Le biopouvoir chez Foucault et Agamben, Katia Genel Foucault repère une transfo

Le biopouvoir chez Foucault et Agamben, Katia Genel Foucault repère une transformation du pouvoir lorsque la vie entre dans ses préoccupations à partir du XVIII e siècle. Il appelle « bio-pouvoir » les techniques spécifiques du pouvoir s’exerçant sur les corps individuels et les populations, hétérogènes aux mécanismes juridico-politiques du pouvoir souverain. Agamben, dans Homo sacer, reprend l’hypothèse foucaldienne et la fait fonctionner précisément sur le terrain délaissé par Foucault, celui de la souveraineté. La souveraineté ne porte pas à ses yeux sur des sujets de droits, mais de manière cachée sur une « vie nue », ex-ceptée par le pouvoir qui l’expose à sa violence et à sa décision souveraine. On peut alors interroger le déplacement de l’hypothèse foucaldienne opéré par Agamben et les rapports problématiques entre pouvoir souverain et bio-pouvoir, afin d’évaluer la pertinence et la fécondité de la notion de bio-pouvoir. 1. Pouvoir souverain et bio-pouvoir 1.1. Du pouvoir souverain au bio-pouvoir 1.2. Le pouvoir souverain comme bio-pouvoir 2. Bio-pouvoir et modernité politique 2.1. Histoire et crise du pouvoir souverain 2.2. L’aporie de la démocratie 2.3. L’analyse du totalitarisme 2.4. Le camp comme matrice de l’espace politique 3. Bio-pouvoir et bio-politique 3.1. La vie comme résistance au pouvoir 3.2. La vie comme fondement de la politique ? Conclusion L’hypothèse d’un bio-pouvoir, c’est-à-dire d’un certain rapport entre le pouvoir et la vie, a été initialement formulée par Foucault dans La volonté de savoir et dans les cours contemporains donnés au Collège de France (Il faut défendre la société1). Foucault propose ainsi une nouvelle approche du pouvoir en identifiant un mode spécifique d’exercice du pouvoir lorsque la vie entre dans ses préoccupations. Il étudie les technologies de pouvoir qui, à partir du XVIIIe siècle, investissent spécifiquement la vie, c’est-à-dire les corps individuels, objets d’une « anatomo-politique ». Il s’inscrit en cela dans la continuité de ses analyses sur les disciplines. Il souligne qu’à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, la vie de l’espèce humaine devient l’enjeu des stratégies politiques, marquant le « seuil de modernité biologique d’une société ». On voit apparaître des techniques de pouvoir, des mécanismes régulateurs ou assurantiels, qui encadrent la vie des corps-espèces et contrôlent les processus biologiques affectant les populations. C’est ce que Foucault nomme la « bio-politique » dans le dernier chapitre de la Volonté de savoir. De son côté, Agamben, conformément au sous-titre de son ouvrage Homo sacer. Le pouvoir souverain et la vie nue2, reprend, dans un tout autre sens, la pensée d’un rapport entre vie et pouvoir. Il analyse la structure originaire du pouvoir souverain comme une relation spécifique à la vie, qu’il appelle « relation d’exception ». La souveraineté ne porte pas selon lui sur des sujets de droits, mais de manière cachée sur une « vie nue » qu’elle prélève à partir des formes de vie auxquelles elle se rattache normalement. La vie se trouve exposée à la violence et à la puissance de mort du pouvoir souverain. Elle fait l’objet d’une décision souveraine qui la qualifie et en détermine la valeur. La vie, prise dans cette logique d’« exception », alimente le fonctionnement du pouvoir souverain, qui s’institue et se maintient en produisant le « corps biopolitique » sur lequel il s’exerce. La reprise de l’hypothèse du bio-pouvoir proposée par Agamben déplace le sens de la notion et l’enjeu de la question telle qu’elle était formulée par Foucault. Foucault inscrit le bio-pouvoir dans le cadre particulier de sa réflexion sur le pouvoir : il montre que le pouvoir se modifie lorsqu’il prend la vie comme objet. Cette transformation de la manière dont le pouvoir s’exerce et se donne à voir requiert une transformation de la manière dont il nous faut le penser. Pour Foucault, l’hypothèse d’un bio-pouvoir implique certes une redéfinition du pouvoir, mais surtout du mode de saisie du pouvoir, pour l’appréhender là où il ne se donne pas. Elle a donc un caractère polémique, puisqu’il s’agit dans le bio- pouvoir de mécanismes spécifiquement modernes de pouvoir, qui échappent à la théorie traditionnelle du pouvoir souverain. Si le bio-pouvoir se noue à diverses reprises et sous diverses modalités avec le « vieux pouvoir souverain », et s’il se rapporte aux larges processus de la souveraineté et du droit, il reste cependant hétérogène aux mécanismes juridiques qui caractérisent la souveraineté. Il fonctionne selon des technologies de pouvoir et doit être analysé dans le jeu concret de ses procédés les plus locaux. Dans sa reprise, Agamben fait sortir le bio-pouvoir de ce champ premier