Grégoire Bigot – Licence 2 Histoire du droit public : L’extrême droite français

Grégoire Bigot – Licence 2 Histoire du droit public : L’extrême droite française (1880-1945) INTRODUCTION La doctrine dominante dans l’Université française refuse de considérer qu’il ait pu exister en France un authentique « fascisme » à l’instar de ceux qu’ont connu l’Italie de Mussolini et l’Allemagne d’Hitler. C’est ce débat que le présent cours se propose d’ouvrir : y a-t-il eu un fascisme français ? Une telle question, afin que la matière soit dépassionnée, suppose quelques explications terminologiques et suppose, surtout, au préalable, d’ouvrir le dossier de la méthodologie en ce qui concerne l’enseignement et la compréhension de l’histoire des idées politiques. Qu’est-ce exactement que le fascisme ? Cette question en appelle deux autres : comment dater le fascisme ? Le fascisme est-il de droite ? En effet, de part les moyens de répression grossiers et cruels qu’ont pu mettre en œuvre l’Italie de Mussolini et, surtout, l’Allemagne d’Hitler, le phénomène « fasciste » est ordinairement appréhendé comme un système politique du point de vue matériel et non comme un corps de doctrine ayant de profondes racines dans l’histoire. Le « fascisme » aurait donc son berceau, du point de vue historique, dans l’entre deux guerres. Il aurait été provoqué par la première guerre mondiale : désir de revanche de la part des Allemands, désir d’unification nationale pour la jeune Italie. Il aurait été provoqué, d’autre part, par la crise financière de 1929, du moins pour ce qui concerne l’Allemagne, puisque c’est en partie en réaction contre cette crise que le national-socialisme allemand parvient à s’imposer comme une des principales forces politiques outre-Rhin. Cette approche présente l’incontestable mérite de dédouaner la France, laquelle est pays vainqueur au traité de Versailles de 1918, et laquelle n’a souffert que modérément de la crise de 1929 (tout comme l’Italie, qui est pourtant déjà fasciste). Les historiens s’accordent pour reconnaître que la France a connu elle aussi sa fièvre « fasciste » : mais elle serait toujours restée le fait d’une minorité qui se serait calquée en tous points sur les modèles allemands et italiens. Il n’y aurait donc pas de spécificité française dans le fascisme ; les « fascistes » français pouvant se définir comme de simples activistes identifiables en gros de 1930 à 1945. Du même coup, le régime de Vichy serait celui de la collaboration imposée : l’Allemagne aurait imposé son modèle à cette minorité qui, sans la défaite, était vouée au discrédit et à l’impuissance. La minorité française ayant adhéré au « fascisme » dans les dix ans avant la défaite de 1940 serait issue d’un activisme de droite ou d’extrême droite. Depuis le célèbre Les Droites en France de René Rémond (1954), cette 1 Grégoire Bigot – Licence 2 Histoire du droit public : L’extrême droite française (1880-1945) classification est en effet proposée. Pourquoi d’extrême droite ? Il existerait trois droites en France depuis la Révolution. La première droite serait composée par le légitimisme ; c’est à dire essentiellement un mouvement composé par les royalistes contre révolutionnaires dominant les assemblées de la Restauration entre 1814 et 1830. Cette droite serait anti-républicaine et anti-démocratique, mais cette droite serait sensible au parlementarisme, c’est-à-dire favorable à un pouvoir modéré par le truchement de la séparation des pouvoirs. La seconde droite, toujours selon René Rémond, serait issue de l’Orléanisme ; c’est-à-dire issue du parlementarisme accru que connaît la France entre 1830 et 1848. Cette droite est cette fois sensible aux principes républicains (elle a confisqué la République) et sensible aux revendications de la démocratie, confondue avec le mode de scrutin élargi (le vote censitaire est élargi) ; c’est la droite bourgeoise et libérale chère à B. Constant : une élite riche préserve la liberté de l’industrie et, surtout, la liberté politique (grâce au parlementarisme accru) ; mais c’est une droite car la sensibilité sociale (l’Etat intervenant pour secourir les démunis) n’est pas au rendez-vous. Enfin il y aurait une troisième droite, dont les caractéristiques seraient l'’ « autorité » et le « nationalisme » ; cette droite est pour R. Rémond le Bonapartisme. Pour cet historien, les mouvements fascisants que connaît la France dans les années 30 ne sont qu’une exacerbation du bonapartisme : nationalisme extrême et extrême soif d’autorité d’un seul chef. René Rémond récuse donc la parenté entre le fascisme et un courant de pensé qui serait antérieur à 1914 ; il récuse de même la capacité des « ligues » à nourrir des idées politiques (« …la relative pauvreté de pensée qui est la rançon de son anti-intellectualisme »), et, par conséquent, il nie la capacité révolutionnaire du « fascisme » : preuve en est son échec en France du point de vue de la prise du pouvoir. L’autoritarisme et le nationalisme - deux notions qu’on peut en effet dire de droite -, suffisent elles à qualifier le fascisme ? La grille de lecture « gauche- droite » rend-t-elle compte de ce mouvement ? Il est pour le moins troublant, et pourtant évident, que le « fascisme » peut venir d’une association nouvelle : la rencontre du nationalisme autoritaire et d’une forme de socialisme. En effet, l’Allemagne d’Hitler est nationale socialiste. N’est-il pas étonnant que Mussolini ait commencé sa carrière politique à « gauche », à savoir au sein du syndicalisme révolutionnaire ? Mais alors, pourquoi des nationalistes ont-ils pu accepter une forme de socialisme ; pourquoi des socialistes ont ils prêché un nationalisme autoritaire ? Le lieu de rencontre de la gauche et de la droite tient certainement à des valeurs communes, et qu’il faut rechercher. Mais si une gauche et une droite se rassemblent autour de valeurs qui sont le propre du « fascisme », dans ce cas il faut reconnaître que le national-socialisme est apte à posséder un corpus cohérent d’idées politiques, plus ou moins enracinées dans la durée. Or, si l’on suppose des idées politiques dans le fascisme, il faut dépasser le simple constat selon lequel il serait simplement réactif, dépasser le constat 2 Grégoire Bigot – Licence 2 Histoire du droit public : L’extrême droite française (1880-1945) selon lequel il serait le simple produit de la guerre mondiale et de la crise économique. Ici se pose la difficulté liée à l’approche et à l’enseignement des idées politiques. Par ces mots « idées politiques », on comprend aisément qu’il ne faille pas s’en tenir au strict aspect des recettes de gouvernement ; au delà des termes qui sont sensés différencier la gauche et la droite à l’époque contemporaine, il faut tâcher de débusquer une réflexion digne de ce nom. Penser la politique, ce doit être, ce nous semble, penser le sens de toute chose, à commencer par l’homme et son monde. Penser la politique, c’est penser l’homme en lui-même ; la politique n’étant qu’une projection, appropriée à leur gouvernement, d’une conception de la nature humaine. C’est donc par l’anthropologie qu’il faut remonter le fil conducteur des idées politiques. D’ailleurs la grande rupture entre époque moderne (Ancien Régime) et époque contemporaine (XIX-XXème siècles) cautionne une telle démarche : c’est en renouvelant de fond en comble l’anthropologie que les Lumières ont trouvé leur traduction politique, notamment, dans la Révolution française de 1789. Outre que la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen soit un socle constitutionnel du démo-libéralisme, elle constitue en plus une photographie de la conception que nous nourrissons de la nature humaine. Or dans le « fascisme », tel que tout le monde a pu en entendre parler, n’y avait-il pas la volonté de bâtir un « homme nouveau », notamment sur des critères racistes ? En dehors de tout jugement qu’une telle volonté peut susciter, il faut reconnaître que le souhait de changer les hommes place indubitablement le fascisme sur le terrain de l’anthropologie : il faut avoir pensé à la nature humaine pour vouloir la modifier par le truchement de la politique. Mais du même coup, si le « fascisme » possède ses propres vus anthropologiques, c’est qu’il est porteur d’une authentique capacité révolutionnaire, à l’instar des idées du XVIIIème siècle relatives à l’homme à l’état de nature. Preuve en est, du point de vue matériel, que le fascisme italien et le nazisme allemand créent un type d’Etat et de pouvoir inédits, et qui ne participent pas de la simple réaction ou de la simple restauration d’une forme d’Etat et de pouvoir issue du passé. En admettant que le « fascisme » soit révolutionnaire - parce qu’il vise à révolutionner la conception de la nature humaine et le sens du monde où il vit -, reste à déterminer, à dater la naissance de ces idées nouvelles. Il semble qu’elles prennent naissance au moment où la République s’enracine en France, à savoir dans le dernier quart ou tiers du XIXème siècle. Pourquoi ? Parce que c’est à ce moment que triomphent en politique les principes philosophiques issus du XVIIIème et de la Révolution. De la même façon que la démocratie libérale repose sur un système de valeur clairement identifiable (et qui regroupe ce que l’on qualifie la gauche ou la droite), la pensée qui uploads/Politique/ extreme-droite-francaise1880-1945-pdf.pdf

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