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Revista Fevereiro POLÍTICA TEORIA CULTURA ISSN 2236-2037 1 www.revistafevereiro.com Le néolibéralisme, un système hors-démocratie « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens » Jean-Claude Juncker, Le Figaro, 29 janvier 2015 Pierre Dardot et Christian Laval Les défaites du mouvement social se sont accumulées ces dernières années, l’arrogance dogmatique des dirigeants politiques et des dominants en général est de plus en plus manifeste, la certitude que la seule politique à mener est celle des « réformes » néolibérales est assez largement partagée parmi les économistes du mainstream. Le néolibéralisme n’est pas mort et n’est peut-être pas près de mourir. À l’évidence, il se renforce et se radicalise. Aucune crise ne le freine. Au contraire, il se renforce au fur et à mesure des désastres qu’il engendre. C’est la triste leçon que l’on est bien obligé de tirer des années qui nous séparent du paroxysme de la grande crise de 2008. Juste après son déclenchement, un certain nombre d’observateurs ou de responsables politiques d’horizons différents avaient décrété que « le néolibéralisme était mort ». C’était par exemple le thème de l’article célèbre de Joseph Stiglitz de juillet 2008 intitulé « La fin du néolibéralisme », titre qui faisait écho au fameux texte de Keynes, « La fin du laisser faire », écrit en 1926. A quatre-vingt deux ans de distance, la critique de Stiglitz était à peu près la même : le marché laissé à lui seul conduit toujours à une mauvaise allocation des ressources, à la spéculation, à la crise. Si l’on peut être d’accord avec le constat de l’échec du néolibéralisme, on ne peut qu’être en désaccord avec la conclusion qu’en tirait Stiglitz, à savoir que le « bénéfice de la crise mondiale » consisterait dans le congé définitif donné au « fondamentalisme de marché ». On s’aperçoit aujourd’hui que la crise n’a encore apporté aucun bénéfice de ce genre et que l’on a plutôt assisté à une radicalisation des politiques néolibérales. La question est donc de savoir pourquoi la crise de 2008 n’a pas débouché sur une mise en question du néolibéralisme, comme le pensait Stiglitz, (avec beaucoup d’autres). Pour poser la question autrement, il nous faut nous demander pourquoi l’analogie avec les années 20 Revista Fevereiro POLÍTICA TEORIA CULTURA ISSN 2236-2037 2 www.revistafevereiro.com et 30 ne semble pas pertinente, du moins jusqu’à présent. C’est là une question majeure qui n’a pas encore été résolue. Nous ne voulons évidemment pas en conclure à une quelconque éternité du néolibéralisme. On peut même penser que la rigidité propre au système économico-politique du néolibéralisme remet à l’agenda des sociétés l’impératif révolutionnaire bien compris, celui d’une auto-institution de la société. Il importe d’abord de nous interroger ici sur le caractère systémique du dispositif néolibéral qui rend toute inflexion des politiques menées difficile, voire impossible. En réalité, nous n’avons plus affaire seulement à des « politiques néolibérales » dans le cadre d’un régime politico-économique qui pourrait accepter des politiques différentes, par exemple sociales-démocrates au sens le plus traditionnel du terme. Nous avons affaire à un système néolibéral mondial qui ne tolère plus d’écart par rapport à un programme de transformations qui vise à le renforcer toujours plus. Ce système néolibéral nous fait entrer dans l’ère postdémocratique. Trois interprétations de la radicalisation néolibérale L’Europe offre depuis 2010 le spectacle particulièrement instructif de cette radicalisation néolibérale : alors que les politiques d’austérité ont démontré leur échec, elles continuent d’être imposées au prétexte qu’il n’y a aucune autre solution pour les Etats que de rembourser les dettes publiques jusqu’au dernier euro dû. Par un formidable tour de passe- passe, en confondant l’effet et la cause, « l’État surendetté » a été désigné comme le premier responsable de tous les malheurs des sociétés. Et les conséquences de l’austérité - effets récessifs massifs sur l’activité économique, faible croissance, chômage, baisse des revenus -, ont été l’occasion d’imposer une série de « réformes structurelles » visant à déréguler le marché du travail, à accroître les profits et à protéger les hauts revenus. Tout s’est passé comme si la crise financière de 2008 avait permis l’accentuation et l’accélération du programme néolibéral. La supposée « recherche de la croissance » sert aujourd’hui encore de prétexte pour appliquer les mesures les plus régressives socialement, à augmenter les avantages accordés au capital, à passer les accords commerciaux internationaux les plus favorables aux grandes entreprises. Les Revista Fevereiro POLÍTICA TEORIA CULTURA ISSN 2236-2037 3 www.revistafevereiro.com explications chargées de rendre compte de cette radicalisation ne manquent pas. On peut distinguer parmi elles des thèses « idéologiques », « sociologiques », « économiques » : celles qui font du néolibéralisme une doctrine qui fonctionne par imposition massive d’évidences indiscutables, celles qui font plutôt ressortir l’extraordinaire déséquilibre dans les rapports de force entre les classes et enfin celles qui montrent que les formes du nouveau capitalisme mondialisé et financiarisé sont les ressorts « profonds » des politiques mises en œuvre. Trois types différents d’explication se dégagent qu’il nous faut examiner : le déni de réalité ; le déséquilibre croissant des forces en présence ; la logique intrinsèque du capitalisme contemporain. 