M. le Professeur André De Laubadère Le statut international du Maroc depuis 195

M. le Professeur André De Laubadère Le statut international du Maroc depuis 1955 In: Annuaire français de droit international, volume 2, 1956. pp. 122-149. Citer ce document / Cite this document : De Laubadère André. Le statut international du Maroc depuis 1955. In: Annuaire français de droit international, volume 2, 1956. pp. 122-149. doi : 10.3406/afdi.1956.1228 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_1956_num_2_1_1228 LE STATUT INTERNATIONAL DU MAROC DEPUIS 1955 André de LAUBADERE En quelques mois, à partir des dernières semaines de l'année 1955, le statut juridique international de l'Empire chérifien a subi un boule versement profond. D'Etat protégé, le Maroc est devenu Etat indé pendant. Dans son processus de réalisation ce bouleversement a présenté des caractères propres : d'abord la soudaineté, à laquelle on vient de faire allusion, du passage du protectorat à l'indépendance. Ensuite le fait — qui du reste explique cette rapidité — que cette mutation de statut s'est opérée sans que Von soit passé par un stade intermédiaire, en brûlant la fameuse étape de V « autonomie interne ». Enfin la com plexité — plus grande ici qu'ailleurs — des actes conventionnels desti nés à consacrer le changement, complexité résultant du caractère comp osite que présentait le statut même de l'Empire chérifien, divisé, on le sait, en trois zones. Ces caractères originaux qui marquent l'évolution historique du statut international du Maroc au cours des années 1955-1956 justifient que l'on retrace cet historique. C'est ce que nous nous attacherons d'abord à faire. A la fin de l'année 1956 l'évolution du statut international de l'Empire chérifien n'est point entièrement achevée. Outre que les consé quences mêmes de l'indépendance entraînent des réformes internes dont certaines sont encore en train, les rapports nouveaux avec la France, fondés sur une « interdépendance » dont le principe a été posé dans les accords franco-marocains, les rapports avec l'Espagne, fondés sur une (*) André de Latjbadère, Professeur à la Faculté de Droit de Paris, ancien Direc teur des Centres d'Etudes juridiques du Maroc. Ouvrages : « Traité élémentaire de droit administratif », 2" éd. 1957, « Traité théorique et pratique des contrats administratifs », 3 vol. 1956, « Les réformes des pouvoirs publics au Maroc », 1949; « Les obligations inter nationales du Maroc moderne » (in « La technique et les principes du droit public », recueil d'études en l'honneur de G. Scelle); «Le statut international du Maroc et l'arrêt de la Cour internationale de Justice du 21 août 1952 », 1953. LE STATUT INTERNATIONAL DU MAROC DEPUIS 1955 123 « coopération » annoncée par les accords hispano-marocains, l'établiss ement définitif du régime économique de Tanger, la négociation évent uelle d'une révision du statut économique et douanier de l'Empire chérifien sont encore en voie d'accomplissement. Cette seconde considération justifie que l'on essaie de faire le point de ce qu'est le statut international du Maroc à la fin de Vannée 1956. C'est ce que nous nous attacherons également à faire. I L'EVOLUTION HISTORIQUE DU STATUT INTERNATIONAL DU MAROC EN 1955-1956 La déclaration franco-marocaine de la Celle Saint-Cloud du 6 no vembre 1955, les accords franco-marocains du 2 mars 1956, les accords hispano-marocains du 7 avril 1956, la convention diplomatique franco- marocaine du 19 mai 1956, la déclaration finale du 29 octobre 1956 de la conférence de Tanger abrogeant le statut de cette zone, tels sont essentiellement les actes juridiques qui, au cours des années 1955-1956, ont jalonné l'histoire du statut international du Maroc et consacré Y indépendance et l'unification de l'Empire chérifien. C'est en rendant compte de ces actes successifs que l'on retracera cette histoire. I. — D'Aix-les-Bains a La Celle-Saint-Cloud. Les prodromes. — Au mois d'août 1955, lorsque l'aggravation de la situation intérieure du Maroc, assombrie par les progrès sanglants du terrorisme, conjuguée avec les perplexités du gouvernement français dans sa politique marocaine, provoquent les entretiens d'Aix-les-Bains, le statut international de l'Empire chérifien est encore régi par le traité de Fès du 30 mars 1912 et dominé par l'existence du protectorat français issu de ce traité. Le Maroc est un état protégé. Le 22 août s'ouvrent à Aix-les-Bains les « entretiens franco-maroc ains » au cours desquels un comité de cinq ministres français cher che auprès de personnalités politiques chérifiennes, de représentants des français du Maroc et surtout de délégués des partis nationalistes marocains, à s'éclairer et à dégager les éléments d'une politique nouvelle. Obtenir le départ du Sultan Ben Arafa, installer un conseil du Trône, former avec les nationalistes un gouvernement marocain, obte nir