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Pour vous, quelle est la priorité des priorités pour la gauche, hormis de s’uni

Pour vous, quelle est la priorité des priorités pour la gauche, hormis de s’unir ? CLÉMENTINE AUTAIN ISABELLE AUTISSIER BERTRAND BADIE ÉTIENNE BALIBAR GUILLAUME BASQUIN LUC BÉRAUD OLIVIER BESANCENOT LAURENT BINET SOPHIE BINET STÉPHANE BRIZÉ GÉRALD BRONNER JULIA CAGÉ JEAN-YVES CAMUS BELINDA CANNONE PIERRE CARLES JOHANN CHAPOUTOT CHRISTIAN CHAVAGNEUX JÉRÔME CLÉMENT DIDIER DAENINCKX ANNIE ERNAUX JACQUES FANSTEN Soixante-trois personnalités répondent, classées par ordre alphabétique : DAN FRANCK CAMILLE FROIDEVAUX-METTERIE JEAN GLAVANY LOLA GRUBER ROBERT GUÉDIGUIAN JEAN-MARC JANCOVICI PAUL JORION HERVÉ KEMPF YANNICK KERGOAT AUDE LANCELIN PIERRE LAURENT OLIVIER LEGRAIN ARRIGO LESSANA DANIÈLE LINHART OLIVIER LONG NOËL MAMÈRE JEAN-PIERRE MARTIN VIRGINIE MARTIN CORINNE MASIERO TANIA DE MONTAIGNE CHANTAL MONTELLIER GEORGES MONTI GÉRARD MORDILLAT CLAIRE NOUVIAN THIERRY PAQUOT SYLVAIN PATTIEU EMMANUEL PIERRAT ERNEST PIGNON-ERNEST THOMAS PIKETTY CLAUDE PONTI ROBIN RENUCCI RÉSILIENCE COMMUNE EUGÈNE RIGUIDEL DENIS ROBERT FRANÇOIS RUFFIN LUCILE SCHMID LOUIS SCHWEITZER BRUNO SOLO DANIELLE TARTAKOWSKY PHILIPPE TORRETON DOMINIQUE VIDAL FRÉDÉRIC WORMS CLÉMENTINE AUTAIN DÉPUTÉE LA FRANCE INSOUMISE, DIRECTRICE DE LA PUBLICATION DE REGARDS, DERNIER OUVRAGE : À GAUCHE EN SORTANT DE L’HYPER MARCHÉ (GRASSET, 2020) Refondation Le défi à gauche en ce début de xxie siècle tient pour moi en deux mots : se refonder. La gauche du xxe siècle était celle du « mouvement ouvrier ». Le Parti communiste français et le Parti socialiste ont incarné les deux pôles, réformiste et révolutionnaire, à partir desquels elle s’est structurée durant près d’un siècle. Leur déclin a rebattu les cartes. Sur le fond, les mises à jour ont tardé à s’enclencher. La gauche s’est traditionnellement posé la question du partage des richesses. C’est même au cœur de son discours, de sa raison d’être. Or le défi écologique est venu percuter cet enjeu majeur. S’il faut toujours penser la mise en commun des richesses, l’heure est venue de s’interroger : que faut-il produire et qui en décide ? Se refonder à gauche, c’est donc allier l’ambition sociale et écologiste. Les années 1968 ont également percuté la centralité, voire l’exclusivité du rapport de classes comme moteur du combat contre l’op pression. Le féminisme et l’antiracisme ont notamment complexifié la conception des relations dominants/dominés. Enfin, comment transformer la société dans une économie globalisée ? Il ne suffit pas de se payer de mots pour affronter ce défi contemporain. Sans prise en compte sérieuse de toutes les nouvelles problématiques portées par des mouve ments sociaux, culturels, intellectuels, aucune gauche ne pourra se relever. Il ne suffira pas d’unir les forces en présence, de dégager des compromis entre partis existants. Il nous faut redéfinir les contours d’un projet de transforma tion en profondeur, dégager les termes et les formes d’orga nisation de notre époque pour créer la dynamique populaire, qui est la clé des victoires à venir. ISABELLE AUTISSIER PRÉSIDENTE D’HONNEUR DE WWF (WORLD WIDE FUND FOR NATURE)- FRANCE ET ROMANCIÈRE, DERNIER OUVRAGE : OUBLIER KLARA (STOCK, 2019) Respirer, manger, boire Que ce soit pour la gauche, pour le centre ou pour la droite, la priorité devrait être la même : la transition climatique — et la biodiversité. Mais c’est sur le climat que les gouvernements et les collectivités peuvent le plus facilement agir. En France, notre empreinte carbone continue d’être élevée : 11,2 tonnes équivalent CO2 par personne. Or nous devrions en 2050 arriver à 2 tonnes par personne ! Plus le temps passe, plus la marche à monter est haute. Cette question doit être au cœur de toutes les décisions politiques, avant le social. Il y a d’abord la planète, puis la vie, puis les hommes, et dedans, les C’est par où, la gauche ? Dossier Papiers nº36 37 36 Papiers nº36 questions sociales. Les hommes doivent pouvoir respirer, manger, boire. On s’aperçoit que ces besoins élémentaires sont tous affectés par le réchauffement et ses conséquences : sécheresses, tempêtes, etc. Globalement, la gauche semble mieux disposée pour avancer, car la droite reste attachée au libéralisme économique, donc à un calcul coûts/bénéfices qui ne tient pas compte des questions écologiques. Mais on ne peut pas dire que les gouvernements de gauche, dans un passé récent, aient fait beaucoup pour la sauvegarde de la biodiver sité et contre le réchauffement climatique. BERTRAND BADIE PROFESSEUR ÉMÉRITE DES UNIVERSITÉS À SCIENCES PO PARIS Trois valeurs La gauche, un peu partout dans le monde, en France en particulier, s’est défaite, au tournant du siècle, sous les coups de la mondialisation et d’un néolibéralisme tenu pour incon tournable. Elle ne se reconstruira qu’en sachant s’affirmer face au monde post-bipolaire, au-delà du national-popu lisme qui