Extrême-Orient, Extrême- Occident L'art de la persuasion à l'époque des Royaume
Extrême-Orient, Extrême- Occident L'art de la persuasion à l'époque des Royaumes Combattants (Ve-IIIe siècles avant J.-C.) Jean Levi Résumé Ce texte présente les contextes socio-politique et intellectuel dans lesquels se sont épanouis les discours sophistes en Chine entre le Ve et le IIIe siècles avant notre ère. Il analyse de plus ces productions, dont il donne quelques échantillons, en relation avec les textes contemporains leur prescrivant des techniques rhétoriques particulières. Visant en général à élucider l'avenir, ces discours recourent fréquemment à la métaphore, l'analogie, l'exemple, la citation, ce qui amène l'auteur à discuter de leur fonctionnement au sein du discours, en relation avec le Yijing. Il montre que la conception du réel comme constitué de niveaux en correspondance les uns avec les autres répond à ce type d'argument, qui s'appuie sur la valeur générale du particulier. La conclusion décrit comment la critique de ces discours a abouti, dans les ouvrages des légistes, non pas à l'émergence d'un nouveau genre de discours, mais à la promotion des techniques efficaces. Citer ce document / Cite this document : Levi Jean. L'art de la persuasion à l'époque des Royaumes Combattants (Ve-IIIe siècles avant J.-C.). In: Extrême-Orient, Extrême-Occident, 1992, n°14. Regards obliques sur l'argumentation en Chine. pp. 49-89. doi : 10.3406/oroc.1992.963 http://www.persee.fr/doc/oroc_0754-5010_1992_num_14_14_963 Document généré le 16/10/2015 Extrême-Orient - Extrême-Occident 14 - 1992 L'art de la persuasion à l'époque des Royaumes Combattants (Ve-me siècles av. J.C) Jean Levi Résumé : ce texte présente les contextes socio-politique et intellectuel dans lesquels se sont épanouis les discours sophistes en Chine entre le V° et le 111° siècles avant notre ère. Il analyse de plus ces productions, dont il donne quelques échantillons, en relation avec les textes contemporains leur prescrivant des techniques rhétoriques particulières. Visant en général à élucider l'avenir, ces discours recourent fréquemment à la métaphore, l'analogie, l'exemple, la citation, ce qui amène l'auteur à discuter de leur fonctionnement au sein du discours, en relation avec le Yijing. Il montre que la conception du réel comme constitué de niveaux en correspondance les uns avec les autres répond à ce type d'argument, qui s'appuie sur la valeur générale du particulier. La conclusion décrit comment la critique de ces discours a abouti, dans les ouvrages des légistes, non pas à l'émergence d'un nouveau genre de discours, mais à la promotion des techniques efficaces. 1. L'éloquence : chevaux, perles et concubines En Chine, le véritable enseignement, celui qui est porteur de sagesse, ne se diffuse pas tant au moyen du langage que du geste ; et quand il y a parole, elle exerce son pouvoir persuasif de façon invisible. S 'abolissant alors dans la gratuité de son sens, elle ne vaut plus comme exposition raisonnée, mais, prise dans une chorégraphie existentielle, se pose en modèle de comportements. C'est dire qu'elle se fait rite l. Le rite, pendant et substitut de ce qu'est la parole en Occident, est chargé par la tradition confucéenne d 'une valeur structurante primordiale 2. Réplique et véhicule privilégiés des lois organisatrices du cosmos, il en Jean Levi révèle, dans son déploiement symbolique, les linéaments cachés. La persuasion, qui ne vaut qu'à des fins d'éducation, s'accomplit par l'exemple. A travers le geste rituellement parfait exécuté parle Maître - qu'il soit maître d'école ou maître des hommes - c'est le ciel qui agit et exerce sa transformation civilisatrice 3. Pour diffuser dans la société l'enseignement du ciel il faut se modeler sur lui, emprunter son mode d'action spontané et irrépressible. Or ce qui caractérise le ciel, c'est qu 'il ne parle pas. Confucius était le premier à en être convaincu, lui qui laissa échapper un jour dans un soupir « J'aimerais ne pas parler » et s'en expliqua ainsi à ses disciples scandalisés : « Est- ce que le ciel parle ? et pourtant les saisons suivent leur cours et tous les êtres sont produits » \ Ne pas parler, ou tout au moins ne pas utiliser le langage pour ce que le vulgaire croit qu'il est fait, telle est la leçon essentielle. Convaincre par un discours argumenté ne constitue que ce qu'il y a de plus trivial, de plus superficiel dans la parole. Une telle parole ainsi avilie, vidée de l'indétermination cosmique propre au Too, ne reflétera jamais qu'un point de vue individuel, partiel et partial. Elle sera impropre à véhiculer l'influence transformatrice. Xun zi oppose à une parole dévaluée, sans véritable impact sur les comportements et les pensées des hommes, le rôle éducatif des gestes et des attitudes : Le sage fixe dans son coeur ce qu'il entend. Il le transmet à tous ses membres et il l'exprime dans ses attitudes. En sorte que sans vraiment parler, sans vraiment agir, il fournit la norme, le modèle sur lequel tous peuvent et doivent se calquer. Mais il en va autrement de l'homme de peu, ce qui lui rentre dans l'oreille lui sort immédiatement par la bouche, la distance entre l'oreille et la bouche n'étant que de quatre pouces, comment cela serait-il suffisant pour policer un corps de sept pieds ? 