De la Françafrique à la Mafiafrique Flibuste DU MÊME AUTEUR LA FRANCAFRIQUE: LE
De la Françafrique à la Mafiafrique Flibuste DU MÊME AUTEUR LA FRANCAFRIQUE: LE PLUS LONG SCANDALE DE LA RÉPUBLIQUE, Stock, 1998 NOIR SILENCE. Les arènes, 2000 NOIR CHIRAC, Les arènes, 2002 L’ENVERS DE LA DETTE, Agone, 2002 ON PEUT CHANGER LE MONDE. À LA DÉCOUVERTE DE BIENS PUBLICS MONDIAUX, avec François Lille, La Découverte, 2003 AU MÉPRIS DES PEUPLES, La Fabrique, 2004 LA SANTÉ MONDIALE, ENTRE RACKET ET BIENS PUBLICS, Charles-Léopold Mayer, 2004 L’HORREUR NOUS PEND AU VISAGE. LA FRANCE ET LE GÉNOCIDE AU RWANDA, Karthala, 2004 Couverture: répression d’une révolte en Côte d’ivoire au début du XXe siècle, cl. Roger-Viollet © Éditions Tribord. 2004 Rue de l'Hôtel des Monnaies 184 1060 BRUXELLES Belgique ISBN 2-930390-10-7 FRANÇOIS-XAVIER VERSCHAVE De la Françafrique à la Mafiafrique Retranscription par Judith Cypel de l’exposé-débat du 3 décembre 2003 à l’espace Renaudie d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) devant 200 éducateurs spécialisés et moniteurs éducateurs en session de formation Je me présente brièvement avant de développer le thème de cette rencontre. Je milite depuis 1984 dans une association qui s’appelle «Survie»1 qui a été fondée à l’appel de 126 Prix Nobel. Ils expliquaient que le problème de la lutte contre la faim et l’extrême misère dans le monde ne relevaient pas seulement de la charité individuelle mais de l’action collective. Et qu’est-ce que c’est que l’action collective? Ce sont des décisions politiques. Donc, pendant dix ans, nous nous sommes battus pour faire en sorte que la générosité collective des Français, l’aide publique au développement — qui représentait à l’époque environ quarante milliards de francs - aille un peu plus à destination, serve vérita blement à sortir les gens de la misère, de la faim, de l’extrême pauvreté. On a convaincu un à un les trois quarts des députés, toutes tendances confondues, qui 1. L’association «Survie» édite notamment le mensuel «Billets d’Afrique» et les «Dossiers noirs de la politique africaine de la France». Site internet: http://www. survie-france.org 5 D e l a F r a n ç a f r i q u e à l a M a f i a f r i q u e ont déposé une loi commune pour changer en profon deur cette aide publique au développement. Et puis, cette loi n’a jamais été mise à l’ordre du jour, malgré beaucoup de soutiens, y compris celui de tous les foot balleurs français de première et deuxième divisions qui voulaient que leurs impôts servent quand même à quelque chose. Cette loi n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour et on s’est rendu compte peu à peu que la corruption, dont nous connaissions l’existence dans ces affaires, n’était pas marginale mais centrale et que, derrière cette relation franco-africaine, il y avait une criminalité économique absolument incroyable. En 1994, avec l’appui de la France à ceux qui com mettaient le génocide au Rwanda - un million de morts en trois mois dans des conditions épouvanta bles -, puis la réhabilitation du dictateur Mobutu au Zaïre, le soutien au régime soudanais qui massacrait et affamait en masse au sud du pays, on s’est rendu compte que cette criminalité économique se dou blait d’une criminalité politique inimaginable. Et à ce moment-là, on s’est dit, ayant découvert tout ça — il nous a bien fallu une dizaine d’années —, on ne peut pas se taire. Car le premier principe de la médecine, du serment d’Hippocrate, c’est: «D’abord ne pas nuire», avant de commencer à soigner. Or, comme vous le comprendrez, cette politique franco-africaine, que j’ai appelée la «Françafrique» et qui est une caricature de néocolonialisme, est une politique extraordinairement nocive. Donc, c’est d’abord de ces relations franco-africaines depuis les indépendances que je vais vous parler, de cette Françafrique. Je vais vous en décrire la naissance, le fonctionnement, en brûlant un certain nombre 6 d’étapes, parce que sinon ce serait trop long: tout ça représente des milliers de pages de livres et de docu ments que nous avons publiés. Et puis je passerai à l’évolution actuelle de ces relations franco-africaines, à ce qu’on peut appeler le passage de la Françafrique à la mafiafrique, c’est-à-dire une sorte de mondia lisation de ces relations criminelles. Je vous parlerai donc de la mondialisation de la criminalité financière. Enfin je terminerai sur des considérations beaucoup plus positives, en vous montrant que dans notre his toire, nous avons la mémoire d’avoir été capables de construire des biens publics à une échelle nationale, et qu’aujourd’hui il n’y a qu’une seule issue, qui n’est pas aussi utopique qu’on veut bien le dire : la