apparaît aujourd’hui, pauvrement et dangereuse ment, comme l’unique réponse apportée aux excès de la mondialisation. Elle peut retrouver son âme dans cette mondialité inédite en remobilisant ses trois valeurs consti tutives : l’ouverture à l’autre, proche ou lointain (internatio nalisme), la reconnaissance des droits de chacun, dans le respect des différences (humanisme), la prise en compte des souffrances sociales dominantes (solidarisme). Loin d’être un repoussoir, la mondialisation peut être un chantier de reconstruction pour la gauche, un moyen d’afficher sa personnalité, face à la xénophobie montante et l’identita risme racorni. La crise sanitaire en est proprement l’occa sion, révélant que les vrais dangers ne sont plus liés à l’en nemi voisin qu’il faut combattre, mais aux menaces globales qui, de famine en pandémie, de changement climatique en instabilité économique, défient l’humanité. Tel est le vrai sens de la sécurité globale, abîmée, détournée et galvaudée en France par un médiocre débat parlementaire, mais dont la gauche est le dépositaire naturel. Régulation, solidarité, droits à la différence et au respect, solidarité avec tous les souffrants du monde, migrants, pauvres ou précaires : telle est l’âme perdue de la gauche et la base de sa renaissance. ÉTIENNE BALIBAR PHILOSOPHE, DERNIERS OUVRAGES : HISTOIRE INTERMINABLE. D’UN SIÈCLE L’AUTRE, ÉCRITS I ET PASSIONS DU CONCEPT.ÉPISTÉMOLOGIE, THÉOLOGIE, POLITIQUE, ÉCRITS II (LA DÉCOUVERTE, 2020) Réinventer les services publics À la question qui nous est posée, j’ai d’abord pensé qu’il était impossible de répondre. Comment établir une priorité et a fortiori sélectionner un unique élément dans la liste des urgences, qu’il s’agisse de la catastrophe environnementale et des stratégies de décroissance, de l’emploi des jeunes et du revenu universel ou de la démocratisation de l’Europe ? On n’a que l’embarras du choix. Mais, à la réflexion, je veux insister sur ce que l’actualité a mis en lumière dramatiquement : la crise des services publics et donc la nécessité absolue de les défendre et de les réformer, l’un n’allant pas sans l’autre. Nous ne pouvons assister sans réagir à la destruction des institutions de la santé publique, de l’Éducation nationale, de la culture, des communications, qui appauvrit et désarme le pays, déses père et épuise leurs praticiens ou leurs acteurs, creuse les inégalités d’accès aux biens fondamentaux dont dépend le vivre-ensemble. Nous ne pouvons pas non plus laisser la police irréversiblement glisser vers la violence et le racisme systémique. Mais dans aucun de ces domaines nous ne pouvons non plus nous contenter de réclamer à l’État des moyens et des garanties statutaires, si vital soit-il d’inverser la courbe de l’austérité néolibérale, qui fait système avec l’in sécurité, l’autoritarisme et les privatisations. Nous devons donc inventer collectivement, par l’enquête, la discussion, la mise en commun des expériences, l’émulation des propo sitions, un service public du xxie siècle dont l’État assume les responsabilités mais ne monopolise pas les pouvoirs, et dont les agents, les gestionnaires, les usagers (autrement dit le « public » lui-même) seraient à égalité les animateurs. Ce qui constitue pour la gauche une raison d’être, un impératif social et politique, pourrait aussi devenir le terrain de sa renaissance et de sa recomposition. GUILLAUME BASQUIN ÉDITEUR ET ÉCRIVAIN, DERNIER OUVRAGE : JEAN-JACQUES SCHUHL. DU DANDYSME EN LITTÉRATURE (HONORÉ CHAMPION, 2016) Anti-liberticide À cette question urgente, voici ce qui me vient à l’esprit : impossible de penser l’avenir de la gauche sans montrer du doigt ce qui lui a fait cruellement défaut dans notre crise totale politico-sanitaire dite « de la Covid-19 » : être juste ment une force d’opposition, et non pas une simple marion nette d’accompagnement des mesures les plus liberticides qui fussent en Occident, depuis très longtemps. La gauche doit panser son occultisme de fond, autrefois dénoncé avec brio par un Philippe Muray : si l’on abandonne petit à petit nos libertés les plus fondamentales, il est illusoire de penser que les pouvoirs oligarchiques actuels du néolibéralisme numérisé, extrêmement puissants et organiquement liés, ne vont pas en profiter pour devenir autoritaires, comme du temps de l’Allemagne pré-nazie, ce qu’avait dénoncé en son temps un Hermann Heller dans son texte paru en 1933, « Libéralisme autoritaire » ? Il n’aura échappé à personne que la gauche, en France, ne s’est nullement opposée aux dérives liberticides du pouvoir macronien ; tout au contraire, elle a semblé toujours en demander plus. Les seules oppositions réelles ont été « de droite », de l’UPR [Union populaire répu blicaine] de François Asselineau aux Patriotes de Florian Philippot. D’où que la gauche, pour retrouver ses anciens électeurs, ou en conquérir de nouveaux, devra s’opposer à toutes ces dérives inadmissibles quant uploads/Politique/ papiers36-02-dossier-04.pdf