GLOTTOPOL Revue de sociolinguistique en ligne N° 1 – Janvier 2003 Quelle Politi

GLOTTOPOL Revue de sociolinguistique en ligne N° 1 – Janvier 2003 Quelle Politique linguistique pour quel Etat-nation ? SOMMAIRE Foued Laroussi : Présentation Guy Lemarchand : Nation, Etat, mémoire et culture. Quelques jalons pour l’étude du cas français d’Etat-nation Laurent Puren : Pédagogie, idéologie et politique linguistique. L’exemple de la Méthode Carré appliquée à la francisation de la Bretagne à la fin du XIXe siècle Dora Carpenter-Latiri : L’arabe, butin de guerre ? Gilbert Grandguillaume : Arabofrancophonie et politiques linguistiques Salih Akin & Mehmet-Ali Akinci : La réforme linguistique turque William Rodriguez : L’Espagne en 2002 : un laboratoire glottopolitique Jean-Pierre Jeantheau : Bélarus : de la langue à l’Etat Samantha Chareille : Aspects institutionnels de l’aménagement linguistique du Mercosur M.A. Haddadou : L’Etat algérien face à la revendication berbère : de la répression aux concessions Foued Laroussi : Glottopolitique, idéologies linguistiques et Etat-nation au Maghreb Compte rendu Philippe Blanchet : Bavoux, Claudine, et de Robillard, Didier, (Dir.), Linguistique et créolistique, Paris, Anthropos, collection « univers créole » 2, 2002, 218 p. Débat Jean-Baptiste Marcellesi : Glottopolitique : ma part de vérité UMR CNRS 6065 DYALANG – Université de Rouen http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol ARABOFRANCOPHONIE ET POLITIQUES LINGUISTIQUES Gilbert GRANDGUILLAUME Ecole des hautes études - Paris Comment peut-on parler aujourd’hui de politiques linguistiques ? Depuis une vingtaine d’années, les conditions en ont été profondément modifiées, tant du côté de l’environnement mondial que de celui des communautés de langues. Entre deux, l’Etat qui en fut le pilier a vu son rôle amoindri. Il est donc utile d’engager une nouvelle réflexion sur des situations dont les termes sont apparemment restés les mêmes, mais recouvrent des réalités différentes et changeantes. Comment s’élabore une politique linguistique ? Les lieux où s’élaborent des politiques linguistiques sont ceux où se concrétisent un investissement de langue et un enjeu de pouvoir. Le lieu privilégié en a été autrefois l’Etat, centre d’une construction nationale, assurant sa légitimité par une incarnation de l’identité dans laquelle la langue nationale avait une part prédominante. Le cas de la France jacobine est évidemment exemplaire, mais ce modèle a pu être observé à des degrés divers avec le développement des nations1. Les Etats ayant accédé récemment à l’indépendance ont pour la plupart considéré une langue nationale comme symbole de leur identité nationale et moyen de la concrétiser. Toutefois, en parallèle et parfois en opposition à ces politiques linguistiques nationales, des minorités ont tenu à valoriser leur langue maternelle. Ces mouvements, d’abord discrédités en tant que facteurs de division de l’unité nationale, se sont peu à peu renforcés au fur et à mesure que l’Etat échouait à mettre en œuvre ses objectifs affichés de développement et de démocratie. Les minorités linguistiques se sont renforcées de l’opposition de l’Etat à leur égard, et ont élaboré des revendications destinées à faire reconnaître leur identité. Parfois parties d’une base ethnique, ces tendances ont souvent atteint un niveau d’action politique. Elles ont en tout cas affaibli la légitimité que l’Etat voulait s’octroyer par le biais de la langue nationale. 1 Sur ce thème, voir J-W Lapierre (1988) et L-J Calvet (1996). GLOTTOPOL – N° 1 – Janvier 2003 http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol 71 Un contexte mondialisé L’essor de la mondialisation a eu pour conséquence de placer la langue anglaise dans une situation d’hégémonie incontestée. Les médias, l’Internet, mais aussi la pratique des échanges internationaux en ont fait le moyen de communication indispensable. De ce fait, les Etats dont la politique linguistique avait souvent consisté à éliminer une langue étrangère au profit de leur langue nationale se voient dans l’obligation de reconnaître la nécessité d’une langue internationale, en l’occurrence l’anglais et parfois le français. Quand la langue nationale est bien implantée, la coexistence de celle-ci avec la langue étrangère ne pose pas de problème. Quand par contre elle est en conflit avec des langues internes (le berbère, le catalan, par exemple), celles-ci peuvent être tentées de se brancher sur la langue internationale en négligeant le niveau de la langue nationale. Celle-ci doit alors être soutenue par une politique linguistique nationale. L’Etat peut procéder par la contrainte, en déclarant obligatoire l’usage de la langue nationale en un certain nombre de cas. Mais cette politique va aussi, et surtout, utiliser divers atouts : la résistance à la domination mondiale, l’appel au nationalisme, le recours à la religion ou même à l’ethnicité. Ces diverses composantes convergent vers la notion d’identité, qui a l’avantage de trouver un écho