe de la grandeur de la France, qui conditionne encore les pensées et les actions de nos élites, et entrave un véritable engagement européen de la part de la France, qui aime à cultiver son « exceptionnalisme ». Ce qui explique les critiques récurrentes sur l’arrogance française adressées par beaucoup de nos alliés. Le général de Gaulle avait imposé ce mythe de la grandeur à une nation traumatisée par la perte de son empire. Il mettait en scène cet exceptionnalisme français, fustigeant la « concurrence acharnée des idéologies » entre Américains et Soviétiques, leur « rivalité passionnée ». Cette idée de la grandeur – une influence sans puissance – allait de pair avec une politique économique centrée sur des investissements de prestige, souvent publics, visant à maintenir la France dans la «course au progrès » internationale qui, alors, fait rage pendant les Trente Glorieuses. Une France humiliée Mais, un demi-siècle plus tard, cet édifice se craquelle, car le monde bipolaire de la guerre froide a vécu. Si les successeurs du général ont tenté de se distinguer en étant porteurs, au gré des événements, des revendications de différentes écoles en matière de diplomatie – écoles souverainiste, réaliste, internationaliste, etc.–, sur la question de la grandeur et de la singularité française, la geste gaullienne reste de mise. On voit ainsi Emmanuel Macron se rendre au Liban et se présenter comme le sauveur suprême du pays juste après l’explosion dans le port de Beyrouth en août 2020. Un an plus tard, on en voit les résultats... Alors oui, il faudra aussi en finir avec le présidentialisme étroitement lié à la Ve République dans le domaine diplomatique ; avec ce « pré carré » réservé au monarque républicain qui étouffe tout débat et entrave toute construction collective sur ce que pourrait être le rôle de la France dans un monde dominé par les deux superpuissances états-unienne et chinoise ; avec ce gaullisme flamboyant qui perpétue Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/3 postures et réflexes conditionnés en total décalage avec les évolutions de ce nouveau monde et ses défis (montée des inégalités, désastre climatique, poids des plateformes numériques dites Gafam…). On le voit bien dans cette crise transatlantique, les médias relaient le récit d’une France humiliée, mais peu posent la question des responsabilités des uns et des autres. Comme le souligne Hélène Conway- Mouret, sénatrice socialiste des Français de l’étranger et secrétaire de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, « il faut tirer toutes les leçons de cette affaire, non pour blâmer les uns et les autres, mais pour comprendre nos failles ». « Soit les renseignements [sur les problèmes rencontrés en Australie– ndlr] sont remontés à l’Élysée qui a décidé de ne rien faire, soit ils ne sont pas remontés et nous devons revoir notre veille économique et politique, et éviter de répéter les mêmes erreurs pour les contrats en cours et à venir », explique-t-elle à Mediapart. Mais il faudra plus qu’une commission d’enquête du Sénat ou de l’Assemblée nationale. Par exemple des débats sur ces questions au cours de la campagne présidentielle. Il est possible de rêver. Tout reste donc à imaginer, en particulier à gauche de l’échiquier politique. Il faudra en finir avec l’héritage gaullien, ce qui ne se uploads/Politique/ article-984004.pdf

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