9 L'institution à demi-utopique du Palais des lumières, centre d'enseignement autant que de gouvernement à partir duquel le roi exerce son action civilisatrice sans recourir à la parole, s'inscrit dans le droit fil de cette conception. Le Souverain, ou son double, le Pédagogue, peut emporter l'adhésion parce que la vérité se trouve dans le souffle même du cosmos que propage cette parole débarrassée de toutes les scories du raisonnement 6. Dépouillée de ce qui l'institue comme discours, elle ne 50 L'art de la persuasion à l'époque des Royaumes Combattants se résume plus qu'à un pur décor - un decorum -. Fond sonore qui fait cependant entendre la musique de la raison au delà de tout sens dont le discours comme art de l'exposition raisonnée pourrait être le messager 7. La dépréciation du discours traverse toute la tradition chinoise, des taoïstes jusqu'aux plus tardifs représentants du confucianisme, tel par exemple un Wang Fuzhi, au XVII' siècle 9, Cependant, par un de ces paradoxes dont l'histoire a le secret, au moment où elle s'élabore, la conception confucéenne d'un discours qui vaudrait plus comme chorégraphie que comme argumentation joue un rôle très marginal dans la vie sociale et la pratique politique ; et au cours des trois siècles suivants, elle connut une éclipse presque totale avant de resurgir sous les Han et de s'imposer comme orthodoxie. Du V* au IIIe siècles avant notre ère, les maîtres du discours régnent en despotes. Sophistes et rhéteurs exercent une tyrannie telle que même les tenants de la suprématie du rite sur la parole, les plus fermes piliers de l'enseignement confucéen, se laissent eux aussi entraîner par les sirènes du discours. Le même Xun zi qui affirme que la parole est inférieure au geste peut déclarer ailleurs, dans un passage dévolu à la rhétorique, que l'une des qualités du sage est le don oratoire : Un sage doit nécessairement savoir argumenter. Il n'est personne parmi les hommes qui ne se complaise à disserter sur les choses qui lui tiennent à coeur, à plus forte raison le sage. Cependant tandis que l'homme de peu ergote sur des affaires d'intérêts, le sage, lui, s'étend sur la bienveillance. Quand les propos ont pour objet la bienveillance, il va sans dire que toute la supériorité revient à l'habileté oratoire et ceux qui ne savent pas s'exprimer sont inférieurs à ceux qui la possèdent, car rien n'est plus sublime que des discours conformes à la bienveillance... l0 On ne peut totalement aller contre son époque et Xun zi, homme des Royaumes Combattants, se devait d'être attentif à l'art du discours dans un monde qui se grisait de mots. . Dans ces temps incertains, la diplomatie, les intrigues et les retournements d ' alliances dominent toute la vie politique. Les luttes que se livrent les différents princes pour leur survie ou pour la suprématie favorisent la naissance d'un nouveau personnage : le sophiste. 51 Jean Levi La maîtrise de la parole y est triplement nécessaire. Nécessaire tout d'abord pourobtenirun emploi. Le politicien, lettré itinérant qui offre ses services à des princes avides de recevoir les techniques qui leur livreront la clef de la domination sur leurs rivaux, doit être versé dans l'art de charmer son auditoire, de le prendre dans les rets de son éloquence, de l'étourdir par sa faconde, n faut distraire un prince frivole du spectacle de ses femmes, de ses bouffons et de ses chevaux par l 'attrait du discours. Nécessaire aussi pour avoir le dessus dans des joutes contradictoires, faire valoir ses raisons contre ses adversaires et collègues ; imposer son point de vue aux autres conseillers. Nécessaire surtout parce que sur son maniement repose la survie des nations. Le discours est l'une des pièces maîtresses du dispositif politique de ces temps d'intrigues. Pour mener à bien ses desseins, pour conduire des ambassades et ourdir des complots, il est vital de savoir persuader en faisant passer le vrai pour le faux et le faux pour le vrai, en transformant l'argument le plus faible en preuve. Il uploads/Politique/ levi-jean-l-x27-art-de-la-persuasion.pdf
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- Publié le Dec 04, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
- Langue French
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