1) Le déni de réalité Comment expliquer que les détenteurs du monopole de la parole publique légitime, journalistes, éditorialistes, hommes politiques aient aussi rapidement occulté la crise, oublié ses facteurs et ses enchaînements, refoulé tout questionnement sur les risques d’une répétition du krach financier, fermé les yeux sur les souffrances endurées par la population et les effets politiques de la crise sociale ? Après un temps finalement assez bref d’hésitations quant à la conduite à tenir, accompagné de quelques autocritiques (on se rappelle le mea culpa d’Alan Greenspan devant les représentants américains), l’espace médiatique fut à nouveau submergé par un flot de messages identiques à ceux qui prévalaient avant la crise : il n’existe et n’existera qu’un seul système économique et ce système est fondamentalement sain. La continuation des politiques néolibérales serait donc due à la persistance de ce matraquage de la « pensée unique » des éditorialistes économiques, voire de la plupart des journalistes. Si l’on suit cette explication, les néolibéraux ont mené, par l’intermédiaire des medias, une guerre unilatérale qui leur a permis d’imposer une perception commune de la réalité (le sens commun de Gramsci). Ils n’ont pas gagné à proprement parler la « bataille des idées », car il n’y a jamais eu vraiment de « champ de bataille » entre des adversaires déclarés. Et ce ne sont d’ailleurs même pas des idées clairement exposées et articulées qui ont triomphé, car de telles idées auraient dû renvoyer à un référent dans le réel. Il s’agit plutôt d’une construction de la réalité perçue qui rend naturel, évident, fatal le cours des choses et expliquerait l’anesthésie des sociétés. Cela pourrait tenir d’abord au fait que l’économie mainstream qui justifie ces politiques néolibérales est foncièrement autiste, comme l’ont montré depuis longtemps les « hérétiques » Revista Fevereiro POLÍTICA TEORIA CULTURA ISSN 2236-2037 4 www.revistafevereiro.com de la pensée économique1. Il est frappant de remarquer que, malgré la faillite complète des thèses sur l’efficience parfaite des marchés, la théorie économique standard a été si peu entamée par cet échec et continue d’être archi-dominante dans les universités du monde entier. Lorsque certaines autocritiques sont devenues inévitables - on pense aux « erreurs » des économistes du FMI qui ont sous-estimé les effets multiplicateurs de l’austérité-, elles n’ont été suivies d’aucune révision des politiques désastreuses menées en Europe. En ce sens, les néolibéraux sont bien des « fondamentalistes », pour reprendre la formule de Stiglitz, enfermés dans le carcan d’une doctrine dogmatique qui les rend imperméables au réel. Cet enfermement volontaire pourrait bien tenir aussi au caractère révolutionnaire du néolibéralisme, sur lequel Pierre Bourdieu mettait l’accent. La « révolution conservatrice » néolibérale consistait, selon lui, à réaliser une utopie aux allures scientifiques, celle du marché autorégulé2. Cette utopie a son dynamisme propre, ses effets d’emballement et d’aveuglement. Les échecs ne sont jamais que des insuffisances et des inachèvements dans l’application du modèle de société qui encouragent à « aller plus loin et plus vite » dans la réalisation du rêve utopique. En un mot, les néolibéraux sont des promoteurs d’une « révolution conservatrice permanente » immunisée contre toutes les épreuves du réel et qui ne voit dans les échecs que des raisons d’une radicalisation croissante. 2) Le déséquilibre croissant du rapport des forces La crise n’est pas tant un facteur qui hâte la venue de la révolution, comme Marx l’a parfois pensé, qu’un moyen de renforcer le pouvoir des dominants parce qu’elle permet de transférer le coût de sa « résolution » (en réalité de sa perpétuation) sur les classes populaires et salariées. Inutile de voir là une stratégie délibérée, voire un complot. La crise permet de créer un volant de main d’œuvre disponible et une insécurité sociale générale qui disciplinent le salariat, le désorganisent, l’empêchent de résister à la démolition de ses acquis. Au fond la crise, même si elle n’a pas été délibérément provoquée, est devenue, une fois déclenchée, un formidable instrument qui sert les uploads/Politique/ le-neoliberalisme-un-systeme-hors-democratie.pdf
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- Publié le Nov 16, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
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