– David Amalric et Benjamin Faure : « Réappropriation des savoirs et subjectiva
– David Amalric et Benjamin Faure : « Réappropriation des savoirs et subjectivations politiques : Jacques Rancière après Mai 68 » – p. 75 David Amalric et Benjamin Faure : « Réappropriation des savoirs et subjectivations politiques : Jacques Rancière après Mai 68 » « Peut être les mésaventures de l’identification pourraient-elle induire à reposer la question du rapport entre ceux que l’on cherche toujours là, et ceux qui sont instruits de la science d’être toujours ailleurs. Et si le rapport s’inversait ? S’il avait toujours été inverse ? Si au regard de ces "masses" qu’il nous plaît ou nous déplaît, alternativement de traiter en "héros", nous avions toujours été, en tout cas, d’une naïveté ridicule? 1 » L’interrogation que nous présentons ici a avant tout pour point de départ une série de réflexions et de pratiques collectives ; ce sont les tentatives de « séminaires autogérés » ou de « séminaires de recherche politique » qui constituent, à Paris comme ailleurs, et plus spécifiquement à l’ENS pour ce qui nous concerne, des traces laissées par les mouvements politiques de l’année dernière. Par là, il faut entendre des tentatives pour maintenir ouvertes, dans un travail de continuité, certaines brèches, certaines lignes de politisation, contre le retour au quotidien universitaire. Ce n’étaient d’abord que des réunions informelles, des « rencontres politiques », qui ont eu lieu dès novembre 2008 dans les cuisines de l’internat de l’ENS, puis dans un squat, où l’on se retrouvait (entre 15 et 30 personnes) pour évoquer diverses questions autour d’une remise en cause du militantisme classique, des solutions organisationnelles et théoriques existantes, du fonctionnement de l’Université – avec l’exigence d’une nouvelle forme de radicalité. Puis, à la fin de l’année dernière, suite au mouvement, s’est faite jour la décision d’exploiter la structure du « séminaire d’élèves » ; à la rentrée, trois séminaires autogérés distincts étaient mis en place : le « séminaire émancipation » (dans une continuité directe avec les rencontres politiques), le séminaire « propriété et résistance » qui se place davantage dans une perspective de production collective du savoir, et les « lectures de Marx » qui visent une réappropriation politique et pratique du corpus marxiste. Enfin, par le biais d’un site internet et de rencontres régulières, une plate-forme de liaison de ces différentes 1 J. Rancière, « L’usine nostalgique », dans Les scènes du peuple, Paris, Horlieu, 2003, p. 350. – Revue de philosophie politique de l’ULg – N°5 – Mai 2013 – p. 76 initiatives, à l’échelle de Paris et de la France a été créée, sous le nom d’« Interséminaire ». S’y sont croisés l’UFR autogéré de Paris 3, l’UFR zéro de Paris 8, l’université alternative « Rennes Troie », etc. 2 Dès lors, si nous tenterons d’évoquer ici la pensée de Jacques Rancière, c’est bien pour éclairer, déplacer, certains problèmes que nous nous posons au sein des séminaires. Il s’agira d’explorer chez lui la subtilité d’un rapport entre savoir et subjectivation politique, à partir d’un certain nouage qui s’élabore dans les conséquences multiformes de mai 68. Par ce biais, on pourra soulever nombre de questions concernant les pratiques de réappropriation du savoir, et le développement de formes de « recherche politique » aussi bien que les dynamiques de politisation dans et hors du cadre universitaire. On trouvera peut-être, par sa conception du « sujet politique », à s’orienter dans les divers problèmes de fond qui hantent le travail d’une recherche politique : Comment du lien peut-il se créer entre des luttes isolées, sectorisées ou particulières ? Comment peut-on être radical sans tomber dans une posture de mépris ou de dogmatisme sectaire ? Comment trouver aujourd’hui les ressources d’une lutte affirmative par-delà les combats simplement réactifs ? Comment éviter de poser la question de ce qui est politique dans les mêmes termes que le pouvoir ? Comment défaire des partages, organiser des rencontres et les mises en résonance pour dégager la puissance, la confiance, l’enthousiasme d’une compréhension collective susceptible de faire émerger de nouveaux possibles ? Telles sont les questions, volontairement très larges, qui forment le fond et l’exigence sans cesse relancée de nos réflexions… Une précision avant de commencer, ces quelques réflexions ne prétendent pas éclairer quiconque sur la pensée de J. Rancière en général, mais bien de proposer et de susciter aujourd’hui des expérimentations originales. Si nous nous sommes centrés sur les textes de J. Rancière écrits entre 1969 et 1983, c’est par intérêt pour la manière dont une conjoncture politique et historique précise s’inscrit dans une pensée, pensée