l'approbation de l'ancien Sultan Ben Youssef , à ce moment en exil à Antsirabé, telles sont les conclusions auxquelles, non sans tiraill ements, aboutissent les conversations. Au début de septembre le général Catroux est envoyé en mission à Antsirabé. L'échange de lettres entre le général et Sidi Mohammed 124 LE STATUT INTERNATIONAL DU MAROC DEPUIS 1955 ben Youssef ( « accords d'Antsirabé ») définit les « principes directeurs de l'action politique que la France compte entreprendre dans l'Empire chérifien » comme devant « conduire le Maroc au statut d'Etat moderne libre et souverain, uni à la France par des liens permanents d'une inte rdépendance librement consentie sur les plans stratégique, politique, diplomatique, économique et culturel ». Sidi Mohammed accepte de « soutenir cette politique devant l'opinion marocaine ». Le 1er octobre, à la suite d'atermoiements et de manœuvres divers es, le Sultan Ben Arafa accepte de se retirer et de quitter Rabat, sans du reste renoncer à ses « droits au Trône ». En même temps est mis en place le « Conseil des gardiens du Trône, dépositaire des pouvoirs et prérogatives de la Couronne ». Ce même 1er octobre le gouvernement français publie une longue déclaration dans laquelle il affirme sa volonté de « conduire le Maroc au statut d'Etat souverain et démocratique et maintenir avec lui les liens permanents d'une interdépendance librement consentie »; il est du reste précisé que cette politique doit être poursuivie « dans le cadre du traité de Fès ». Le 8 octobre, à l'Assemblée nationale, un débat assez passionné se termine par le vote, à une grosse majorité, d'un ordre du jour de confiance approuvant les accords d'Aix-les-Bains et souhai tant la formation d'un « gouvernement (marocain) capable de négocier avec la France les liens permanents nécessaires ». Le 25 octobre un véritable coup de théâtre se produit et vient, dans l'évolution du problème marocain, apporter une aide singulière aux effets naturels de l'accélération de l'histoire : dans un retournement sensationnel, l'un des principaux instigateurs de la révolution dynasti que de 1953, le pacha de Marrakech, exprime brusquement devant le conseil du Trône le vœu de la « prompte restauration de Sidi Moham med ». On ne saurait trop souligner l'importance d'un tel événement dans le déroulement des faits historiques : non seulement il levait pratique ment la principale difficulté du problème dynastique, mais, en outre, il ne pouvait manquer d'avoir, sur le problème politique plus vaste des rapports franco-marocains, d'inévitables incidences. C'est ce qui apparut rapidement : D'une part, la restauration de Sidi Mohammed apparaissant désor mais inéluctable, Ben Arafa abdiquait le 29 octobre et le gouvernement français considérait le problème dynastique comme résolu. D'autre part les accords d'Aix-les-Bains apparurent immédiate ment dépassés et, dans les premiers jours de novembre, après que Sidi Mohammed, rentré d'exil, se fût installé à Saint-Germain-en-Laye et eût provisoirement chargé les quatre gardiens du Trône de continuer à exercer leurs fonctions jusqu'à son retour à Rabat, des entretiens poli tiques avaient lieu entre lui et le ministre français des affaires étrange- LE STATUT INTERNATIONAL DU MAROC DEPUIS 1955 125 res, M. Pinay, au château de La Celle-Saint-Cloud, qui aboutissaient à la publication d'une « déclaration commune ». La « déclaration de La Celle-Saint-Cloud ». — Publiée le 6 novemb re, la déclaration de La Celle-Saint-Cloud constitue en la forme, comme son nom l'indique, une « déclaration commune du ministre des affaires étrangères et du Sultan du Maroc » (1) . Elle est relativement brève. Le passage essentiel confirme la « volonté de Sa Majesté le Sultan du Maroc de constituer un gouvernement marocain de gestion et de négociation » ayant notamment pour mission de « conduire avec la France les négociations destinées à faire accéder le Maroc au statut d'Etat indépendant, uni à la France par les liens permanents d'une interdépendance librement consentie et définie ». Pour la première fois — et l'on ne manqua pas de le relever — le mot fatidique « indépendance » était clairement prononcé et aucune allusion n'était faite au traité de Fès. Sans doute l'accession à l'ind épendance était présentée comme devant résulter de négociations et l'on pouvait la considérer comme devant être conditionnée par une « inte rdépendance définie ». L'importance que revêtait en elle-même la décla ration du 6 novembre en ce qui concerne le statut international du Maroc et la réalisation de son indépendance n'en était pas moins écla tante dans le contexte politique qui l'entourait et n'échappa à per sonne (2) . (1) Texte de la déclaration commune*: « Sa Majesté le Sultan du Maroc Sidi Mohammed ben Youssef et uploads/Politique/ traite-de-l-x27-independance.pdf

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