Mots Jean Giono et la « collaboration » : nature et destin politique Richard Go

Mots Jean Giono et la « collaboration » : nature et destin politique Richard Golsan Citer ce document / Cite this document : Golsan Richard. Jean Giono et la « collaboration » : nature et destin politique. In: Mots, n°54, mars 1998. Le roman politique. pp. 86-95; doi : 10.3406/mots.1998.2329 http://www.persee.fr/doc/mots_0243-6450_1998_num_54_1_2329 Document généré le 16/12/2016 Résumé JEAN GIONO ET LA «COLLABORATION»: NATURE ET DESTIN POLITIQUE Quelle était la politique de Giono pendant l'Occupation ? Malgré ce qu'affirme son biographe, P. Citron, les opinions de Giono, exprimées dans la presse collaborationiste, dans l'essai-roman « Triomphe de la vie » (1942) et surtout dans son « Journal de l'Occupation », publié en 1995, sont assez proches des perspectives de Vichy et même des nazis. Mais la vision réactionnaire de l'écrivain date de bien avant la guerre et se manifeste le plus clairement dans son chef-d'œuvre de 1930, « Regain ». Resumen JEAN GIONO Y LA « COLABORACIÓN » : NATURALEZA Y DESTINO POLITICO I Cual era la posición política de Giono durante la ocupación alemana ? A Pesar de lo que afirma su biógrafo P. Citron, las opiniones de Giono, expresadas en la prensa colaboracionista, en la novela-ensayo « Triomphe de la vie » (1942) y, sobre todo, en su « Journal de l'Occupation » publicado en 1995, se acercan bastante a las orientaciones de Vichy y mismo a las de los nazis. Pero la vision reaccionaria del escritor es muy anterior a la guerra y se manifiesta ya claramente en « Regain », su opera magna de 1930. Abstract JEAN GIONO AND « COLLABORATIONISM » : NATURE AND POLITICAL DESTINY What were Giono' s politics during the German Occupation in France ? Despite affirmations to the contrary by his biographer, P. Citron, in the collaborationist press, in the 1942 novel/essay « Triomphe de la vie » and in his «Journal de l'Occupation» (1995), Giono expressed views similar to those expressed by Vichy ideologues and even the nazis themselves. But the writer's reactionary vision dates from well before the war, and is demonstrated in his 1930 fictional masterpiece, « Regain ». Richard GOLSA№ Jean Giono et la « collaboration » : nature et destin politique Parmi les écrivains qui figuraient sur la « liste noire » des collaborateurs rédigée par le Comité national des écrivains au moment de la Libération, Jean Giono reste, pour beaucoup, un des « cas » les plus ambigus ou, du moins, les plus discutés. Pour ses défenseurs, au moment de l'occupation allemande, Giono a tout simplement continué dans la voie d'un pacifisme qu'il avait défendu avec acharnement depuis bien des années. Auteur de plusieurs textes pacifistes pendant les années 1930, il a donné en 1938, avec Alain, son appui aux accords de Munich. Deux ans plus tard, il ne pouvait qu'approuver un Vichy qui « apportait la paix ». Comme on le sait bien, Giono ne fut pas le seul pacifiste trompé par le nouveau régime1... En revanche, ceux qui le condamnent constatent que Giono était admiré par les nazis aussi bien que par les idéologues de Vichy. Le «néoprimitivisme» ou le « tarzanisme » 2 de son œuvre d'avant- guerre suscitait un vif respect chez l'occupant, qui le fêtait dans ses publications officielles. Sa photographie figurait sur le catalogue de la Librairie allemande à Paris3 et, en mars 1943, le magazine allemand Signal a consacré un article élogieux à l'écrivain provençal4. Quelques mois plus tard, un autre article dans Signal a affirmé à tort que c'était l'Allemagne nazie, et non la France, qui 0 MOCL, Texas A&M University, College Station, Texas, 77843, USA. 1. Pour les rapports entre le pacifisme d'avant-guerre et la collaboration, cf. Pascal Ory, Les collaborateurs. 1940-1945, Paris, Le Seuil, 1976, p. 27-35 2. Le terme « tarzanisme » a été appliqué à l'œuvre de J. Giono dans les années 1930 par Henri Polies dans L'opéra politique, Paris, Gallimard, 1937, p. 207. 3. Pierre Hebey, La Nouvelle Revue française des années sombres. 1940-1941, Paris, Gallimard, 1992, p. 349. 4. Ibid., p. 348. 