10/08/2018 Le Maroc au présent - Les langues au Maroc : réalités, changements e
10/08/2018 Le Maroc au présent - Les langues au Maroc : réalités, changements et évolutions linguistiques - Centre Jacques-Berque https://books.openedition.org/cjb/1068?lang=fr 1/31 Centre Jacques- Berque Le Maroc au présent | Baudouin Dupret, Zakaria Rhani, Assia Boutaleb, et al. Les langues au Maroc : réalités, changements et évolutions linguistiques Karima Ziamari et Jan Jaap De Ruiter p. 441-462 10/08/2018 Le Maroc au présent - Les langues au Maroc : réalités, changements et évolutions linguistiques - Centre Jacques-Berque https://books.openedition.org/cjb/1068?lang=fr 2/31 1 2 3 4 Texte intégral Quand le plurilinguisme l’emporte La question linguistique au Maroc demeure au cœur des polémiques les plus passionnées. Elle est non seulement extrêmement sensible, mais elle connaît également des évolutions importantes et se trouve au centre d’enjeux importants. Cette contribution se veut une revue des principales transformations inhérentes à la question linguistique au Maroc depuis une dizaine d’années. Dans un premier temps, nous présenterons la situation générale. Nous exposerons, ensuite et plus précisément, les langues en présence soumises à des enjeux sociaux et politiques. Enfin, nous aborderons les aspects sociaux qui sous-tendent l’évolution des pratiques langagières. Plusieurs langues et variétés linguistiques coexistent actuellement au Maroc, ce qui lui confère le statut d’État plurilingue (Benítez-Fernandéz, Miller, de Ruiter et Tamer 2013 ; Messaoudi 2013, de Ruiter et Ziamari, à paraître). Ces langues sont l’arabe standard, l’arabe marocain ou darija, l’amazigh, le français, l’anglais et l’espagnol ; elles ne sont pas en usage ou reconnues par les institutions de manière équivalente. Le Maroc a connu dernièrement un changement sans égal en termes de politique linguistique. La nouvelle Constitution, approuvée par référendum en juillet 2011, a revu le statut des langues. Alors que toutes les versions des constitutions précédentes ne reconnaissaient qu’une seule et unique langue officielle, l’arabe, celle de 2011 fait exception : « L’arabe demeure la langue officielle de l’Etat. L’Etat œuvre à la protection et au développement de la langue arabe, ainsi qu’à la promotion de son utilisation. De même, l’amazigh constitue une langue officielle de l’Etat, en tant que patrimoine commun à tous les Marocains sans exception (extrait de l’article 5). » Les deux langues ne sont toutefois pas officialisées au même niveau : l’arabe est « la » langue officielle, tandis que l’amazigh est « une » langue officielle. La distinction entre la langue officielle et une langue officielle agace certains 10/08/2018 Le Maroc au présent - Les langues au Maroc : réalités, changements et évolutions linguistiques - Centre Jacques-Berque https://books.openedition.org/cjb/1068?lang=fr 3/31 5 6 7 L’arabe standard : l’arabe que l’on ne parle pas 1 militants amazighs (Oiry-Varacca, 2012). De plus, le terme « patrimoine » relève du registre symbolique. L’amazigh est figé dans l’idée d’un héritage que partagent les Marocains. Par ailleurs, l’amazigh attend une loi organique pour la mise en pratique de son officialisation : « Une loi organique définit le processus de mise en œuvre du caractère officiel de cette langue, ainsi que les modalités de son intégration dans l’enseignement et dans les domaines prioritaires de la vie publique (extrait de l’article 5). » La Constitution s’est également positionnée par rapport aux autres variétés en usage. Il est question pour l’État de préserver le hassani, la langue parlée au sud du Maroc et en Mauritanie, et de protéger les parlers pratiqués. Par ailleurs, l’État reconnaît l’intérêt de l’apprentissage et de la maîtrise des langues étrangères : « L’Etat œuvre à la préservation du hassani, en tant que partie intégrante de l’identité culturelle marocaine unie, ainsi qu’à la protection des parlers et des expressions culturelles pratiqués au Maroc. De même, il veille à la cohérence de la politique linguistique et culturelle nationale et à l’apprentissage et la maîtrise des langues étrangères les plus utilisées dans le monde […] (extrait de l’article 5). » Ce qui constitue l’avancée de la nouvelle Constitution est la reconnaissance, aussi minime soit-elle, de certaines langues vernaculaires ou maternelles, ce qu’aucune autre Constitution n’avait fait auparavant (Benítez-Fernandéz, Miller, de Ruiter et Tamer, 2013, p. 24), même si elle ne nomme pas explicitement la darija. Par conséquent, ce texte admet une certaine diversité linguistique, en phase avec la réalité du pays. C’est « la » langue officielle quoique l’on ne lui accole pas souvent d’adjectif. En effet, l’épithète est polémique et « idéolinguistique » (Larcher, 2008). Langue non vernaculaire, l’arabe standard, littéral, littéraire ou même fusḥa, a toujours récolté tout le prestige dont sont dépourvues certaines autres langues au Maroc, notamment 10/08/2018 Le Maroc au présent - Les langues au Maroc : réalités, changements et évolutions linguistiques - Centre Jacques-Berque