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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article par Samuel Mercier Spirale : arts • lettres • sciences humaines, n° 241, 2012, p. 10-12. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : http://id.erudit.org/iderudit/67220ac Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. 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Le problème ne réside peut-être pas tant dans le conserva- tisme vaguement réactionnaire défendu par Bock-Côté que dans une démarche populiste qui n’est pas sans rappeler celle des pires chroniqueurs de la presse jaune québécoise. Cette position, si elle prend les apparences de la culture savante, met principalement de l’avant un projet politique susceptible (s’il est un jour repris et mis en application) d’avoir des consé- quences réelles, au nom d’un appel de la nation, sur la possi- bilité d’une société libre, ouverte et égalitaire. LA VOLONTÉ DU PEUPLE Selon Bock-Côté, l’échec du souverainisme québécois tiendrait à la dérive à gauche du projet d’indépendance du Québec qui aurait remplacé l’idéal d’émancipation nationale (hérité du groulxisme et du duplessisme) par un idéal d’émancipation sociale. Or, d’après l’auteur, cette « survalorisation de l’utopie » entraînerait une rupture entre l’« intelligentsia » et la société québécoise qu’il conviendrait désormais de réparer par une plus grande ouverture au conservatisme. C’est ici que le populisme entre en scène. Alors qu’un travail de réflexion rigoureux demanderait d’expliquer en quoi cette situation serait souhaitable ou non, le discours anti-progres- siste se justifie principalement ici par la volonté du peuple. Sans recourir à des statistiques, à des enquêtes ou à des ana- lyses approfondies, Bock-Côté postule que le « souverainisme officiel » présenterait « une vision de l’identité québécoise qui est souvent délestée […] de tout substrat occidental et qui n’a plus qu’un vague rapport avec le sentiment national ordinaire que ressentent naturellement une majorité de citoyens ». La nature de ce « sentiment national ordinaire » demeure assez floue, pour ne pas dire fumeuse, tout comme ce qui compose le « substrat occidental » (comme si la gauche uni- versaliste et progressiste n’était pas elle aussi un produit de l’Occident…). La seule chose qui reste claire est cet appel à la majorité qui reviendra tout au long du projet politique énoncé dans Fin de cycle. Par exemple, dans son analyse de la crise des accommodements raisonnables, Bock-Côté pos- tule que « la majorité québécoise a clairement fait le procès du multiculturalisme officiel en en profitant par ailleurs pour remettre en question une vision de l’identité collective qui serait limitée au Québec moderne de la Révolution tran- quille ». Jolie interprétation, sans doute, mais qui ne semble être tirée que du projet politique de l’auteur lui-même et qui est ici projetée sur la majorité silencieuse. On fait face aux mêmes travers lorsque l’essai traite des débordements de CHOI-FM en mettant le « conservatisme » de la ville de Québec sur le dos d’un « antipéquisme aller- gique au mélange de nationalisme lyrique de gauche associé au ronron confortable du Québec officiel et de social-bureau- cratie défendu par le souverainisme officiel ». La phrase mala - droite reprend deux fois le terme « officiel » pour marteler une position qui serait devenue celle de l’institution aidée par le « consensus médiatique » entretenu par une gauche plateauïsante cosmopolite et sans racines qui masquerait la volonté du peuple à laquelle Fin de cycle prétend accéder. Mais de quel « peuple » est-il question ? Comment passe- t-on de quelques cancres de la Radio X au conservatisme supposé d’une population entière ? POPULISME ET ATTAQUE AD HOMINEM L’accusation de « populisme » est devenue un des tropes contemporains de l’attaque ad hominem, mais c’est sur- tout faute de définition claire. Un numéro récent de la revue Critique revenait d’ailleurs sur ce phénomène en tentant d’expliquer les bases du concept tiré à la fois de la Pourquoi répondre à Mathieu Bock-Côté? PAR SAMUEL MERCIER FIN DE CYCLE : AUX ORIGINES DU MALAISE POLITIQUE QUÉBÉCOIS de Mathieu Bock-Côté Boréal, 174 p. ACTUALITÉS, CONSTATS, DÉBATS SPIRALE 241 | ÉTÉ | 2012 11 racine anglaise « populism » et d’un