4.9.10 17:37 I. Garo | Deleuze, Marx et la révolution : ce que « rester marxist

4.9.10 17:37 I. Garo | Deleuze, Marx et la révolution : ce que « rester marxiste » veut dire Page 1 sur 15 http://www.marxau21.fr/index.php?view=article&catid=63%3Aphilos…nent&print=1&layout=default&page=&option=com_content&Itemid=86 I. GARO | DELEUZE, MARX ET LA RÉVOLUTION : CE QUE « RESTER MARXISTE » VEUT DIRE Textes/Thématiques Écrit par Garo (Isabelle) Je crois que Guattari et moi, nous sommes restés marxistes [1] Introduction Face à l’atonie de la vie intellectuelle française d’aujourd’hui – et face au silence pesant qui écrase tous ceux qui tentent de s’en démarquer – Deleuze apparaît comme l’un des derniers auteurs majeurs, un philosophe créatif, original, subversif même, aux marges de l’université en tout cas, et lié à une extrême gauche contestataire dont il ne fut cependant jamais un militant actif : il s’est toujours refusé à renier Mai 68 autant que Marx, et jusqu’au bout, il se réclamera non pas tant de la révolution que d’une apologie constante, têtue, de ce qui est ou pourrait être un devenir-révolutionnaire, échappant à toutes les retombées et à toutes les totalisations. Proclamant, jusque dans les années 1990, la nécessité de la « résistance au présent », chantre de la « colère contre l’époque »[2], il fut et reste cependant un philosophe reconnu, adulé même, dont les cours à Vincennes firent salle comble et dont le succès en librairie, d’ouvrages pourtant ardus et volumineux, persiste jusqu’à aujourd’hui. Du fait même de cette permanence, il serait illusoire et superficiel de brosser le portrait nostalgique d’une génération engagée, celle des Foucault, Deleuze, Châtelet, Althusser, Castoriadis, Badiou, etc., en grande partie disparue, face à ce qui serait aujourd’hui le désert montant d’une pensée normalisée, académique, ayant renié Marx, réduit Mai 68 à un carnaval étudiant, rendu ridicule et obscène le mot de révolution, et exorcisé tout ce qui relève d’une volonté transformatrice, ou même seulement politiquement et idéologiquement critique. D’une part, parce que l’engagement des hérauts de cette époque est de nature complexe et qu’il correspond à un tournant, pris notamment en opposition à Sartre et au type d’engagement intellectuel qu’il incarna et théorisa[3], et au rejet du marxisme tel que le concevait le PCF, et tel que les pays socialistes en renvoyaient alors l’image répulsive. D’autre part, donc, parce que l’on constate, ici ou là, d’un net regain d’intérêt pour la pensée de certains auteurs de cette génération (Deleuze et Foucault, tout particulièrement), constat décidément incompatible avec la thèse d’une époque définitivement engloutie et qui atteste plutôt d’une continuité complexe, d’un héritage, paradoxal et débattu, mais bien réel[4]. En effet, il est presque surprenant de constater à quel point Deleuze est bel et bien présent dans le paysage intellectuel d’aujourd’hui comme l’une de ses références vivantes, qui alimente colloques, publications et revues, non pas simplement selon le mode du commentaire élogieux mais sur le terrain d’une reprise et d’une poursuite, d’un nouveau militantisme aussi, parfois, et d’une relative mais réelle réhabilitation institutionnelle. « Le siècle sera deleuzien », « peut-être », avait prédit Foucault. Et il se trouve que le millénaire commençant, est foucaldien tout autant, très localement sans doute, mais d’autant plus fidèlement. Et négriste aussi[5]. D’un tel constat naît une question : comment comprendre que le retrait présent d’un certain type d’engagement politique, la quasi-disparition de perspectives radicalement alternatives au capitalisme, s’accompagne du projet maintenu d’une autre conception de la ou du politique, dont 68 se présente pour Deleuze et une partie de sa génération, comme l’appel ou l’amorce ? Où se place la rupture et, au fond, y a-t-il vraiment rupture ? Autrement dit, la pensée de Deleuze et sa conception de la révolution se situent-elles au terme d’une trajectoire, là où s’effondre toute perspective révolutionnaire, ou bien au milieu du gué de sa redéfinition en cours, micrologique et micro- voire infrapolitique, ou encore au début d’une nouvelle séquence historique qui signerait la caducité de ces deux diagnostics et qui conduirait à rompre avec la rupture des années 1960 ? Quoi qu’il en soit, le facile tableau d’une décadence, de 68 à nous, ne convient décidément pas[6], même s’il présente l’avantage d’inverser le diagnostic de ses procureurs patentés, façon Ferry et Renaut. Il reste plutôt à comprendre comment s’est effectuée une transition complexe et contradictoire, d’une partie de cette génération à la nôtre, transition qui non seulement marque en effet une rupture et un déclin, mais tout autant une poursuite et une continuité, celle du lent et silencieux effondrement du marxisme théorico-politique, parfaitement compatible avec la profusion des mentions du nom même de Marx, et qui exige aussitôt la redéfinition