CITOYENNETÉ EUROPÉENNE ET NATIONALITÉ LA POLITIQUE SANS LE POLITIQUE Didier BLA

CITOYENNETÉ EUROPÉENNE ET NATIONALITÉ LA POLITIQUE SANS LE POLITIQUE Didier BLANC « Nous avons fait l’Italie, maintenant il reste à faire les Italiens »1. « Tout ce qui donne une réalité concrète au principe de citoyenneté a toujours été et reste, pour l’instant national »2. L’Europe institutionnelle est faite, il reste à faire les Européens ; c’est sans doute inspiré par la nécessité d’établir cette liaison indispensable à la réussite du projet européen que le Traité de Maastricht en 1992 pose les bases de la citoyenneté européenne. Ce traité fondateur de l’Union européenne s’attache à renforcer la dimension politique de la construction européenne pour éviter qu’elle ne se réduise au marché unique. Si bien que l’Union européenne issue du Traité de Maastricht tient en substance dans l’addition aux Communautés européennes organisées autour de l’idée d’un marché prolongée par une monnaie unique auquel s’agrègent des politiques communes, d’une Union politique constituée en particulier d’une citoyenneté européenne. Ce supplément d’âme donné au marché par l’invention d’une citoyenneté européenne intervient tardivement puisque l’Acte unique européen (1986) devait initialement en fixer le statut à la suite  Professeur à l’Université de La Réunion. 1 M. d’AZEGLIO, cité par L. VAN MIDDELAAR, Le passage à l’Europe, Paris, Gallimard, 2012, pp. 347-348. 2 D. SCHNAPPER avec C. BACHELIER, Qu’est-ce que la citoyenneté ?, coll. « Folio actuel », Paris, Gallimard, 2009, p. 248. 174 LA NATIONALITÉ FRANÇAISE DANS L’OCÉAN INDIEN des réflexions du comité Adonnino3. Formellement, le Traité de Maastricht insère une deuxième partie, dans le Traité de Rome, intitulée « La citoyenneté de l’Union ». La notion de citoyen européen se substitue à celle de « ressortissant d’un État membre », employée par exemple à l’article 52 du traité créant la Communauté économique européenne (CEE). L’intention conventionnelle est claire : la diversité doit faire place à l’unité au moins sur un plan formel. Le Traité de Maastricht ne se borne pas à introduire un ensemble de dispositions relatives à la citoyenneté, dès le Préambule les États membres affirment leur résolution « à établir une citoyenneté commune aux ressortissants de leur pays » tandis que dans ses premières dispositions4, les citoyens sont mentionnés comme point de référence de l’action de l’Union (« les décisions sont prises le plus près possible des citoyens »), de même la citoyenneté instaurée par l’Union est l’instrument de « la protection des droits et des intérêts des ressortissants de ses États membres ». L’ensemble des dispositions en vigueur assure aux citoyens une place de choix dès l’ouverture du Traité sur l’Union européenne (TUE), à côté des États membres5. Les dispositions apparues en 1992 ont subi peu de changements en dépit des multiples révisions des traités. La relative stabilité conventionnelle du statut relatif à la citoyenneté européenne tranche avec l’importante production jurisprudentielle qui, à l’imitation de la période 1970-1980 s’agissant des diverses libertés économiques fondamentales, poursuit l’objectif d’une pleine application des dispositions des traités en dépit précisément d’une certaine timidité institutionnelle. Le Traité de Lisbonne joint la lutte contre les discriminations à la citoyenneté de l’Union dans la deuxième partie du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (art. 18 à 25 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) sans que soit substantiellement modifiée la notion de citoyenneté européenne6. En revanche, son contenu est étendu par l’initiative citoyenne européenne (ICE) et son ancrage sort renforcé à la lecture des articles 9 (égalité des citoyens), 10-1 (Union fondée sur la démocratie représentative) et 10-2 du Traité sur l’Union européenne (TUE) (participation des citoyens à la vie démocratique 3 N. TOUSIGNANT, « L’impact du comité Adonnino (1984-1986) : Rapprocher les Communautés européennes des citoyens », Études internationales, 2005, n° 1, p. 41 et s. Rapport du comité pour l’Europe des citoyens remis au Conseil européen de Milan (Milan, 28-29 juin 1985), Bull. CE, 1985, Supp. 7/85, OPOCE. 