https://books.openedition.org/cjb/1068?lang=fr 4/31 8 9 10 l’arabe marocain. D’abord, c’est une langue écrite, et ce caractère scripturaire lui donne un pouvoir particulier allant dans le sens d’une « hiérarchisation statutaire des langues » fondée sur « langues écrites versus langues orales » (Miller, 2011, p. 60). Ce qui renforce le rapport diglossique avec l’arabe marocain ou la darija. Ensuite, c’est la langue de la domination sociale et politique, des discours officiels, celle de l’élite, celle qui représente la norme. L’arabe standard « n’est la langue naturelle d’aucun Marocain » (Aboulkacem, 2005, p. 241) dans la mesure où il n’a pas de locuteurs natifs puisqu’on l’apprend généralement à l’école. Pourtant, cette langue est présente dans plusieurs domaines. Elle est la langue de l’enseignement, du primaire au supérieur, dans la plupart des filières. Elle est aussi la langue des médias, de la presse et de l’administration. C’est la langue du sacré, de l’islam, de la prière et des rituels religieux. (Grandguillaume, 2004 ; de Ruiter, 2006), celle de « la révélation » et de « Dieu » (Cohen, 2011, p. 249). En tant que langue dominante, l’arabe standard jouit ainsi de l’argument du sacré et du religieux comme de l’argument politique. L’idéologie dominante relative à cette langue, issue du panarabisme, est celle de l’arabisation. Par « besoin d’authenticité » (Grandguillaume, 2004), de promouvoir une identité arabe loin de la colonisation, les nationalistes panarabes se sont engagés dans la défense et la promotion de cette langue. Ainsi, « l’arabe renvoyait à l’authenticité marocaine et à l’unité nationale à travers des argumentations à caractère religieux (l’arabe est la langue sacré du Coran), idéologique (le panarabisme), culturel (l’appartenance historique à la communauté arabo- musulmane), politique (la force unificatrice nationale de la langue) » (de Poli, 2005, p. 15). Le modèle jacobin calqué sur L’Etat-nation prime et le linguistique croise l’idéologique. Et « tout plaidoyer en faveur du dialecte est une attaque contre l’islam et contre la nation arabe » (Larcher, 2008, p. 30). Cette situation que l’on pensait immuable et fixe et où l’arabe standard s’est imposé en écrasant la darija a duré pendant des décennies. Celle-ci sort pourtant de sa marginalisation. 10/08/2018 Le Maroc au présent - Les langues au Maroc : réalités, changements et évolutions linguistiques - Centre Jacques-Berque https://books.openedition.org/cjb/1068?lang=fr 5/31 11 12 13 14 L’arabe marocain : la voie de la « démarginalisation » L’arabe marocain, dialectal ou darija, est la langue maternelle et « naturelle » des arabophones au Maroc (Benítez-Fernandéz, de Ruiter et Tamer, 2010). Il existe différentes variétés régionales de darija, ce qui lui confère une vitalité importante. La darija constitue la langue de communication dans les sphères privées et informelles.Elle joue également le rôle de langue véhiculaire entre arabophones et berbérophones. Elle est aussi langue littéraire (comme le Melhoun, le théâtre et les proverbes) et de création actuelle (comme dans la musique et le cinéma). La darija n’a jamais bénéficié d’un statut clair et précis dans les textes officiels, et, même dans la dernière Constitution, l’on réfère aux « parlers et aux expressions culturelles pratiquées » sur le territoire marocain. Pourtant, cette langue a gagné énormément en prestige. Cela est sans doute dû au fait que les représentations attachées à la darija ont évolué positivement. En effet, la darija a gagné du terrain sur plusieurs plans : de l’éducatif au religieux, du privé au public, de l’artistique au culturel, du politique au virtuel. En bref, la darija est beaucoup plus visible qu’elle ne l’était avant. C’est « l’hebdomadaire francophone Telquel et son numéro 34 de 2002 intitulé “Darija notre langue nationale” qui a lancé sur la place publique le débat de façon relativement spectaculaire » (Miller, à paraître). Le débat a été amorcé et a suscité des réactions comme la création en 2006 de l’hebdomadaire Nichane, écrit en partie en darija et en graphie arabe. Nichane n’est pas la première tentative de journal écrit en darija. A titre d’exemple, on citera les journaux Khbar Bladna et Al-Amal. Cependant, Nichane est l’hebdomadaire « par qui le scandale arrive ». Le fameux dossier sur les blagues marocaines a eu de lourdes conséquences et a coûté au journal une interdiction par décision du Premier ministre, quelques mois seulement après son lancement. Avec Nichane, nous relevons deux processus assez importants : le premier, c’est donc l’emploi, même partiel, de 10/08/2018 Le Maroc au présent - Les langues au Maroc : réalités, changements et évolutions linguistiques - Centre Jacques-Berque https://books.openedition.org/cjb/1068?lang=fr 6/31 15 16 l’arabe marocain ; le second, c’est que le passage à l’écrit en uploads/Politique/ les-langues-au-maroc-realites-changements-et-evolutions-linguistiques.pdf
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- Publié le Jan 01, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
- Langue French
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