Le maître de demain, c’est dès aujourd’hui qu’il commande — Jacques Lacan n° 69

Le maître de demain, c’est dès aujourd’hui qu’il commande — Jacques Lacan n° 692 – Mardi 9 mai 2017 – 19 h 30 [GMT + 2] – lacanquotidien.fr Ruses de l’histoire par Philippe De Georges Quand on n’y voit plus clair, en politique, il faut faire ce à quoi Machiavel nous invite : prendre un peu de champ. Ce nouveau point de vue permet de déceler les lignes de fuite et les points de convergence. Toute cette année, nous avons assisté au chamboulement des repères qui étaient jusque là familiers. Il y avait un certain temps que les mythes du progrès et des lendemains qui chantent avaient déserté ce monde. Mais soudain, plus rien ne se passait comme nous l’attendions. Les anciennes dictatures effondrées laissaient place à des régimes aussi peu démocratiques. Vieilles lunes et religions faisaient retour sous leurs formes les plus éculées. Les « peuples » semblaient se vouer à de nouveaux tsars et de nouveaux tyrans. Puis vinrent les élections, dans cette part du monde où elles ont encore cours. Et ce fut d’Ankara à Washington, du Caire à Moscou, d’Athènes à Amsterdam le déferlement de vagues populistes. Populisme de droite ici, dans les pays les plus nantis et où l’état providence paraît coûteux à la classe moyenne, populisme de gauche là, où l’état providence n’existe pas. Comment « comprendre », et comment « réagir » ? Une réflexion d’une personne dont les avis me semblent en général pertinents me mit la puce à l’oreille : « La démocratie ne convient plus au(x) peuple(s)… » Fallait-il entendre que les électeurs aspiraient soudain à des pouvoirs autoritaires plutôt qu’au système tempéré installé en Occident depuis l’après-guerre ? Loin d’embrasser le modèle de nos démocraties parlementaires, les États libérés du joug communiste ou des dictatures fascistes se donnaient à des chefs douteux, tandis que nos vieilles démocraties elles-mêmes semblaient s’être lassées des temps de tempérance. Mais la phrase peut aussi s’entendre autrement : les peuples ne mériteraient plus la démocratie ; ils auraient le goût du knout, en somme. Le triomphe des Erdogan, Poutine ou Trump ne plaide pas en faveur de la clairvoyance populaire et ne témoigne pas du goût pour le débat civilisé ! Cependant, ce à quoi nous assistons peut justifier une autre lecture. De quoi ces votes populistes sont-ils le symptôme, en effet ? Si quelque chose est commun à l’effondrement des partis traditionnels, de la droite républicaine comme de la gauche démocratique, aussi bien en Grèce qu’en Espagne, en France qu’en Italie, n’est-ce pas tout simplement la fin d’un régime politique ? La comparaison avec les années 1930 est celle qui vient le plus souvent à l’esprit. Mais une autre comparaison peut être prise en compte, qui concerne les années 1957-58, soit l’effondrement de la IV e République. La France d’aujourd’hui n’a pas grand-chose à voir avec celle de cette époque, où les HLM n’avaient pas encore poussé dans le paysage et où la pénurie générale n’avait pas laissé place aux excès de la société de consommation. Les cadres institués étaient à bout de souffle. La France accusait un retard économique considérable à l’égard des pays de nature comparable. Elle était engluée dans une guerre infâme en Algérie, que la droite voulait mener sans réserve, contre l’évidence de la décolonisation à l’œuvre sur tous les continents. Quant à la gauche, elle était dominée par un parti communiste plus stalinien que celui d’URSS, déconsidéré par son soutien à l’écrasement de la Révolution de 1956 à Budapest, et par un parti socialiste (la SFIO des Lacoste et Mollet), honteusement impliqué dans la guerre coloniale et dans les crimes de guerre, torture y compris, qu’il couvrait, voire suscitait. L’histoire a des ruses, comme le disait Hegel. Quand une époque est marquée par une crise que la règle du jeu en usage ne permet pas de résoudre, elle créée les conditions du surgissement d’une surprise. Ces ruses ne procèdent pas d’une main obscure et providentielle, mais simplement de l’irruption de l’imprévu, des aléas et de la contingence. En 1958, on espérait Mendès, ce fut de Gaulle, appelé par ceux-là même auxquels il va imposer la décolonisation qu’ils refusent. Les changements que va connaître la France sous sa direction permettent que le pays fatigué s’inscrive dans la modernité et rattrape ses voisins. Dix ans y suffisent, jusqu’à ce que mai 68 renvoie ce météorite au passé d’où il était issu et qu’un nouveau changement, que rien ne permettait de prévoir, s’opère. Ce que la ruse de l’histoire avait permis, c’était la disparition des vieux partis qui avaient