Les années 68 : événements, cultures politiques et modes de vie Lettre d’inform
Les années 68 : événements, cultures politiques et modes de vie Lettre d’information n°32 Séance du 18 mai 1998 Intellectuels et extrême-gauche : le cas du Secours rouge Par Bernard Brillant L’histoire du SR présente, du point de vue des rapports entre les intellectuels et l’extrême-gauche, un intérêt à plus d’un titre. S’étendant sur une période relativement brève qui va de juin 1970 à l’été 1972, elle couvre une des périodes les plus « chaudes » de l’affrontement entre le pouvoir et l’extrême-gauche – notamment les maoïstes de la Gauche prolétarienne (GP) – et au cours de laquelle l’implication d’intellectuels aux côtés de celle-ci est peut-être la plus intense. Elle constitue, de ce point de vue, un bon observatoire des interactions complexes entre l’ensemble de ces acteurs dans le champ des luttes sociales, politiques, institutionnelles et internationales de l’après-mai. À travers l’histoire du SR, je me propose d’étudier l’hypothèse d’une légitimation réciproque des intellectuels et de l’extrême-gauche à savoir : – la possibilité, pour les premiers, de redéfinir leur rôle en rompant avec le « compagnonnage de route » tel qu’il s’est pratiqué aux côtés du PCF et de répondre à la contestation du statut même de l’intellectuel par une nouvelle génération d’« apprentis intellectuels » (la jeunesse étudiante) s’affirmant aussi comme « intellectuel collectif » en tant que militants d’organisations révolutionnaires. Il s’agit de refonder la légitimité du rôle spécifique de l’intellectuel sur la scène politique vis-à-vis de nouveaux interlocuteurs qui se sont est affirmés en mai et qui, contestant le monopole du savoir par une élite ou un groupe spécifique, postulent à l’élaboration théorique tout en mettant en cause les principes de la médiation et de la représentation. Les nombreux articles, entretiens et essais qui tentent de redéfinir le statut des intellectuels au cours de cette période témoignent de cette volonté (le Plaidoyer pour les intellectuels de Jean-Paul Sartre en 1972 en est un) – la possibilité pour l’extrême-gauche de nouer des alliances susceptibles d’amplifier son audience, de lui donner un impact et de la poser comme force 2 politique capable de capitaliser les contestations issues de mai 68, mais aussi de résister au « laminage » de ses forces entrepris par le ministre de l’Intérieur depuis cette même date. Un dénominateur commun : la lutte contre la répression Un climat d’affrontements La création du SR en juin 1970 a d’abord répondu à un objectif prioritaire : la lutte contre la répression dont les organisations d’extrême-gauche et leurs militants sont l’objet au cours de cette période. À cet égard, il faut rappeler que le SR a un ancêtre : le Secours rouge international créé au début des années vingt par la IIIe Internationale afin de défendre les militants du mouvement ouvrier, de leur fournir des avocats, et qui devient le Secours ouvrier international en 1936. La référence historique n’est pas fortuite. Elle joue sur les deux registres du politique et du mythologique, inscrivant la refondation du SR dans la réappropriation d’une histoire (celle de la fondation en France d’une organisation communiste héritée de la Révolution d’Octobre) perçue comme « dévoyée » par un PCF que les organisations d’extrême-gauche qualifient de « révisionniste » ou de « traître ». Il faut donc examiner les « options répressives » de l’après-Mai 68, notamment celle de Maurice Grimaud, préfet de police à Paris et celle de Raymond Marcellin, alors ministre de l’Intérieur. Dans son ouvrage En Mai, fais ce qu’il te plaît (Stock, 1978), Maurice Grimaud, qui eut entre les mains la responsabilité du maintien de l’ordre à Paris en 1968, affirme n’avoir cédé à aucun moment à la tentation de la théorie du complot. La traduction concrète de son analyse de la situation fut une politique alliant la fermeté et la souplesse qui évita sans doute des dérapages dramatiques au cours des journées de violents affrontements de mai-juin. Toute autre est l’appréciation de Raymond Marcellin, nommé ministre de l’Intérieur le 31 mai 1968 en remplacement de Christian Fouchet et qui restera à ce poste jusqu’au 1er mars 1974. La thèse centrale de Raymond Marcellin est en effet celle du « complot international ». Le ton est donné au cours de son allocution à l’Assemblée nationale lors de l’examen du budget de l’Intérieur pour 1969, au mois de novembre 1968. Le ministre de l’Intérieur observe en effet une « simultanéité troublante » des méthodes d’action des groupes révolutionnaires depuis 1967 en Europe. Tout en restant prudent sur le sujet de l’aide internationale dont bénéficient ces mouvements, il évoque toutefois la conférence Tricontinentale de La Havane qui s’est déroulée du 3 au 13 janvier 1966 et affirme que certains leaders multiplient les contacts avec des agents officiels ou secrets étrangers. Rappelant les mesures