Publications de l'École française de Rome De l'ambito à l'ambitus : les lieux d
Publications de l'École française de Rome De l'ambito à l'ambitus : les lieux de la propagande et de la corruption électorale à la fin de la République Élizabeth Deniaux Résumé On votait souvent à Rome. La « campagne électorale » romaine, que des lois réglementaient, mobilisait à la fin de la République des moyens énormes ainsi que des foules considérables. C'était une démarche qui ne s'inscrivait que temporairement et superficiellement dans l'espace urbain. Il est donc souvent difficile d'associer des espaces à des pratiques. Cependant, il a été tenté d'esquisser une sorte de géographie de celle-ci, depuis l'appel personnel et direct aux électeurs au Forum jusqu'aux distributions d'argent qui précédaient le vote. Enfin - car une « campagne » se prépare longtemps à l'avance - les problèmes de la sollicitation de la mémoire collective de l'électeur par les banquets et par une éventuelle publicité écrite en faveur des candidats ont aussi été abordés. Citer ce document / Cite this document : Deniaux Élizabeth. De l'ambito à l'ambitus : les lieux de la propagande et de la corruption électorale à la fin de la République. In: L'Urbs : espace urbain et histoire (Ier siècle av. J.-C. - IIIe siècle ap. J.-C.). Actes du colloque international de Rome (8-12 mai 1985) Rome : École Française de Rome, 1987. pp. 279-304. (Publications de l'École française de Rome, 98); http://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1987_act_98_1_2973 Document généré le 02/12/2016 ELIZABETH DENIAUX DE VAMBITIO À V AMBITUS : LES LIEUX DE LA PROPAGANDE ET DE LA CORRUPTION ÉLECTORALE À LA FIN DE LA RÉPUBLIQUE Que reste-t-il au soir d'une campagne électorale à Rome sous la République, avant la construction des Saepta Iulia au Champ de Mars? Les paysans ont regagné la campagne, on a rangé les corbeilles et les urnes, sans doute fait disparaître les enceintes, les estrades de bois ainsi que les cordes qui canalisaient les votants. S'intéresser à la propagande électorale, c'est s'intéresser à une démarche qui ne s'inscrit que brièvement et superficiellement dans l'espace urbain. Cependant, tous les ans, pendant plusieurs jours, se redistribuaient sous la République des pouvoirs considérables; la participation aux élections (et au vote des lois) constituait une des plus importantes activités du «métier de citoyen»1. L'espace consacré à la campagne officielle est l'espace où se tiennent les élections au Forum et au Champ de Mars, mais si on tente de rassembler les textes qui permettent d'étudier le déroulement de celle- ci, on ne récolte, après d'autres, qu'un très petit nombre d'événements précis qui permettent d'associer des espaces à des pratiques. La campagne électorale est réglementée par une série de lois qui visent à limiter 1 Cf. Cl. Nicolet, Le métier de citoyen dans la Rome républicaine, Paris, 1976, p. 322 : « On exagère à peine en disant que le métier de citoyen est une profession à plein temps », et L. Ross Taylor, La politique et les partis à Rome au temps de César, trad. fr. Paris, 1977, p. 111 : «on votait souvent : il fallait pourvoir chaque année six magistratures régulières, composées de 2 à 10 hommes, et plusieurs charges mineures; les élections se déroulaient généralement à des dates différentes, et bien souvent - en raison d'ajournements - elles s'échelonnaient sur plusieurs mois. De plus, il fallait de temps en temps organiser des élections pour d'importantes charges spéciales, comme la censure ou les sacerdoces. En outre, comme chaque loi était proposée en référendum au peuple, les électeurs devaient aller aux urnes chaque fois qu'un consul, un préteur ou un tribun proposait une loi ». 280 ELIZABETH DENIAUX X ambitus, lois qui constituent des réponses à des actes de corruption caractérisés et non une législation organique2. Leur nombre, qui se multiplia à la fin de la République, est un signe du développement d'actes difficiles à contrôler mais les textes qui en parlent constituent parfois des indications fragmentaires de l'existence de faits qui seraient restés parfaitement inconnus. Comme il est difficile de connaître «la limite entre ce qui est permis et ce qui est défendu, ce qui est normal et ce qui est exceptionnel», comme l'a écrit M. Cl. Nicolet3, je me proposerai d'étudier quelques-unes des manifestations de la sollicitation directe et de la sollicitation indirecte de l'électeur qui ont pu s'inscrire dans l'espace urbain, c'est-à-dire d'esquisser une sorte de géographie de la campagne électorale, avec l'appel direct et personnel aux électeurs, les distributions d'argent et, enfin, quelques médiations qui tentent d'atteindre la mémoire des futurs votants pour s'assurer, à plus longue échéance, de leur