XXXIX-2013 É T U D E S C E LT I Q U E S FONDÉES PAR J. VENDRYES CNRS EDITIONS 1
XXXIX-2013 É T U D E S C E LT I Q U E S FONDÉES PAR J. VENDRYES CNRS EDITIONS 15 rue Malebranche – 75005 Paris ÉTUDES CELTIQUES Fondées par J. VENDRYES Revue soutenue par l’Institut des Sciences Humaines et Sociales du CNRS COMITÉ DE RÉDACTION Président : Pierre-Yves LAMBERT Président d’honneur : Venceslas KRUTA Secrétaire : Jean-Jacques CHARPY Membres : Brigitte FISCHER Pierre FLOBERT Patrick GALLIOU Donatien LAURENT Hervé LE BIHAN Jean LE DÛ Thierry LEJARS Bernard MERDRIGNAC Secrétaire d’édition : Virginie DURAND La rédaction remercie chaleureusement Christophe BAILLY pour sa contribution à l’iconographie de ce volume. Pour tout ce qui concerne la rédaction de la revue, s’adresser à Pierre-Yves Lambert 212 rue de Vaugirard 75015 Paris lambert.pierre-yves@wanadoo.fr et Marie-José Leroy Laboratoire d’Archéologies d’Orient et d’Occident (CNRS-ENS) marie-jose.leroy@ens.fr Renseignements : CNRS ÉDITIONS 15 rue Malebranche 75005 Paris Tel. : 01 53 10 27 00 Fax : 01 53 10 27 27 © CNRS ÉDITIONS, Paris, 2013 ISSN 0373-1928 ISBN 978-2-271-07760-8 ETHNICITÉ, POLITIQUE ET ÉCHELLES D’INTÉGRATION : RÉFLEXIONS SUR LES « PAGI » GAULOIS AVANT LA CONQUÊTE PAR Manuel FERNÁNDEZ-GÖTZ Niveaux sociopolitiques en Gaule avant la conquête romaine Les sociétés de la Gaule préromaine se trouvaient articulées en différents niveaux d’organisation sociopolitique (FERNÁNDEZ-GÖTZ 2011a ; FICHTL 2004, 2006 ; ROYMANS 1990 ; VERGER 2009), qui à leur tour constituaient divers cadres identitaires de réfé- rence. Cette constatation est en consonance avec les approches les plus récentes en sciences sociales, qui soulignent le caractère multidimensionnel des attributions iden- titaires et des réseaux socio-organisateurs dans lesquels s’intègrent les personnes : il n’existe jamais une seule identité, mais de multiples niveaux qui apparaissent super- posés, parallèles, et dont l’importance varie en fonction des situations (JENKINS 2008). À la fin de l’âge du fer – étape sur laquelle nous nous concentrerons, puisque la majeure partie des sources disponibles provient d’elle – il est possible de distinguer, suivant un ordre ascendant, trois niveaux sociopolitiques principaux : 1) groupes fami- liaux élargis (clans) ; 2) pagi (sous-ethnies) ; et 3) civitates (ethnies). On peut dire pour résumer qu’une civitas est une « fédération » de pagi, qu’un pagus se compose de diverses familles élargies, et que ces derniers, à leur tour, incluent plusieurs maison- nées (FERNÁNDEZ-GÖTZ à paraître ; FICHTL 2004, p. 17-18 ; ROYMANS 1990, p. 18-23). Ces différents niveaux se trouvent mentionnés dans les textes gréco-romains. La source la plus explicite est César1, qui affirme : « En Gaule, non seulement toutes les cités [civitatibus], tous les cantons et fractions de cantons [pagis partibusque], mais même, peut-on dire, toutes les maisons [singulis domibus] sont divisés en partis rivaux [factiones] » (BG 6, 11, 2). Malgré le fait que tous les niveaux sociopolitiques ébau- chés présentent un indubitable intérêt, je me concentrerai dans le présent article sur l’échelle représentée par le pagus2. 1. Une analyse critique récente du texte de César et de son utilité dans le cadre de l’étude de la société gauloise dans DUNHAM 1995 ; KRAUS 2009 ; SCHADEE 2008. 2. Pour une étude exhaustive sur les civitates gauloises préromaines, voir FERNÁNDEZ-GÖTZ à paraître et FICHTL 2004 ; pour les institutions politiques FERNÁNDEZ-GÖTZ 2011a ; pour un regard anthropologique lucide sur des aspects comme l’honneur ou les factions rivales VERGER 2009. 8 MANUEL FERNÁNDEZ-GÖTZ À côté des niveaux sociopolitiques superposés, nous trouvons également des éléments transversaux qui sont fondamentaux pour comprendre le fonctionnement des sociétés gauloises à la fin de l’âge du fer : opposition entre ligues traversant tous les niveaux de la société (formation de factions) ; rôle d’autres types d’identité sociale (genre, groupes d’âge…) ; relations de clientèle à toutes les échelles (entre personnes des groupes sociaux défavorisés et membres de l’élite, entre aristocrates, même entre civitates…) ; règles de l’honneur qui régissent l’ensemble du fonction- nement des sociétés gauloises ; druides comme médiateurs religieux, etc. (FIG. 1). Le tableau que nous offrent les sources est par conséquent celui de sociétés gau- loises structurées en de multiples niveaux superposés, traversés à leur tour par des conflits transversaux entre factions et par des liens complexes d’alliance et de dépendance (VERGER 2009, 2011). FIG. 1 : En haut : schéma simplifié représentant l’organisation sociopolitique de la Gaule à La Tène finale. En bas : éléments transversaux fondamentaux pour comprendre le fonctionnement des sociétés gauloises (élaboration personnelle à partir de ROYMANS 1990 et VERGER 2009). Par ailleurs, il faut prendre en compte le fait que le degré de centralisation et de complexité socio-économique varie considérablement d’une région à l’autre. En général, les groupes les plus