construction de biens publics à l’échelle mondiale. Je vais montrer qu’en fait, il y a un antagonisme très clair entre une criminalité financière qui passe son temps à détruire les biens publics existants, et la possibilité de cons truire des biens publics renouvelés et élargis. Nous avons déjà fait pareille construction, et nous sommes capables de le faire. Après quoi vous aurez certaine ment un certain nombre de questions à poser. Donc, je vais commencer par la Françafrique. Avec deux ou trois précautions oratoires. Un certain nombre de choses que je vais vous raconter vous paraîtront incroyables. Elles le sont de fait, puisque nous, on a mis dix ans à les voir et à les croire. Il y a un problème de regard. C’est des choses qu’on ne voit pas, tout simplement parce que la Françafrique est le domaine réservé de l’Elysée: c’est un domaine quasi militaire où il y a beaucoup de désinformation, ou de non-information. Quand on commence à regarder ces choses de près, c’est inouï la différence qu’on peut voir 7 D e l a F r a n ç a f r i q u e à l a M a f i a f r i q u e entre la manière dont les médias vous parlent du rôle de la France en Afrique et ce quelle y fait réellement. Mais ça a beau être incroyable, ce n’est pas tout à fait faux. Quand j’ai publié sur ces questions un livre qui s’appelle Noir silence — six cents pages comportant environ dix mille faits avec mille cinq cents notes, décrivant la Françafrique à travers tout le continent -, j’ai eu droit à un procès pour offense à chef d’État de la part de trois dictateurs africains : le Tchadien Déby, le Congolais Sassou Nguesso, et le Gabonais Bongo. Le délit pour offense à chef d’État, c’est en fait un vieux reste du crime de lèse-majesté. En principe, on est condamné d’avance. Jamais personne n’avait échappé à une condamnation dans un procès pour offense à chef d’Etat. Eh bien nous l’avons gagné, en première instance et en appel, et les chefs d’État ont renoncé à aller en cassation, tellement la somme de témoignages qu’ont apportée les victimes de ces dictatures avait rendu une condamnation impossible. Et le tribunal a déclaré que ce que j’écrivais était le résultat d’une enquête sérieuse. La deuxième précaution oratoire, c’est que dans la description de ce que j’appelle la Françafrique, je vais parler surtout des responsabilités françaises, parce qu’elles sont moins connues. On dit tellement de bien du rôle de la France en Afrique... Mais évidemment, la Françafrique, comme je vais vous l’expliquer, ce sont des Français et des Africains. C’est une asso ciation entre des Français et des Africains. Donc, évidemment, il y a des Africains qui jouent un rôle important dans le système de domination, de pillage que je vais décrire. Mais on vous dit tellement de mal des responsabilités africaines que ce n’est pas la peine que j’en rajoute là-dessus, vous êtes déjà au courant. Alors, qu’est-ce que c’est que cette histoire de Françafrique? D’où ça vient? Et comment le peuple français a-t-il été roulé dans cette affaire? Je ne vais pas refaire toute l’histoire de l’Occident et de la France avec l’Afrique, rappeler l’esclavage depuis trois ou quatre siècles, et la colonisation depuis le XIXe siècle, etc. Remontons seulement de soixante ans. Après la deuxième guerre mondiale, il y a eu une pression des peuples pour se libérer - un phéno mène qu’on a appelé la décolonisation. Cela s’est fait de proche en proche, avec des tentatives de résistance tragiques, comme la guerre d’Indochine ou la guerre d’Algérie, successivement, puis la guerre du Vietnam, où les Etats-Unis ont pris le relais de la France. Donc, le mouvement de l’histoire et d’autres phénomènes ont acculé De Gaulle, revenant au pouvoir en pleine guerre d’Algérie en 1958, à décider officiellement d’accorder l’indépendance aux anciennes colonies françaises au sud du Sahara. Ça, c’est la nouvelle légalité internationale proclamée. En même temps, De Gaulle charge son bras droit Jacques Foccart, son homme de l’ombre — responsable du parti gaulliste, de son financement occulte, des services secrets, etc. -, de faire exactement l’inverse, c’est-à-dire de main tenir la dépendance. C’est ça le point de départ de la Françafrique: si vous avez une nouvelle légalité internationale qui est l’indépendance et que vous voulez maintenir la dépendance, c’est illégal ; donc, vous ne pouvez le faire que de manière cachée, ina vouable, occulte. La Françafrique, c’est comme uploads/Politique/ de-la-francafrique-a-la-mafiafrique.pdf
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- Publié le Mai 30, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
- Langue French
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