Evgueni Chmourlo (Шмурло Евгений Францевич) 1853 – 1934 L’HISTOIRE DE LA RUSSIE

Evgueni Chmourlo (Шмурло Евгений Францевич) 1853 – 1934 L’HISTOIRE DE LA RUSSIE AU POINT DE VUE DE SES CONDITIONS GÉOGRAPHIQUES 1935 Article paru dans le Bulletin de l'association russe pour les recher- ches scientifiques à Prague, vol. II (VII), n° 8, 1935. LA BIBLIOTHÈQUE RUSSE ET SLAVE — LITTÉRATURE RUSSE — 2 TABLE INTRODUCTION...................................................................................5 Caractère national des conquêtes russes dans le domaine intellectuel..............................................................................................5 I. LE DÉDOUBLEMENT DE LA VIE RUSSE...................................9 LES DEUX COURANTS.............................................................................9 LE FRONT EUROPÉEN. ..........................................................................11 Étapes communes dans la marche historique.................................16 LE FRONT ASIATIQUE...........................................................................21 Absence de frontières naturelles.....................................................21 L'Asie — officina gentium. ..............................................................22 La poussée venant d'Orient.............................................................23 La défense........................................................................................24 La poussée vers l’Est.......................................................................26 „L’impérialisme“ russe...................................................................27 La marche irrésistible vers l'Orient................................................29 Les fuyards entraînent à leur suite les autorités constituées..........30 Le côté tragique de l’exode vers l’Orient. ......................................31 Le rôle du monde slave....................................................................33 Le rôle de la Russie. ........................................................................33 II. LA NATURE ELLE-MÊME SEMBLE AVOIR ASSIGNÉ À L’EUROPE ORIENTALE LA TACHE DE CONSTITUER UN ORGANISME POLITIQUE.....................................................................35 LES FRONTIÈRES ETHNOGRAPHIQUES ET POLITIQUES.........................35 LA CARTE DE L’EUROPE OCCIDENTALE...............................................38 LA CARTE DE L’EUROPE ORIENTALE...................................................43 III. CE QUI A CONTRIBUÉ À L’AGRANDISSEMENT TERRITORIAL DE L’ÉTAT RUSSE. ...................................................47 Les fleuves. ......................................................................................48 La colonisation................................................................................50 IV. L’ESPRIT D’EXPANSION DU PEUPLE RUSSE. ....................62 V. À LA RECHERCHE D’UN CENTRE POLITIQUE...................70 VI. LA RUSSIE DU NORD-EST, BERCEAU DE L’ORGANISATION POLITIQUE RUSSE............................................74 3 L’ESPRIT POLITIQUE DU PEUPLE. .........................................................74 FACTEURS QUI ONT PRÉSIDÉ À L’ÉDUCATION DE L’ESPRIT POLITIQUE DU PEUPLE RUSSE. ....................................................................................77 Le joug tatare. .................................................................................77 Configuration de la Russie du Nord-Est.........................................79 LE TYPE DU PROPRIÉTAIRE TERRIEN ET LE TYPE DU SOLDAT (DROUŽINNIK)...........................................................................................82 VII. LES POINTS FAIBLES DE L’ÉTAT RUSSE...........................89 LA GRANDE ÉTENDUE DU TERRITOIRE.................................................89 CARACTÈRE CONTINENTAL DU PAYS...................................................92 LA PRÉSENCE D’ÉLÉMENTS ANTIGOUVERNEMENTAUX. .....................95 VIII. L’ÉLOIGNEMENT DE LA RUSSIE DE TOUS LES CENTRES EUROPÉENS ET CONSÉQUENCES DE CET ÉLOIGNEMENT.......................................................................................97 CONCLUSIONS..................................................................................101 4 Les noms propres, ainsi que les mots intraduisibles ont été conservés dans leur forme originale. Transcription adoptée : č se prononce tch ĕ " " ie kh " " aspiré š " " ch šč " " chtch y " " dur ž " " comme le j français. L’apostrophe placée après une consonne finale en radoucit le son. 5 INTRODUCTION Caractère national des conquêtes russes dans le domaine intellectuel. Chaque peuple possède une âme collective et sa physio- nomie individuelle. Si l'on veut la connaître et la déchiffrer il faut en étudier la culture. La culture est une sorte de mi- roir qui reflète les conceptions religieuses d'un peuple, ses idées du droit, du devoir et de la justice, son caractère et ses idéals. On y retrouve la structure de sa vie sociale, l'image des rapports légaux établis, les trésors scientifiques accumulés, les progrès matériels accomplis, le travail in- tellectuel effectué dans le domaine des arts, c'est à dire dans celui du Beau et du Vrai. La culture d'un peuple le différencie de tous les autres, lui donne le droit de parler d'un Moi particulier, de penser à soi-même comme à une unité distincte ; elle entretient en lui le sentiment de sa conscience individuelle, la fierté de son indépendance et constitue son véritable patrimoine national. Il n’existe pas de peuples qui aient reçu une culture toute prête, tombée, pour ainsi dire, du ciel. Elle ne naît pas d'un seul jet, comme la déesse Pallas, sortie, tout en armes, de la tête de Jupiter ; elle n’apparaît pas dans toute sa splendeur comme Aphrodite sortant de l’écume marine : elle se forme lentement, se constitue pas à pas et possède sa propre his- toire. 