fini par accaparer la vie politique, sans offrir de réponse aux nécessités du moment. La IV°, parlementaire, avait viré à l’oligarchie, comme aurait pu dire Polybe. Les partis « représentatifs » ne représentaient plus aucun courant du pays « réel ». Là est le point commun avec le moment que nous vivons. Le clivage droite-gauche qui structurait hier encore la vie politique ne correspond plus aux problèmes à résoudre : ni l’écologie et la transition énergétique, ni les questions internationales, c’est-à-dire la place de la France dans la mondialisation et dans le jeu des puissances, ni la sécurité et les problèmes liés au terrorisme, ni les questions économiques et la lutte contre la précarité et le chômage, ni le choix entre démocratie et autoritarisme ne rentrent dans ce cadre binaire. Il y a plus de points communs aujourd’hui entre le populisme de gauche et le populisme de droite qu’entre ceux qui se disent de droite, d’un côté, et ceux qui se disent de gauche, de l’autre. Qu’il s’agisse des rapports avec Poutine et Bachar, des frontières héritées de la guerre, comme celle entre Russie et Ukraine, de l’Europe et des rapports entre la France et le reste du monde. Quant au style des personnes, la surenchère MLP-JLM pour la palme du meilleur tribun populaire traduit une identité que l’on aurait tort de minorer. Le Pen père ne s’y trompe pas, qui donne la dite palme à Méluche plutôt qu’à sa fille ! Castro, Chavez et Robespierre, offerts en modèles à la France insoumise, n’ont pas été des exemples d’exercice démocratique du pouvoir ! La ruse de l’histoire des quelques mois passés fut la disparition de la scène de deux anciens présidents de la république, que leurs partis respectifs auraient dû adouber, et de deux anciens premiers ministres aussi brutalement congédiés. Le recours aux élections primaires, emprunté aux États-Unis, supposé relégitimer les champions des deux grands partis, aura eu pour seul effet d’accélérer la décomposition des vieilles boutiques qui ne représentaient plus que les ambitions d’un personnel politique épuisé. La question de la représentativité, qui hante la République française depuis la première constitution du 3 septembre 1791, s’est reposée à tous. Elle nécessite une totale redistribution des cartes, sur des bases que les anciens ordres établis ne recoupent plus. Ce qui s’est traduit par le fait que les trois candidats qui ont eu le plus de voix, et surtout les deux qui sont restés en piste au deuxième tour, sont étrangers aux partis dits de gouvernement. Beaucoup à gauche se sont pincé le nez devant ce qu’est supposé incarner Macron : l’adaptation de la France à la mondialisation capitaliste. Cependant, comment ne pas voir que les deux populismes œuvrent pour le même repli national, la même fermeture et le même déclin, plutôt que de se confronter au défi de l’ouverture globale et d’y apporter des solutions ? L’avenir nous dira si Macron élu parviendra à faire entrer la France dans cette modernité qui avec ou sans nous s’impose, en en corrigeant le prix pour ceux qui aujourd’hui sont les perdants de cette évolution. Car le vote FN se nourrit exactement de cette amertume et de cette désespérance, comme le vote poujadiste en 1958 (première élection de Le Pen) se nourrissait de la souffrance des catégories sociales (boutiquiers, artisans, paysans) menacées par les changements sociaux. Le nouveau président, arrivera-t-il à enrayer la désindustrialisation, à faire baisser le chômage ? Réussira-t-il ce que ses prédécesseurs, Mendès-France et Rocard, n’ont pas eu les moyens de faire ? Si cela est le cas, Le Pen s’évanouira. C’est ce que permet de penser le ressac de l’extrême droite amorcé dans l’ensemble de l’Europe. L’appareillage hétéroclite du front dit national se disloquera au profit de toutes les sectes et officines qui le composent : identitaires, païens, ultras et cathos intégristes, antisémites et antimusulmans, nationalistes et anarchistes de droite, légitimistes bourboniens, maurassiens, corporatistes, ultra-libéraux et fanatiques de l’État-fort… Sinon, le deuxième tour en 2022 se jouera entre deux dinosaures (ou leurs clones) : Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Adresse à un futur président par Lena Hirzel Monsieur, Nous avons voté pour vous lors de ce second tour des élections en France. Certains vous avaient déjà accordé leur confiance, il aura fallu à d'autres le temps pour comprendre, parfois celui de l'entre-deux-tours, parfois, dans un éclair, lors du débat, lorsque vous avez affronté la Gorgone et que vous n'avez pas détourné le regard, grâce vous soit rendue ! 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