suffrage. L'appel individuel est une obligation à laquelle tous les candidats doivent se soumettre depuis les temps les plus anciens. Il est localisé dans l'espace civique. Le candidat doit se présenter au Forum pour demander à chaque futur votant son suffrage. L'électeur romain, fier de ses prérogatives, donne la magistrature, comme un bienfait, «benefi- cium», pour services rendus et dans l'espoir d'une autre forme de bienfaits, à un candidat qui respecte un rituel de demande orale et individuelle. C'est peut-être Shakespeare, qui, dans son Coriolan, fait le 2 La bibliographie concernant la législation de ambitu est considérable. Sur l'interprétation des premières lois où l'ambitus n'a pas encore la structure d'un crimen, cf. L. Fascione, Alle origini della legislazione de ambitu, dans Legge e società nella repubblica romana, édité par F. Serrao, I, Naples, 1981, p. 3-27; sur X ambitus, cf. Hartmann RE, I, 2, 1800, Humbert, DS, 1, 233-234; E. Laboulaye, Essai sur les lois criminelles des Romains, Paris, 1845, p. 282 sq.; S. H. Rinkes, Disputatio de crimine ambitus et de sodaliciis apud Romanos tempore liberae rei publicae, La Haye, 1854; I. Gentile, Le elezioni e il broglio nella repubblica romana, Milan, 1879, spécialement chapitre 3; Th. Mommen, Droit pénal, t. III, p. 194; R. R. Chenoll, Leges de ambitu liberae rei publicae, Malaga, 1980; E. S. Gruen, The last generation of the Roman Republic, Berkeley, 1967, p. 212 sq.; E. S. Staveley, Greek and Roman Voting and Elections, Londres, 1972, p. 191 sq.; J. Pa- terson, Politics in the late Republic, p. 21-45 dans Roman Political Life, 90 B.C. - 69 A.D., éd. T. P. Wiseman, Exeter, 1985. 3 Cl. Nicolet, Le métier de citoyen . . ., p. 403. Cf. aussi M. I. Finley, L'invention de la politique, trad, fr., Paris, 1985, p. 87 «non seulement la frontière entre honnêteté et corruption est très difficile à tracer, mais encore, elle se déplace selon le système éthique de l'observateur». LES LIEUX DE LA PROPAGANDE ET DE LA CORRUPTION ÉLECTORALE 281 mieux revivre cette pratique. Dans la scène 2 de l'acte 2, les sénateurs, qui ont décidé de l'élection au consulat de Coriolan, lui demandent de s'adresser au peuple: Menenius «il ne vous reste qu'à parler au peuple», Coriolan «je vous en conjure, dispensez-moi de cette coutume; je ne saurais revêtir la robe et sans armes, supplier le peuple, au nom de mes blessures, de m'accorder ses suffrages. Permettez que je n'en fasse rien», Sicinius «Monsieur, le peuple doit donner ses voix, il ne renoncera pas à un seul point du cérémonial», Menenius «ne les irritez pas, je vous en prie, conformez-vous à l'usage et acceptez, comme vos prédécesseurs, d'être promu selon les règles», Coriolan «c'est une comédie que je rougirai de jouer, on pourrait aussi en dispenser le peuple». La scène suivante se passe au Forum; Coriolan est prêt à supplier à contre-cœur la foule des citoyens qui disent «ne restons pas tous ensemble, passons près de lui, un par un, par groupe de 2 ou 3; il doit faire sa requête à chacun de nous en particulier» . . . Coriolan «s'il vous plaît, votre bon suffrage4, Monsieur; ce ne fut jamais mon désir que d'ennuyer les pauvres en leur demandant l'aumône». Un citoyen «rappelez-vous que si nous donnons quelque chose, c'est dans l'espoir d'en tirer profit». On connaît la suite : la demande orale faite de mauvais gré acceptée, les citoyens qui promettent leurs voix puis se ravisent car ils ont senti trop d'arrogance et de mépris dans la démarche de Coriolan au Forum. Tout ce passage de Shakespeare sonne juste. Q. Cicéron pourrait être cité parallèlement, lui qui affirme5 que le peuple choisit celui qui sollicite les votes de la manière la plus assidue «ex quo maxime ambitus ». Les discours que fit Cicéron en faveur de ses amis accusés de corruption électorale, Murena et Plancius, le redisent aussi «c'est un privilège des peuples libres et surtout de notre peuple, le premier de tous, maître absolu et vainqueur de toutes les nations que de pouvoir, par son vote, donner et enlever à chacun ce qu'il veut»6. Plus surprenante est la remarque que fait Cicéron à Laterensis, rival malheureux de Plancius aux élections à l'édilité en 55 : Cicéron 4 «Your good voice», L'édition utilisée est celle des œuvres complètes de Shakespeare, publiée sous la direction de P. Leyris et H. Evans, Paris, 1959. 5 Com. Pet. V, 16; cf. aussi VI, 21 sur «beneficium» et suffrage. 6 Cic, Plane, IV, II «est enim haec condicio liberorum populorum praecipueque huius principïs populi et uploads/Politique/ e-deniaux-de-l-x27-ambito-a-l-x27-ambitus-les-lieux-de-la-propagande-et-de-la-corruption-electorale.pdf
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- Publié le Mai 07, 2022
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