1 Représentation politique (article en ligne : www.dicopo.fr) La polysémie du c
1 Représentation politique (article en ligne : www.dicopo.fr) La polysémie du concept de représentation L’une des difficultés que l’on rencontre lorsque l’on s’essaie à déterminer l’essence de la représentation est la polysémie du terme même. Un ouvrage de référence, celui de Hanna Pitkin (Pitkin, 1967), s’attache à dénombrer ses acceptions qui lui paraissent le plus souvent incompatibles entre elles. Hanna Pitkin, implicitement, prend pour critère le sens commun ou les attentes communes à l’égard de la représentation, politique ou non. Elle distingue les compréhensions « formelles » de la représentation, parmi lesquelles la théorie de l’autorisation, évidemment illustrée par Hobbes, mais aussi par la théorie allemande de l’organe d’Etat – qui fut reprise, pour son explication de la tradition représentative mise en œuvre en France en 1791, par Carré de Malberg (Carré de Malberg, 1921)-, ou encore la « théorie de la démocratie représentative », qui prend pour critère de la représentation l’élection. Il faut y ajouter ce que l’on pourrait traduire par la « théorie de la reddition de comptes » (accountability), selon laquelle la représentation est caractérisée par la responsabilité de celui qui est censé agir pour le compte d’un autre. A ces approches formelles, Hanna Pitkin juxtapose deux conceptions de la représentation, la descriptive, dont le trait caractéristique est la ressemblance du représentant et du représenté et non l’autorité que le premier a sur le second ni l’obligation de lui rendre des comptes, et la « symbolique », où Hanna Pitkin entend à la fois un rapport irrationnel entre représenté et représentant, et la faculté du représentant de figurer l’unité de la communauté en vertu de son emprise sur les gouvernés. Hanna Pitkin cherche par ailleurs à caractériser l’action du représentant, qui consiste autant à parler pour autrui qu’à agir à sa place ou rechercher son intérêt, et rappelle la controverse des débuts du gouvernement représentatif, entre mandat impératif et indépendance du représentant ; l’un et l’autre sont des pôles entre lesquels se tient la représentation politique, avec aucun desquels elle ne peut s’identifier complètement : tout à fait indépendant, le représentant devient un oligarque, astreint à un mandat impératif strict, il est un simple instrument aux mains des représentés. La conclusion à laquelle parvient Hanna Pitkin, selon laquelle le concept de représentation est irréductiblement polysémique et ses usages sans rapport les uns avec les autres, est peut-être être due à son projet même, qui consiste à tenter de caractériser son essence à partir du sens commun ou de la variété des usages du terme. Plutôt donc que de 2 tenter de déterminer ce concept à partir de ses usages empiriques, on veut ici tenter la démarche inverse. Il s’agit dès lors de comprendre les pratiques de la représentation à la lumière du dispositif mis en œuvre à la fondation du gouvernement représentatif, qui se caractérise par quelques uns des traits essentiels du concept de la représentation politique élaboré par Hobbes à l’Age classique, autant que par les éléments propres à la pensée libérale des fondateurs. Ce dispositif nous paraît déterminer la structure du gouvernement représentatif, et ce sont ses failles qui, nous semble-t-il, permettent de comprendre les transformations de sa pratique. De sorte que, largement tributaire de ce que Hanna Pitkin nomme la « théorie de l’autorisation », il n’est pas pour autant exclusif des autres acceptions du terme qu’elle distingue, celles de la reddition de comptes, de la représentation descriptive et de la figuration symbolique, notamment. Si l’aspect symbolique de la représentation n’est pas incompatible avec la notion d’ordre juridico-procédural de l’autorisation, les autres approches de la représentation sont justement requises par les critiques adressées à l’exercice de la représentation politique en exercice, qui s’en prennent au fond à l’abstraction du dispositif philosophico-juridique mis en place aux origines. C’est ce dispositif qu’il s’agit de qualifier par ses traits essentiels. Le concept philosophico-juridique de la représentation politique La représentation politique a partie liée avec le libéralisme politique ; les grands théoriciens du gouvernement représentatif, de Siéyès à Constant en passant par Madison, le conçoivent comme le seul régime adéquat à la nécessaire séparation des sphères sociale et politique, privée et publique, en tant qu’elle permet aux individus de poursuivre leurs fins privées (Siéyès, 1985, Clavreul, 1987, Constant, 1997) en même temps qu’elle constitue une médiation indispensable aux passions et aux intérêts particuliers (Madison, 1957). La représentation a donc d’abord une justification fonctionnelle : elle laisse le loisir aux individus de vaquer à leurs affaires. Cette première justification est cependant indissociable d’un autre objectif, qui ressortit à la problématique contractualiste: si le bonheur est désormais affaire personnelle, au lieu que le bien-vivre des Anciens ne se pensait que dans le cadre de la cité, il en résulte, d’une part, que le pouvoir a pour tâche d’organiser la coexistence des fins privées, d’autre part que l’unité du corps politique n’est plus donnée, puisque les fins ne sont plus naturellement pensées sur le mode de la communauté. Elle doit donc être construite. Ainsi se comprend le caractère constructiviste de la théorie de la représentation politique, hérité du contractualisme, chez les fondateurs du gouvernement représentatif, notamment français. 