qui se veut radicale et qui tente d’assumer en actes l’ambiguïté et les difficultés de ce qui lui est arrivé, ces quelques jours de mai. 2 Après cette intervention, s’est tenu le premier véritable Interséminaire, à Paris, les 4, 5 et 6 juin 2010, regroupant les séminaires autogérés de l’ENS Ulm, le Laboratoire Junior « Actualité des concepts d’aliénation et émancipation », L’Université Autogérée de Lyon, Le Comité 227 de Toulouse- Le Mirail, l’UFR O et le séminaire in situ de Paris VIII. Le programme et les comptes rendus se trouvent sur le site interseminaire.org. Cette intervention n’est qu’une tentative a priori d’imaginer les conditions de possibilité d’une telle rencontre. Désormais que la rencontre a eu lieu, tout serait à reprendre sur le fond des nouvelles perspectives dégagées collectivement par ces quelques jours. – David Amalric et Benjamin Faure : « Réappropriation des savoirs et subjectivations politiques : Jacques Rancière après Mai 68 » – p. 77 Entrée : spirale en mai, début de l’aventure Un premier tour de spirale s’effectue, dans la pensée de J. Rancière, autour de l’évènement « Mai 68 » et, de manière générale, autour d’« un jour de mai », une expression souvent utilisée pour dire ce qui s’est ouvert à ce moment-là. Parler de spirale, c’est dire que l’on commence déjà à sortir du cercle domination-ignorance, d’une certaine manière de penser la subjectivation politique dans ce cercle : c’est parce qu’on ne sait pas ce qu’est la domination qu’on est dominé, mais être dominé c’est justement être mis en situation d’ignorer les mécanismes de cette domination. Sortir du cercle, c’est trouver une manière originale de lier savoir et subjectivation politique en essayant de se défaire du couple domination/ignorance. Or c’est un « jour de mai » précisément que se laisse entrevoir cet impératif d’une articulation entre deux éléments, tous deux présents en mai, dont il faut désormais étayer la liaison : 1) Une critique du savoir académique, de sa production (réservée aux spécialistes), de sa transmission (autoritaire et abrutissante), et de ses finalités (au service de l’ordre établi), critique de ce que J. Rancière appelle la fonction pédagogique. 2) Une critique du sujet révolutionnaire, et plus particulièrement de la manière dont il est pris dans une double alternative : a) L’un ou le multiple : un sujet unifié de l’histoire ou la multiplicité irréductible des luttes ; b) Le plein et le vide : la pleine positivité théorique et sociologique de la classe ouvrière ou la négativité destructrice de la subjectivité rebelle. L’impératif de mai est de lier ensemble rapport aux savoirs et modes de subjectivation politique. Mai c’est d’abord Mai 68, les barricades et le marxisme remis en question. « On a raison de se révolter. » La leçon d’Althusser s’ouvre ainsi : « [ce commentaire] part d’une expérience que beaucoup d’intellectuels de ma génération ont pu faire en 1968 : le marxisme que nous avions appris à l’école althussérienne, c’était une philosophie de l’ordre, dont les principes nous écartaient du mouvement de révolte qui ébranlait l’ordre bourgeois 3. » Vingt ans plus tard, J. Rancière évoque Mai 68 comme une expérience, un évènement qui ébranle les certitudes, à la fois surprise et 3 J. Rancière, La leçon d’Althusser, Paris, Gallimard, 1974, p. 9. Il faudra revenir plus en détail sur la démarcation opérée par J. Rancière par rapport à Althusser. Comme le suggère Yves Duroux dans sa contribution au colloque de Cerisy, La philosophie déplacée. Autour de Jacques Rancière, Paris, Horlieu, 2006, quelque chose d’important se joue dans la disparition de l’article de J. Rancière dans Lire le capital, à la rubrique « Du même auteur », entre Le philosophe et ses pauvres en 1983 et Le maître ignorant en 1987. On peut simplement suggérer que le travail d’historicisation du discours d’Althusser opéré très tôt par J. Rancière, consiste à resituer des énoncés théoriques dans un champ de luttes qui sont indissociablement luttes dans la théorie et luttes hors de la théorie, à resituer un énoncé face à ses implications politiques et stratégiques. – Revue de philosophie politique de l’ULg – N°5 – Mai 2013 – p. 78 désillusion. Un évènement, ce n’est pas quelque chose qui viendrait enrichir la vie intellectuelle mais une rupture véritable, une suspension, une interruption qui ramène chacun à sa propre aventure : « Qui es-tu, toi qui parles ? Que veux-tu dire dont tu désires être le sujet ? […] L’éclat de l’évènement 68, c’est d’avoir été, pour qui l’a voulu, la chance d’une délégitimation uploads/Politique/ reappropriation-des-savoirs-et-subjectivations-politiques-jacques-ranciere-apres-mai-68.pdf
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- Publié le Mai 09, 2021
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