1 Fédéralisme et démocratie Dans ce texte, René Capitant propose, à partir d’un
1 Fédéralisme et démocratie Dans ce texte, René Capitant propose, à partir d’une relecture de Rousseau, une définition de la démocratie conçue principalement comme un idéal politique, et fondée sur l’idée d’autonomie et sur celle d’égalité. Il entend ensuite démontrer l’existence d’un rapport intrinsèque entre les notions de démocratie et de fédéralisme. La démocratie appelle en quelque sorte le fédéralisme pour être parachevée tandis que le fédéralisme, pour être légitime, doit être démocratique. Cette démonstration contient une double implication : d’une part, entre la forme d’État unitaire centralisé est antinomique à la démocratie et, d’autre part, le fédéralisme européen envisagé par les Pères fondateurs de l’Europe repose sur une conception non pas démocratique mais technocratique. Je ne suis pas certain et je m’en excuse que les trois conférences qui m’ont été demandées doivent être strictement des conférences de science politique[*]. Elles ne le seront même certainement pas si l’on se réfère à la notion la plus courante de cette discipline qui est essentiellement descriptive des institutions dans leur fonctionnement, dans leur pratique, dans leur réalité politique. Ce que j’ai l’intention de faire devant vous, ce sont plutôt des réflexions d’un ordre assez théorique mais orientées vers la solution des grands problèmes ou de certains des grands problèmes de notre époque. La réflexion théorique sur les notions fondamentales du droit public, sur les principes juridiques de l’État n’est-elle pas de nature à éclairer les données des problèmes politiques et à en préparer la solution ? Je le crois et dans cette mesure cette méthode ne mérite pas d’être entièrement exclue de la science politique. Je voudrais appliquer cette méthode à deux notions fondamentales : - la notion de démocratie - la notion de fédéralisme, non pas tant pour les défendre en elle-même que pour rechercher le lien qui les unit l’une à autre. Dans la théorie juridique classique ces deux notions apparaissent indépendantes l’une de l’autre, comme se plaçant sur deux plans qui ne se touchent pas ; le fédéralisme prend place dans la classification de ce qu’on appelle les formes d’États, et la démocratie figure de son côté dans la classification des formes de gouvernement. Le fédéralisme s’oppose au centralisme. Il nous met en présence de l’État unitaire ou de l’État comp[o]sé de différents États. C’est dans cette perspective qu’il a place dans la classification. La démocratie n’est qu’une forme de gouvernement selon la classification qui remonte à Aristote elle s’oppose à l’aristocratie et à la monarchie. Mais quelle[s] sont ces deux formes indépendantes l’une de l’autre[,] semble-t-il, en ce sens qu’on peut concevoir des fédérations de monarchies ou d’aristocraties ou de démocraties avec autant de raison dans un cas que dans l’autre ? et qu’inversement il semble qu’on puisse et qu’on doive admettre que la démocratie peut être indifféremment unitaire ou fédéraliste. Ces deux classifications seraient donc indépendantes l’une de l’autre et pourraient donner naissance à autant de formes politiques qu’on peut concevoir de combinaisons entre leurs divers termes. [2] Telle est je crois conception classique. C’est elle cependant que je voudrais remettre en cause, en montrant que si l’on creuse davantage ces deux notions, on découvre entre elles des liens étroits, des liens nécessaires, qui découlent de leur nature même. Cela vient de ce que la démocratie n’est pas seulement une forme de gouvernement. Elle est en réalité beaucoup plus. Elle est aussi une forme d’État dans la mesure où le principe démocratique, si on applique jusqu’au bout, tend non pas seulement à déterminer une forme d’organisation politique, mais toutes les institutions juridiques, celles du droit privé, dirai-je, aussi bien que celles du droit public. Et dans la mesur[e] où un principe domine ainsi l’ensemble des institutions juridiques, il domine l’ensemble de l’État. Car qu’est-ce que l’État ? J’emprunterai cette remarque à l’école de […]. Qu’est-ce que l’État sinon l’ensemble de l’ordre juridique, et ce qui détermine l’ensemble de l’ordre juridique détermine donc par là-même l’ensemble de l’État ? Inversement le fédéralisme n’est sans doute pas complètement défini, ni très exactement, si on le réduit à n’être qu’une forme d’État. Le fédéralisme, ou tout au moins le principe de l’autonomie des groupes dans la Nation, inséparable de l’autonomie de la personne humaine, apparaît, nous verrons, je l’espère, plus clairement au cours de mon exposé, comme étant lui aussi un principe d’organisation juridique et dominant le gouvernement autant que l’État. D’ailleurs le fédéralisme a des comptes à rendre, dirai-je volontiers, devant le principe de légitimité et je ne crois pas qu’il y ait à notre époque d’autre principe de légitimité que