3 Ainsi, l’élément le plus frappant de la doctrine juridique de la représentation que Siéyès, en France, a en partie inspirée, et que l’on retrouve dans beaucoup de traditions juridiques, est le caractère non préexistant de l’objet de la représentation. La volonté nationale ne précède pas son expression par les représentants : le refus du mandat impératif qui s’impose quasi universellement témoigne de ce que le gouvernement représentatif a vocation à représenter une volonté une, qui risquerait d’être contredite par la dépendance de l’élu vis-à-vis du collège particulier de ses électeurs. L’indépendance du représentant va de pair avec cette conception de la représentation politique selon laquelle son objet ne lui préexiste pas ; la pensée de Siéyès, en France, celle de Burke en Grande-Bretagne, celle aussi des Fédéralistes américains ne laissent pas de doute à ce sujet. La question de l’indépendance du député, à laquelle Hanna Pitkin consacre un chapitre de son ouvrage, est indissociable de la fonction d’invention de l’unité sous l’espèce d’une volonté une, assignée au gouvernement représentatif. Les fondateurs du gouvernement représentatif ont ce faisant transposé la fonction d’expression de l’unité, du roi auquel elle appartenait sous l’Ancien Régime, aux députés élus, mais il n’était pas question que la représentation nationale prétendît exprimer une quelconque unité précédente comme cela avait pu être le cas dans certaines théories politiques anciennes où le roi incarnait son royaume ; l’unité en question devait être inventée sans aucun rapport avec les volontés particulières des individus. Sur la base de ce premier constat, il devient évident que la philosophie a, elle aussi, quelque chose à dire de la représentation politique. Avec l'émergence de la figure de l'ego cogito s'est en effet trouvé bouleversé le rapport de l'homme au monde, qui a cessé d'être donné pour devoir désormais être construit en tant qu'il est mis en perspective par le sujet pensant. S’il est donc un rapport entre la représentation comme rapport au monde et la représentation politique, c’est bien que l’une et l’autre constituent l’objet qu’elles représentent. De fait, l’une des philosophies où s’accomplit la rupture avec l’aristotélisme, celle de Hobbes, fournit en même temps l’une des premières conceptualisations de la représentation politique selon laquelle le corps politique ne préexiste pas à sa représentation sous l’espèce d’une volonté une (Hobbes, 1971). L’unité des sujets du pouvoir y est donc une donnée extérieure à leur existence propre. Cette nouvelle conception de l’unité du corps politique, selon laquelle elle est reçue par les individus d’un Représentant-Léviathan, nous paraît résulter d’une longue histoire, qui n’est autre que celle du passage de l’ordre politique ancien à l’ordre politique moderne et dont le moment crucial est la fin de l’ancrage en nature de la communauté politique : le lien social était en effet pensé, dans la tradition aristotélicienne remaniée par le christianisme, et principalement le thomisme, comme une donnée naturelle, en raison de fins 4 communes qui unissaient les individus. Partant, le pouvoir ne faisait que les accomplir, et se fondait sur une communauté antécédente. La perte de cette fondation en nature de la communauté politique, sous l’effet notamment du nominalisme, et singulièrement, des pensées de Duns Scot et Guillaume d’Occam, auxquelles on peut faire remonter la genèse de la représentation (Mineur, 2004), a entraîné la ruine de l’évidence du lien social : les individus ne sont désormais plus pensés sous la détermination d’une nature commune, et l’unité de destination et de volonté autant que l’allégeance à un pouvoir commun deviennent l’objet d’une représentation. En effet, l’unité de la communauté est réduite à une représentation subjective, pur devoir-être, dès lors qu’elle n’est plus inscrite dans l’être même de l’homme, vouée à se réaliser en chacun selon sa destination propre. Le social est désormais pensé comme le lieu de confrontation d’individus animés par des fins, des valeurs et des intérêts différents, que ne sous-tend plus la cohésion profonde d’une destination commune à tous, dictant à chacun sa place dans l’ordre social et uploads/Politique/ la-representation-politique.pdf
Documents similaires










-
32
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Fev 03, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2794MB