4 Art. A et B. 5 Art. 1er al 1 et 2 TUE. 6 Y. PETIT, « Citoyenneté européenne et droits politiques : une ambition déçue ? », in P. ICARD (dir.), Une citoyenneté européenne dans tous ses ”États”, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2009, pp. 87-102. D. BLANC : CITOYENNETÉ EUROPÉENNE ET NATIONALITÉ 175 de l’Union). Parallèlement, le Traité de Lisbonne confère une portée obligatoire à la Charte des droits fondamentaux de l’Union, dont l’un des titres, intitulé Citoyenneté, recouvre un ensemble de prérogatives existantes (art. 39 à 46). Cette citoyenneté européenne est une citoyenneté de complément ou de juxtaposition dans la mesure où découlant, selon l’article 20-1 du Traité sur l’Union européenne (TUE), du titre de national d’un État membre, elle « s’ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas » 7. En conséquence, la citoyenneté européenne est définie par le droit des États membres, lequel fixe le régime de nationalité applicable8. La Cour de justice reconnaît à cet effet : « La définition des conditions d’acquisition et de perte de la nationalité relève, conformément au droit international, de la compétence de chaque État membre, compétence qui doit être exercée dans le respect du droit communautaire »9. Sous cette dernière réserve signifiant que « la compétence étatique d’attribution de la nationalité est exclusive, mais non discrétionnaire »10 et dont le champ est circonscrit par le juge11, le citoyen européen est défini par le droit interne établissant le régime de la nationalité. La nationalité demeure en droit interne ce « lien juridique de rattachement à l’État qui confère au national la citoyenneté et, par voie de conséquence, l’électorat et l’éligibilité »12. Au niveau européen, une vision comparable prévaut : « la nationalité peut se définir comme le lien juridique de droit public unissant un individu à un État donné, lien dont il résulte que ledit individu devient titulaire d’un ensemble de droits et d’obligations »13. Il s’ensuit que ces droits procèdent de la citoyenneté, procédant à son tour de la nationalité. La citoyenneté de l’Union est rendue possible sans qu’elle possède les attributs juridiques de l’État, par le renvoi précisément à la 7 V. aussi art. 9 TUE. 8 Le recours à la procédure législative spéciale combinée à l’unanimité comme mode décisionnel privilégiée concernant l’application des dispositions du TFUE relatives à la citoyenneté souligne l’exclusivité de la compétence étatique. 9 CJCE, 7 juill. 1992, Mario Vicente Micheletti et autres c/ Delegación del Gobierno en Cantabria, aff. 369/90, Rec., p. I-4239, pt. 10. 10 S. BARBOU DES PLACES, « La nationalité des États membres et la citoyenneté de l’Union dans la jurisprudence communautaire : la nationalité sans frontières », RAE, 2011, n° 1, p. 43. 11 CJUE, 2 mars 2010, Rottmann c/ Freistaat Bayern, aff. C-135/08, Rec., p. I-1458 ; pour un commentaire Y. PETIT, in C. BOUTAYEB (dir.), Les grands arrêts du droit de l’Union européenne, Paris, LGDJ, 2015, p. 907. 12 M. de VILLIERS et A. Le DIVELLEC, Dictionnaire du droit constitutionnel, Paris, Sirey, 6e éd., p. 242. Le mot apparaît au tout début du XIXe siècle. V. P. WEIL, Qu’est-ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution, Paris, Grasset, 2002, Glossaire, pp. 398-399. 13 Conclusions de l’avocat général M. POIARES MADURO présentées le 30 sept. 2009 sous l’aff. C-135/08, Rottmann c/ Freistaat Bayern, Rec., p. I-1458, pt. 17. 176 LA NATIONALITÉ FRANÇAISE DANS L’OCÉAN INDIEN nationalité d’un État membre tout en s’efforçant de dépasser ce cadre étatique. De sorte que « la citoyenneté européenne s’exprime à l’état pur, puisqu’elle ne correspond à aucune nationalité européenne »14. Ainsi conçue, la citoyenneté européenne soutient l’idée d’un « patriotisme constitutionnel », développée par Jürgen Habermas et désignant en substance le découplage entre l’État et la Constitution, les individus formant « des communautés sur une base politique et constitutionnelle » hors de l’État15. C’est par le droit que cette appartenance se construit ou plutôt par l’attribution d’un ensemble de droits et garanties énuméré à titre indicatif par l’article 20-2 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Parmi ces prérogatives, figurent en bonne place le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ou encore le droit de vote et d’éligibilité aux élections du Parlement européen ainsi qu’aux élections municipales dans l’État membre de résidence. Ici s’opère un premier glissement, la citoyenneté européenne n’est pas réduite au politique comme dans la sphère interne et en droit international public16. Cette conception de la citoyenneté de l’Union s’inscrit pleinement dans la vision fonctionnaliste des fondateurs de l’Europe communautaire, elle n’est pas réduite à des droits politiques17. Au point qu’il serait plus juste d’utiliser le pluriel pour rendre compte de la diversité des composantes – comme des approches18 – de la citoyenneté européenne ; le droit de l’Union renfermerait plusieurs citoyennetés, la première politique, la deuxième sociale19, la troisième potentiellement pluriculturelle20 et la quatrième liée 14 J.-L. QUERMONNE, « Citoyenneté et nationalité dans l’Union européenne. Problèmes et perspectives », in P. MAGNETTE (dir.), De l’étranger au citoyen, Bruxelles, De Boeck et Larcier, 1997, p. 21. 15 J. HABERMAS, Sur l’Europe, Paris, Bayard, 2006, p. 40. 16 M.-P. LANFRANCHI, « Les notions de nationalité et de citoyenneté interrogées par le uploads/Politique/ citoyennete-europeenne-et-nationalite-l.pdf

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