prises pour le maintien de l’ordre, il annonce qu’elles sont accompagnées d’une forte augmentation des effectifs de la police (5 500 emplois supplémentaires) et d’une progression des dépenses de matériel et de personnel. C’est donc bien à un renforcement du dispositif répressif, dans le cadre de la législation existante, auquel procède le ministre de l’Intérieur. À cet effet, il fait établir un répertoire des 3 militants permanents des mouvements d’extrême-gauche et rassemble les renseignements concernant ceux-ci dans une brochure distribuée à la presse le 27 août 1968, complétée, en février 1969, par un livre, L’Ordre public et les groupes révolutionnaires. Critiquant les hésitations du pouvoir en mai 1968, le ministre de l’Intérieur fonde sa politique de maintien de l’ordre sur une liaison étroite entre les Chambres et le Parquet. Dès la fin du mouvement de mai-juin 1968, la lutte « contre la répression » mobilise des intellectuels, des organisations, des mouvements et des associations. La lutte contre les expulsions d’étrangers ayant participé au mouvement, notamment d’artistes peintres, est la première forme active de l’intervention des intellectuels en juin 1968. La presse fait état de protestations d’écrivains, de cinéastes, de peintres, etc... À la fin du mois de juin, des intellectuels (Marguerite Duras, Alfred Kastler, Michel Leiris, Jacques Monod, Laurent Schwartz, Pierre Vidal-Naquet, etc...) constituent un Comité pour la liberté et contre la répression qui entend lutter contre la dissolution de 11 organisations d’extrême-gauche, contre les expulsions d’étrangers, contre les violences à l’encontre des distributeurs de tracts et les sanctions pour fait de grève. Du côté des organisations politiques, syndicales et des associations, une conférence de presse, tenue le 1er août 1968 par l’UNEF, les CAL, le Comité d’action écrivains-étudiants, le Comité pour la liberté et contre la répression, le Groupe d’action judiciaire, le PSU, les Étudiants socialiste unifiés, les Étudiants socialistes-SFIO, la Jeunesse socialiste, le Mouvement Témoignage chrétien, le MCAA, le CVN, le Comité d’initiative pour un mouvement révolutionnaire, Le Nouvel Observateur, Combat, Action, Les Temps Modernes, Les Cahiers de mai, appelle à constituer un Front uni contre la répression. Les avocats (Jean-Jacques De Felice, Henri Leclerc, Michèle Beauvillard, etc...) et les magistrats ne sont pas en reste puisqu’en mai-juin 1968, se constitue le Groupe d’action judiciaire (qui deviendra Mouvement d’action judiciaire) qui se déclare contre les mesures d’interdiction à l’égard de l’extrême-gauche. Deux groupes sont créés à son initiative : Défense active qui tient une permanence juridique hebdomadaire gratuite et Défense collective qui crée des commissions (armée, jeunes, prisons) afin de « confronter les idées et les pratiques ». À la fin de l’année 1969 Les Cahiers de mai annoncent la création d’un Comité contre la justice de classe et la répression dans la vie quotidienne qui se propose de mettre en place une « permanence d’accueil pour la défense active » ouverte tous les jours ainsi qu’une permanence au tribunal des flagrants délits le lendemain de chaque manifestation. Après une année 1969 relativement « calme », le début de l’année 1970 annonce un regain de tension et d’affrontements entre l’extrême-gauche et le pouvoir, marqué par la multiplication des actions de commando de la Gauche prolétarienne et de Vive la révolution. Il ne faut toutefois pas oublier que 1969 a été émaillé de violents incidents sur le plan social (petits commerçants à Bourgoin en avril, séquestration du ministre Olivier Guichard pendant quelques heures par des agriculteurs en Loire-Atlantique en novembre). 4 De l’occupation du CNPF le 10 janvier 1970 à l’attaque de l’épicerie Fauchon, le 8 mai 1970, la rubrique « agitation » du Monde ne désemplit pas : attaque du commissariat de Mantes (23 janvier), par un commando de la Nouvelle résistance populaire, « bras armé » de la GP, occupation des locaux de l’Éducation surveillée à Paris (23 janvier), violences contre le doyen Ricoeur à Nanterre (26 janvier), sabotage de grues aux chantiers navals de Dunkerque (5 février), incendie des bureaux des Houillères à Hénin-Liétard (16 février), violents affrontements sur le campus de Nanterre et saccage des bureaux du doyen Zamansky à Paris (3 et 4 mars), attaque de la mairie de Meulan (6 mars), etc... Dans ce contexte, la répression envers les organisations d’extrême-gauche et leurs militants se fait plus pressante. Elle se traduit notamment par la multiplication des interpellations de vendeurs de journaux et de diffuseurs de tracts sur la voie publique, l’interdiction de uploads/Politique/ intellectuels-et-extre-me-gauche-le-cas-du-secours-rouge.pdf
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- Publié le Aoû 15, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
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