de la « révolution » ainsi que ce qui semble être sa transmutation philosophique, comme c’est exemplairement le cas chez Deleuze. C’est donc une dénivellation qu’il convient de saisir. Et ce changement de perspective, s’il est bien lié aux inventions propres à Deleuze au sein d’une œuvre foisonnante, est tout autant inséparable d’un contexte politique et intellectuel. Car les circonstances sont multiples. Elles consistent dans la transformation idéologico-politique qui se joue des années 1960 aux années 1990, mais aussi dans l’irruption de la crise économique, d’un retournement brutal et durable de la conjoncture, et celle la fin des politiques sociales de type keynésien, qui n’ont pas permis de l’éviter, et de la parenthèse fordiste, qui met à mal une certaine conception de l’action étatique et de ses capacités réformatrices et régulatrices. Crise du marxisme lui-même, enfin, en tant que le maintien sclérosé mais aussi le retravail, ici 4.9.10 17:37 I. Garo | Deleuze, Marx et la révolution : ce que « rester marxiste » veut dire Page 2 sur 15 http://www.marxau21.fr/index.php?view=article&catid=63%3Aphilos…nent&print=1&layout=default&page=&option=com_content&Itemid=86 ou là, d’un héritage et d’une démarche théorico-pratique, échoue dans tous les cas à rencontrer une mobilisation populaire qui lui conserverait ou lui conférerait sa dimension d’intervention politique à part entière, vivifiante, porteuse de perspectives véritables. Bref, tout concourt, au cours de cette période qui va jusqu’à nous, à faire de Marx un nom, définitivement haïssable pour les uns, obsolète pour les autres, mais aussi, en troisième lieu, une référence désormais philosophique, forcément philosophique, qui autorise à rapatrier sur le seul terrain théorique les vertus de la critique autant que ses armes. Ainsi, le progressif effacement du marxisme, faute d’avoir su demeurer ou redevenir théorico-politique, se double parfois du maintien voire de la relative prolifération de la référence à Marx qui accompagne cette refonte, souvent souterraine, dont la pensée de Deleuze se fait l’écho, sans fournir les moyens conceptuels de la compréhension de ses conditions et de ses enjeux. Pour autant, il ne s’agit nullement de lire l’oeuvre Deleuze comme un simple effet, d’abord parce qu’il est un acteur à part entière de cette histoire, ensuite parce que sa pensée instaure un rapport véritablement original et complexe à Marx, qui permet en retour et aux antipodes de tout réductionnisme, d’éclairer le contexte plus général d’une mutation idéologique et théorique. En un sens, le rôle joué par Deleuze dans cette conjoncture tient aussi à son propre décalage par rapport à l’époque et à un devenir dont il n’épouse que tangentiellement certaines « lignes de fuite », et ce décalage est d’abord chronologique : né en 1925, appartenant à la génération marquée par la Libération, Deleuze est l’un de ceux qui voient se modifier radicalement le paysage social et politique, en accompagnant et en participant à cette mutation par ses analyses, tout en affichant une volonté contestataire invariable, et cela alors même qu’elle ne se développe que marginalement en allusions politiques, allusions nombreuses mais jamais vraiment thématisées, encore moins programmatiques[7]. C’est pourquoi, au total, le mot de « révolution » sous sa plume dit moins une visée, qu’il ne désigne le bouleversement même de son sens. Le mot, du coup, se fait écho troublé, référence vacillante, maintenue mais sublimée tout aussi bien, aux événements de 68, lus non comme échec politique, au moins partiel, mais comme substitution réussie du devenir à l’histoire. « On dit que les révolutions ont un mauvais avenir. Mais on ne cesse de mélanger deux choses, l’avenir des révolutions dans l’histoire et le devenir révolutionnaire des gens »[8], Mai 68 étant défini quelques lignes plus haut comme « l’irruption du devenir à l’état pur ». C’est pourquoi on peut situer la question deleuzienne de la révolution à l’épicentre d’un séisme : encore enracinée sur le terrain qui sombre de l’engagement politique, elle migre sur celui, qui corrélativement ré-émerge, d’une approche métaphysique renouvelée et qui en appelle tout autant à Bergson, à Nietzsche et à Whitehead qu’à un Marx, dorénavant postmoderne penseur des flux en même temps qu’icône maintenue d’une insoumission revendiquée … C’est pourquoi la réponse, donnée par Deleuze en 1990 à Toni Négri, mérite qu’on s’y arrête : « je crois que Guattari et moi, nous sommes restés marxistes »[9]. Il faut lire cet énoncé en lui conservant toute sa complexité, et même son ambiguïté. Il s’agit de « croire » et donc de douter. Il est tout à l’honneur de Deleuze de n’avoir jamais fait du marxisme une évidence. Mais le mot sous sa plume n’a jamais eu un sens bien défini (ce qui, entre autres choses, le uploads/Politique/ i-garo-deleuze-marx-et-la-revolution-ce-que-rester-marxiste-veut-dire.pdf

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