6 La culture du peuple russe est le résultat du travail maté- riel et moral accompli pendant les derniers dix ou onze siè- cles. Ses racines se perdent dans le sous-sol préhistorique, aux temps des Scythes, des Sarmates et de Goths, tandis que son plus magnifique élan, l’effort le plus soutenu et la richesse la plus éclatante datent des dernières 50 ou 60 an- nées avant la révolution. Pouškine nous a laissé un magnifique chef-d’œuvre, inti- tulé „Le chevalier avare“. Il y est question d’un vieux baron qui descendait la nuit dans ses souterrains pour ouvrir en cachette ses coffres et admirer l’or qu’ils renfermaient : il jouissait de la conscience d’être le maître absolu de toutes ces richesses. Le peuple russe possède aussi ses coffres pleins de trésors, dignes, non seulement d’admiration, mais aussi de légitime fierté : mais ce n’est pas de l’or qu’ils renferment, ce sont les fruits de son esprit créateur, les ré- sultats tangibles de l’effort soutenu par plusieurs dizaines de générations qui ont forgé la conscience civique et so- ciale du peuple entier. Bien loin de contempler ses trésors avec l’avidité et l’égoïsme du chevalier avare, le peuple russe s’enorgueillit du prix inaltérable de ses richesses, il sait qu’elles sont im- périssables et que tout homme désireux de participer aux conquêtes de l’esprit humain n’a qu’à y puiser à pleines mains. Ses coffres renferment les perles de la prose d’art et de la poésie en vers ; là se trouvent, soigneusement conser- vées, les images produites par les grands génies du théâtre dramatique et musical ; les chefs-d’œuvre de la peinture ancienne et moderne, où s’épanche l’âme russe, où elle se montre dans tous ses replis et sans détours ; les monu- ments de l’architecture, empreints d’un si vif coloris natio- 7 nal, et des milliers de livres, dans lesquels la pensée scien- tifique apparaît comme une force créatrice dans le domaine des sciences exactes, dans l’étude du passé multiforme, où le génie russe apporte son contribut dans le champ de l’abstraction et dans l’élaboration des méthodes aptes à ré- soudre les grands problèmes de la vie. Le caractère particulier des trésors que renferment ces coffres fabuleux est l’empreinte nationale qui les distingue, le sceau du génie du peuple russe et sa psychologie parti- culière vis-à-vis des questions vitales de l’existence : l’âme entière du peuple y est. Tout en étant profondément natio- nales et même grâce à cela surtout, les valeurs créées par l’esprit russe ont acquis une importance universelle, une évidence et une force de conviction qui les rend accessibles non pas aux Russes seuls, mais à tous les peuples en géné- ral : le Slave, le Français, l’Allemand, le Japonais, chacun y trouvera des éléments humains communs à tous, quelle que soit sa religion et sa nationalité. Pourquoi les œuvres de Léon Tolstoj ont-elles été traduites dans presque toutes les langues du monde ? Pourquoi l’Europe et l’Amérique li- sent-elles avec tant d’avidité les livres de Dostojewsky ? L’on joue partout la musique russe, on assiste aux repré- sentations du „Théâtre d’art de Moscou“, on étudie la phi- losophie de Vladimir Solovjev, on cite le biologue Pavlov et tant d’autres. Tout cela parce que ce ne sont pas les An- glais, les Italiens, les Allemands ou les Indous seuls qui connaissent Shakespeare, le Dante, Goethe, Rabindranath Tagore. Comme la musique de l’Allemand Beethoven, du Français Berlioz et du Polonais Chopin parle à toute oreille musicale, de même le spectateur étranger, sans connaître la langue de la pièce, a ressenti de nobles émotions devant 8 l’art incomparable d’une Rachel ou d’une Ristori, d’un Sal- vini ou d’une Éléonore Duse. Quel qu’il soit, l’homme civi- lisé comprend que les découvertes de Copernic, de Laplace et de Pasteur, les bases de la pédagogie établies par Amos Komenski et Petalozzi constituent non seulement la gloire des peuples d’où ces grands hommes sont sortis, mais le patrimoine de l’humanité tout entière, pour le bien et le bonheur de laquelle le génie national de leurs pays respec- tifs leur a donné le jour. Quelles sont les voies qu’a suivie la grande culture russe dans son développement, les facteurs qui ont contribué à sa formation, les sources auxquelles elle a puisé et les bases sur lesquelles elle repose ? L’esprit de chaque peuple se forme sous l’influence d’innombrables facteurs qui peuvent cependant être grou- pés en trois catégories : 1. le milieu où vit le peuple et où naît l’état auquel il ap- partient, c’est à dire les conditions géographiques, dans lesquelles il est placé ; 2. les particularités de sa race qui accompagnent son entrée dans l’histoire, et, 3. les bases sur lesquelles grandit la culture qui le différentie des autres peuples et qui détermineront ensuite en grande partie le caractère de son activité future. Pour le peuple russe disons brièvement que, 1. son territoire, 2. son origine arienne, et, 3. sa religion sont les trois forces agissantes qui ont présidé à la formation de sa culture dont elles ont déterminé le ca- ractère, et, jusqu’à un certain point, l’essence même. Si nous voulions étudier tous ces facteurs dans l’ensemble de leurs influences respectives, il faudrait écrire un gros volume. Les pages qui vont suivre se proposent un but plus modeste : celui d’éclairer le rôle joué dans l’histoire par le 9 premier des facteurs énumérés, montrer l’influence que le territoire et les conditions géographiques ont exercé sur le caractère du peuple russe au cours d’un millier d’années, comment ils ont façonné sa psychologie et son esprit, dé- terminé sa conduite uploads/Politique/ chmourlo-l-histoire-de-la-russie.pdf

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