hiérarchisés et centralisés sont dans le centre de la ETHNICITÉ, POLITIQUE ET ÉCHELLES D’INTÉGRATION 9 Gaule (Éduens, Arvernes… qui constituaient à La Tène finale de véritables États archaïques) et les moins hiérarchisés dans les régions plus septentrionales (Morins, Ménapes…). Le monde gaulois de la fin de l’âge du fer ne constitue pas, en effet, une réalité uniforme (BRUN ET RUBY 2008 ; FERDIÈRE 2005 ; GARCIA ET VERDIN 2002). Aussi bien les textes classiques que les données archéologiques chaque fois plus abondantes mettent en évidence l’extraordinaire diversité des populations qui habitent le territoire ainsi défini. C’est pourquoi il faudrait parler « des Gaules » plus que de « la Gaule ». Cependant, il est possible d’identifier une série de traits partagés, qui font que la Gaule – entendue ici comme le territoire ébauché par César au début de De Bello Gallico, c’est-à-dire, les terres situées entre les Pyrénées, l’Atlantique, les Alpes et le Rhin – continue de constituer une unité d’analyse cohérente, plus encore lorsque l’on prend en compte le fait qu’elle représente un cadre d’étude bien défini depuis l’Anti- quité jusqu’à nos jours (FICHTL 2004 ; JULLIAN 1908a, 1908b). Entités politiques et cadres identitaires Durant les dernières années, différents auteurs ont défendu la thèse selon laquelle les civitates préromaines constituaient avant tout des entités politiques (FICHTL 2004, 2006 ; ROYMANS 1990, p. 26-27 ; TESTART 2010, p. 211). Bien qu’exacte, cette affirma- tion ne doit pas conduire à sous-estimer leur caractère de groupes ethniques puisque ces deux éléments – le politique et l’ethnique – non seulement ne sont pas en contra- diction mais se trouvent au contraire être parfaitement complémentaires. En effet, l’identité ethnique se juxtapose souvent à l’identité politique et contribue à renforcer sa cohésion, comme le montrent clairement de nombreux exemples du monde antique (COLLIS 2007 ; CRUZ ANDREOTTI ET MORA SERRANO 2004 ; DERKS ET ROYMANS 2009 ; HALL 1997 ; WENSKUS 1961). En ce sens, les pagi et les civitates gaulois rencontrés par César au milieu du Ier siècle av. J.-C. sont simultanément des entités politiques et des groupes ethniques3 (FERNÁNDEZ-GÖTZ à paraître ; GERRITSEN et ROYMANS 2006, p. 255 ; ROYMANS 2004, p. 2-3 ; VERGER 2011, p. 160). De fait, ces deux sphères ont dû être pratiquement indissociables puisque les composants de la communauté politique se concevaient eux-mêmes comme des membres d’un groupement ethnique, générant ainsi un sentiment d’identité partagée (FIG. 2). 3. Devant l’opinion de quelques chercheurs qui considèrent que l’ethnicité et l’organisation en tribus sont une simple invention de puissances impérialistes comme Rome ou du colonialisme européen, GODELIER (2004, 291) a déclaré pertinemment que « Le concept de tribu n’est pas une invention de la période coloniale. Bien entendu certains groupes ont été arbitrairement transformés en tribus ou en ethnies différentes dans les recensements que les puissances coloniales faisaient des populations qu’ils voulaient contrôler. […] C’est sur ces faits que des auteurs comme Jean-Loup Amselle ont attiré l’attention mais en ont conclu, de façon selon nous erronée, que la tribu est une invention de l’occident. L’organisation tribale était une réalité qui existait bien avant l’expansion coloniale de l’Europe ». 10 MANUEL FERNÁNDEZ-GÖTZ FIG. 2 : Les civitates et les pagi de la Gaule préromaine comme entités à la fois politiques et ethniques, constituant des groupements de personnes avec une identité commune fondée sur des liens de parenté fictive (élaboration personnelle). Indépendamment de ses acceptions dans le monde classique (JACQUES et SCHEID 1990 ; TARPIN 2002a), la meilleure définition de pagi et de civitates dans le contexte de la Gaule préromaine est celle offerte par Gerritsen et Roymans (2006), auteurs pour les- quels il s’agit de « groupes tribaux fonctionnant en tant que communautés politiques », c’est-à-dire « identités ethniques politisées ». Comme l’indiquent ces auteurs, « We therefore emphazise not only the political nature of tribal groups, but also their basis in constructed collective identities » (GERRITSEN et ROYMANS 2006, p. 255). Les perspec- tives instrumentalistes ont souligné le rôle important que peut jouer l’ethnicité à l’heure de renforcer et de préserver la cohésion de formations sociopolitiques (FERNÁNDEZ-GÖTZ 2008, p. 69-74 ; WENSKUS 1961, p. 299). Pour DERKS et ROYMANS (2009, p. 1), « C’est la politique qui définit l’ethnicité et non l’inverse ». Il a même été dit que la construc- tion d’un groupe ethnique nécessite un pouvoir politique qui donne forme, promeut et soutient le sentiment ethnico-généalogique et territorial, ce qui – sans que cela soit nécessairement généralisable – paraît parfaitement applicable aux pagi et aux uploads/Politique/ pagi-etudes-celtiques.pdf
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- Publié le Sep 17, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
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