le principe démocratique. J’établirai par conséquent entre le principe fédéral et le principe démocratique une hiérarchie, plaçant le principe démocratique plus haut que le second et admettant, proclamant même que le fédéralisme a des comptes à rendre à la démocratie, je m’efforcerai de montrer que s’il y a plusieurs formes de fédéralisme, certaines seulement sont démocratiques, et que d’autres risquent d’être antidémocratiques, et je crois que les premières seules doivent avoir notre attention. Cependant nous devons devant les autres adopter l’attitude de la méfiance, qui et celle que l’on doit observer à l’égard de tout ce qui menace la démocratie. Ainsi je voudrais montrer deux choses : je voudrais montrer d’une part que la démocratie, si on la définit en remontant jusqu’à ses sources profondes et en poussant son application jusque dans ses conséquences dernières, que le principe démocratique ainsi entendu conduit nécessairement au fédéralisme ou tout au moins à certaines formes de fédéralisme, qu’on ne peut pas concevoir une démocratie complète, totale, si elle n’est pas en même temps une démocratie fédérale, imprégnée de fédéralisme. [3] Je voudrais d’autre part montrer que la proposition inverse n’est pas entièrement vraie, que tout fédéralisme n’est pas démocratique, mais que seul le fédéralisme démocratique est légitime. Telles sont les deux parties de mon exposé. Je consacrerai cette première leçon à des définitions liminaires, qui nous fournirons les instruments indispensables de l’analyse à laquelle nous pourrons nous livrer dans les dernières. Je consacrerai cette première leçon essentiellement à une définition de la démocratie, car c’est la notion fondamentale dans la perspective que je choisis, et sur les bases que je viens d’exposer c’est d’elle essentiellement que dépendra la solution des deux autres questions. [Qu’est-ce que la démocratie ?] Définir la démocratie, c’est une tâche qui est bien traditionnelle et qui semble ne devoir mettre en cause que des développements très classiques, et très connus. C’est le sentiment que vous avez peut-être au moment où j’annonce cette intention, mais peut-être d’autres parmi vous songent-ils que c’est une tâche redoutable, et ils auraient raison d’observer et de constater que cette notion semble à notre époque entachée d’une terrible confusion. Il en est ainsi souvent de ces notions les plus usuelles, les plus familières. Ce sont elles qui parfois sont le plus usées par l’habitude et qui finalement se sont trouvées par cette érosion le plus vidées de leur contenu. Pour toucher du doigt à quel point cette notion de démocratie est difficile à saisir dans son contenu, dans notre terminologie actuelle, il suffit d’observer que la plupart des auteurs et la plupart des esprits admettent aujourd’hui qu’il y a deux formes de 2 démocratie, qu’on appelle tantôt la démocratie libérale et tantôt la démocratie totalitaire, ou parfois encore, recourant à des adjectifs d’ordre géographique, la démocratie occidentale et la démocratie orientale, pour ne pas préjuger de leur contenu. Mais en même temps que l’on affirme cette dualité de la notion, on affirme aussi – car c’est un autre truisme de note époque – que rien n’est plus opposé que ces deux formes politiques. On affirme – et comment n’aurions-nous pas raison de le faire – que le milieu du XXème siècle est dominé par deux conceptions absolument antinom[i]ques, qui prennent leur source sur des versants opposés et qui coulent aussi vers deux horizons les plus éloignés l’un de l’autre. Tout dans la comparaison de ces deux systèmes politiques est opposition et il ne semble pas qu’on puisse trouver entre elles le moindre dénominateur commun. [4] Et comment peut-on au même instant affirmer qu’elles sont pourtant deux formes, deux modalités, d’un régime unique, la démocratie, et affirmer qu’elles sont le contraire l’une de l’autre ? N’est-ce pas la[ ]preuve que le mot de démocratie en réalité a perdu toute sa signification ? Car lorsqu’un mot désigne les deux contraires, cela veut dire qu’il ne désigne plus rie[n] du tout, et peut-être la crise de la démocratie qu’il y a dans le monde à notre époque a-t-elle sa source profonde dans cette contradiction. Comment pourrait-on encore vibrer pour la démocratie, comment pourrait-on encore s’enflammer pour elle, comment y aurait-il une mystique démocratique, alors qu’elle serait sans objet ? ou plutôt alors qu’elle donne lieu à des mystiques adverse[s] ? Et l’étude de ce conflit témoigne une fois encore de l’impossibilité où l’on est de saisir son contenu commun, qui constituerait la définition, l’essence de la démocratie ? Telle est du moins la conclusion à laquelle nous arrivons si nous nous contentons de rechercher cette définition uploads/Politique/ federalisme-et-democratie.pdf
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- Publié le Jui 19, 2022
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