86 Mots, 54, mars 98, p. 86 à 95 avait apprécié son talent en premier1. Non contents de célébrer l'écrivain à distance, les Allemands ont aussi essayé plus d'une fois de le faire venir aux Congrès des écrivains de l'Europe à Weimar. J. Giono s'est esquivé, non sans exprimer une reconnaissance apparemment sincère2. Quant aux idéologues de Vichy — pour eux comme pour beaucoup d'« ultras» à Paris — la célébration de la vie paysanne, de la nature et de la Provence dans les romans de J. Giono convenaient parfaitement aux thèmes majeurs de la Révolution nationale, c'est-à-dire au « retour à la terre » et à l'importance des régions du pays comme autant de lieux privilégiés de la « France éternelle ». Ses dénonciations de la décadence de la vie moderne et surtout des grandes villes, exprimées dans ses essais d'avant- guerre aussi bien que dans Triomphe de la vie, œuvre majeure de l'Occupation, plaisaient aussi aux réactionnaires pétainistes qui rêvaient d'un passé qui, comme Philippe Burin l'a bien souligné, n'a jamais vraiment existé3. Le culte que les fidèles de la Révolution nationale vouaient à J. Giono se manifestait de plusieurs façons. Sa pièce, Le Bout de la route, a connu un succès remarquable au théâtre des Noctambules pendant l'Occupation, avec plus de neuf cents représentations entre juin 1941 et mai 19444. Une partie des frais de production était payée par Vichy, et l'un des porte-parole du régime, Alfred Fabre- Luce, exprimait son enthousiasme pour la pièce et surtout pour son auteur, en appelant celui-ci un « dieu » dont le message était reçu «avec une sorte de piété» par le public parisien5. Étant donné le succès de l'œuvre théâtrale de J. Giono et surtout de son « message », il n'est pas surprenant que la troupe officielle du ministère de l'Éducation s'appelle «Le Regain»6, nom tiré du célèbre roman de Giono publié en 1930. J. Giono était aussi admiré par la presse collaborationniste à Paris. La Gerbe d'Alphonse de Chateaubriant publiait régulièrement des panégyriques de l'homme et de son œuvre. Lors de sa visite 1. Gérard Loiseaux, La Littérature de la défaite et de la collaboration, Paris, Fayard, 1995, p. 577. 2. Philippe Burin, La France à l'heure allemande, Paris, Le Seuil, 1995, p. 354- 355. 3. Philippe Burin, « Vichy » dans Pierre Nora, Les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1992, tome 3, p. 337. 4. Serge Added, Le Théâtre dans les années Vichy, Paris, Ramsay, p. 277. 5. Alfred Fabre-Luce, Journal de la France II (août 1940 — avril 1942), Paris, Imprimerie JEP, p. 196. 6. Serge Added, Le Théâtre dans les années Vichy, p. 305. 87 à Paris en mars 1942, à l'occasion de la publication de Triomphe de la vie, Giono a été fêté par presque toute la presse collabora- tionniste. Comme le souligne son biographe, Pierre Citron, le nom de J. Giono était « trois semaines de suite en tête de la première page de Comœdia»1. Dans un article sur Giono publié le 19 mars dans La Gerbe, l'auteur, Marius Richard, décrit son sujet comme un « berger » du peuple français. Presque seul parmi ces voix d'adulation, Robert Brasillach osait offrir une critique assez dure de Triomphe de la vie et de son auteur dans Je suis partout : « M. Giono pense, nous n'y pouvons rien»2. Il est bien sûr injuste de condamner un écrivain et son œuvre sous prétexte qu'on trouve choquants les gouts politiques et idéologiques de ses admirateurs qui croient les retrouver dans les écrits de l'auteur en question. C'est ainsi que Pierre Citron essaie de racheter J. Giono en constatant que l'admiration des pétainistes et des nazis ne prouve rien quant à sa propre orientation politique ni quant aux valeurs inscrites dans son œuvre. Selon P. Citron, J. Giono était plutôt résistant (sa pièce Le Voyage en calèche a été refusée par la censure allemande) et, de toute façon, « il n'a pas écrit un mot en faveur des occupants ou de Vichy » 3. A propos du « message » de l'écrivain, P. Citron affirme que l'on ne pourrait le condamner que par anachronisme, parce que J. Giono l'avait d'abord exprimé tout innocemment — et dans un contexte historique et idéologique complètement différent — dans des œuvres publiées avant l'arrivée au pouvoir d'Hitler et de Pétain. L'analyse de P. Citron témoigne d'une générosité d'interprétation qui, à beaucoup d'égards, n'est malheureusement guère valable. D'abord, des études publiées récemment, aussi bien que la biographie de P. Citron lui-même, font le bilan d'activités et de commentaires de l'écrivain sur l'occupant et sur Vichy pendant l'Occupation qui sont pour le moins compromettants. A Paris, en mars 1942, c'est J. Giono lui-même qui a pris contact avec les autorités allemandes, avec lesquelles il a entretenu des relations bien cordiales. Parmi les Allemands, Gerhard Heller le trouvait « " extrêmement bien disposé " envers la collaboration » 4. Mais les détails des rencontres occasionnelles avec l'occupant 1. Pierre Citron, Giono. 1895-1970, Paris, Le uploads/Politique/ jean-giono-et-la-collaboration-nature-et-destin-politique-article-richard-golsan-pdf.pdf

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