de problématisation. En effet, il réinvestit la question délaissée par Foucault, celle de la souveraineté. De surcroît, il n’entend pas penser des techniques de pouvoir spécifiques et historiquement déterminées, mais la structure même de la souveraineté depuis son origine, en la déchiffrant comme un rapport à la vie. Ainsi, Agamben déplace l’hypothèse du bio-pouvoir et procède à son extension à la nature même du pouvoir souverain. Est-il alors légitime ou pertinent de faire du bio-pouvoir la structure originaire de la souveraineté, puisqu’il fait fonctionner le concept de bio-pouvoir à l’intérieur même du concept de souveraineté ? Telle sera notre première question. Cependant, Agamben ne se borne pas à mettre en lumière la relation à la vie nue qui constitue la structure du pouvoir souverain. Il utilise la notion de bio-pouvoir ainsi redéfinie pour éclairer l’histoire de la souveraineté depuis son origine jusqu’à la modernité politique, qui est marquée par son entrée en crise. La politique actuelle et les énigmes du siècle, comme le nazisme, qui restent « dramatiquement actuelles », doivent être élucidées sur le terrain même – la biopolitique – où elles se sont formées. Le bio-pouvoir est donc sollicité par Agamben pour penser le tout de l’espace politique, fonctionnant alors selon la matrice qu’est le camp, paroxystiquement bio-pouvoir puisque décision radicale sur la vie nue. On peut alors s’interroger sur la pertinence et la fécondité de cet usage étendu de la notion pour penser la modernité politique. Enfin, le contenu nouveau donné à la notion de bio-pouvoir par ce déplacement et cette extension appelle une transformation de ce que l’on entend par politique. Si l’on peut admettre avec Foucault que la vie est un enjeu privilégié du pouvoir, que « l’homme moderne est un animal dans la politique duquel sa vie d’être vivant est en question 3 », peut-on avec Agamben compléter la formule par son inversion selon laquelle « nous sommes des citoyens dans le corps naturel desquels est en jeu leur être politique même 4 » ? Le contenu donné à la notion de bio-pouvoir commande la manière dont on peut penser la résistance au pouvoir et la possibilité d’une autre politique. Il s’agirait alors de penser la vie comme le fondement possible d’une résistance au pouvoir et comme le point d’ancrage d’une politique. L’analyse polémique des mécanismes de pouvoir est alors doublée d’un enracinement vitaliste de la politique, qu’il convient d’interroger. 3On a donc affaire à deux appréhensions différentes du rapport entre le pouvoir et la vie, à deux contenus donnés à la notion de bio-pouvoir. La difficulté provient de l’indétermination des notions de vie et de pouvoir. Si la vie de l’être vivant, individuel et collectif, est l’enjeu des analyses de Foucault, le concept de vie nue d’Agamben est à la fois plus précis, puisqu’il implique une vie prise dans un rapport à la puissance et à la décision souveraine ; et plus métaphysique, puisque la vie nue serait le fondement oublié de l’histoire de la politique. On étudiera le bio-pouvoir sous l’angle de l’élucidation qu’apporte sa reprise par Agamben, en interrogeant sa plasticité pour éclairer l’histoire et les transformations du pouvoir jusqu’à aujourd’hui, ainsi que la résistance possible au pouvoir. Le déplacement proposé par Agamben est alors concevable comme la mise à l’épreuve de la notion de bio-pouvoir. 1. Pouvoir souverain et bio-pouvoir 4Les analyses proposées par Agamben dans Homo sacer constituent une reprise de l’hypothèse foucaldienne du bio- pouvoir, reprise qui est d’abord un déplacement de la question sur le terrain de la souveraineté. Afin de mesurer ce déplacement, il convient de rappeler les enjeux du bio-pouvoir chez Foucault. La formulation de l’hypothèse selon laquelle s’ouvre l’ère d’un bio-pouvoir est solidaire d’une redéfinition du pouvoir, qui n’est finalement pas menée à son terme dans cette voie, mais conduit Foucault à poser la question du sujet. L’analyse qui conduit à une telle redéfinition du pouvoir est menée selon deux plans solidaires, celui du mode d’exercice du pouvoir et celui de son mode de saisie, puisque ce qui nous empêche d’appréhender le pouvoir dans le jeu complexe de ses procédés est précisément qu’il se présente dans le code du droit et de la souveraineté : saisir la transformation du mode d’exercice du pouvoir, c’est le lire selon une nouvelle approche. En ce sens, l’hypothèse du bio-pouvoir implique une critique des modes traditionnels d’approche du pouvoir comme pouvoir souverain. 1.1. Du pouvoir souverain au bio-pouvoir L’ère du bio-pouvoir, où la vie est prise en compte par le pouvoir, succède au pouvoir de souveraineté, compose avec lui et uploads/Politique/ le-biopouvoir-chez-foucault-et-agamben.pdf

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