courant littéraire fran- çais des années 1930. Dans cette édition, Laurent Jeanpierre avançait que « le populisme dessine en même temps qu’un fantasme du peuple, une figure du savoir ». Autrement dit, le populisme — tel qu’il le définit — ne serait pas seulement une façon de parler pour un ensemble social flou ; la réflexion popu- liste aurait davantage pour horizon ce groupe imaginaire désigné comme le « peuple » en voulant l’influencer dans une perspective de pouvoir démocratique tout en préten- dant en connaître la pensée profonde. De la même manière, la non-recevabilité des thèses popu- listes s’élabore dans les milieux spécialisés en rejetant du côté de l’affect populaire ou de la physique des foules ce genre de réflexions sans pour autant écarter la distinction entre peuple et élite avec laquelle travaille le populiste. On me dira peut-être que j’écris une chose et son contraire, que j’évoque une « fraude » alors même que je critique l’ir- recevabilité des thèses populistes, mais ce serait mal me comprendre. Ce que je rejette ici, outre l’abjection du popu- liste qui ose flirter avec l’opinion publique, c’est, fonda- mentalement, le discours élitiste sur lequel il s’appuie. Car c’est bel et bien une trahison des élites dont il est ques- tion chez Bock-Côté. Ce seraient ces mêmes élites qui auraient instauré l’état « social-thérapeutique » dont le but serait « la déconstruction de toutes les institutions sociales traditionnelles pour les reprogrammer à partir du droit à l’égalité ». Ce constat permet à l’auteur de situer son éthos sur deux axes : celui d’un intellectuel dont les idées seraient dépositaires de la véritable pensée majoritaire et celui d’un conservateur censuré par le « consensus progressiste ». Les représentations artistiques n’échappent pas, selon lui, à ce phénomène. Bock-Côté écrit par exemple au sujet de Michel Tremblay qu’il « faisait de la transgression et de la marginalité les voies d’accès privilégiées à la dignité humaine, comme si la culture québécoise ne parvenait à se constituer qu’à la manière d’une contre-culture, ce qui aura, ultérieurement, des répercussions sur sa capacité à assumer une définition traditionnelle de l’autorité, du principe d’ins- titution ». Non seulement le progressisme se trouve-t-il écarté, mais c’est l’ensemble des représentations découlant des principes d’égalité et de liberté hérités des Lumières qui sont ici rejetées comme ayant sombré dans l’excès. Est- ce à dire qu’il faudrait revoir en entier les acquis de la modernité esthétique pour mettre de l’avant une collecti- vité fondée sur l’ordre et la nation ? L’objectif final est tout sauf clair, mais c’est bien ce qu’il laisse entendre. Il faut attendre le dernier chapitre intitulé « Mon conserva- tisme » pour que le projet d’engagement politique de Bock- Côté prenne son sens. Les éléments biographiques relatant l’enfance du chef permettent de cerner plus précisément ce qu’implique le combat de l’auteur contre « les patholo- gies de l’émancipation » : « Pourquoi brossé-je ainsi à gros traits mon histoire familiale ? Car mon premier sentiment politique n’est pas sans lien avec cela : c’est celui de la grati- tude envers le donné, le devoir d’honorer une certaine filia- tion. L’homme est d’abord un héritier. » Encore faut-il savoir de quoi. L’aspect interprétatif et narratif du rapport qu’un individu entretient envers son passé étant ici occulté, cette dette envers un héritage fantasmé traverse le discours identitaire de Fin de cycle, qui finit par se trans- former en projet de retour à la nation. LES GRANDS POPULISTES MÉDIATIQUES Difficile de ne pas analyser cet acte de foi antimoderniste à la lumière des multiples tribunes médiatiques saisies par Bock-Côté lui-même. On assiste à l’apparition, depuis quelques décennies, d’intellectuels communicationnels ayant pour fonction même d’intervenir sur tous les sujets dans les médias, sans nécessairement avoir à assurer leur légitimité. Alors que les Zola, Sartre, Aquin et Miron inves- tissaient un héritage philosophique ou littéraire dans uploads/Politique/ pourquoi-repondre-a-mathieu-bock-cote 2 .pdf
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- Publié le Mar 30, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
- Langue French
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