dans les diverses couches de la population. En effet si une langue internationale répond largement à la fonction de communication, il n’en est pas de même en ce qui concerne l’expression. Sa référence identitaire est trop diluée pour satisfaire le besoin des locuteurs, qui se retrouvent alors pleinement dans leur langue nationale, ou régionale, plus proche de l’enracinement assuré par la langue maternelle. C’est pour cette raison qu’on peut penser que l’extension du champ des grandes langues s’accompagnera de la reviviscence des langues mineures plutôt que de leur disparition, annoncée par certains augures. Comment résister à l’anglais ? La francophonie Le recul mondial du français par rapport à l’anglais est devenu un phénomène patent et a abouti à une situation considérée comme irréversible. Le problème est maintenant de voir comment échapper au nivellement linguistique et ménager une coexistence linguistique où le français conserverait une place. Dans les grandes conférences internationales, il a été fait appel au principe de la défense de la diversité culturelle. De fait, la défense de la diversité des langues se confond avec celle de la diversité des cultures, et par conséquent de la diversité des identités : dans cette optique chaque langue, chaque culture se pense comme un élément d’un monde riche de cette diversité. L’aspect éthique de la question ne peut faire oublier que derrière les paravents culturels se cachent des enjeux économiques féroces. Malgré tout, cette position est bien reçue dans les conférences internationales où la France a pu se faire le champion des opprimés, en présentant la francophonie comme un au-delà national, susceptible de défendre la cause des cultures du monde menacées. Au Sommet de la Francophonie organisé à Beyrouth en octobre 2002, le ministre de la culture libanais Ghassan Salamé déclarait : « Le Sommet a servi de tribune à l’expression d’une double peur : celle de l’unilatéralisme et de l’hégémonisme américains dans un monde unipolaire, et, avec encore plus de vigueur, la peur des plus faibles et des plus démunis d’être marginalisés par l’accélération de la mondialisation. » Cette position, pour noble qu’elle paraisse, n’est pas sans receler une contradiction. En effet, face à la domination de l’anglais et à sa mainmise sur les grands supports culturels, la France demande que des quotas soient ménagés pour le français bien sûr, mais aussi pour les GLOTTOPOL – N° 1 – Janvier 2003 http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol 72 autres langues. Mais en même temps, le français est une langue dominante sur son secteur, et exerce une fonction unificatrice analogue à celle de l’anglais. La France se trouve conduite à plaider la tolérance face à plus fort qu’elle, et à se révéler hégémonique face à plus faible qu’elle. Les bons arguments d’ailleurs ne manquent pas dans ce sens puisque pour faire poids face à son grand rival, la France doit pouvoir s’appuyer sur une francophonie à large extension et aux moyens puissants. Cette dernière nécessité peut la conduire à promouvoir l’utilisation du français au détriment de petites langues progressivement condamnées à disparaître. Sous cet aspect, il est intéressant de réfléchir sur les rapports du français et de l’arabe, deux langues qui recouvrent chacune une aire linguistique large, mais dont certaines parties se recoupent, à savoir les zones de bilinguisme franco-arabe. Le cas de l’arabofrancophonie A l’occasion de la Conférence sur la Francophonie (Beyrouth, octobre 2002) a été promue une sorte de sainte alliance entre l’arabe et le français, symbolisée par le terme d’arabofrancophonie2. L’idée est certes généreuse, elle témoigne d’une ouverture sensible des esprits, toutefois il est nécessaire de la situer dans son contexte et d’en considérer les implications. Car s’il y a conjonction des intérêts des deux langues à maintenir des zones linguistiques et culturelles échappant à l’anglais, il n’en demeure pas moins que les deux ensembles ont une longue histoire de concurrence, voire d’hostilité. La Conférence de la francophonie organise la survie de la langue française face à la position hégémonique de la langue anglaise. Elle se situe d’emblée dans l’au-delà du national : il est bien précisé que le français est la langue de plusieurs nations, bien que la France en soit le centre. Ainsi la régulation de la langue ne doit plus venir du centre français, mais être l’objet d’une concertation des nations francophones. Si la francophonie est une croisade pour la défense du plurilinguisme, la légitimité de son combat lui vient de sa sincérité à faire barrage, d’une part, au nivellement linguistique incarné par l’anglais mais, d’autre part, à assurer la survie des autres langues : les langues extérieures comme l’italien, le portugais, le flamand, et on peut dire, l’arabe, mais aussi les langues intérieures, notamment celles qui sont reconnues comme « langues uploads/Politique/ gpl1-05grand.pdf

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