regards sur les politiques du « maintien à domicile » Et sur la notion de « lib

regards sur les politiques du « maintien à domicile » Et sur la notion de « libre choix » de son mode de vie Bernard Ennuyer Faut-il permettre aux personnes qui vieillissent et qui, de plus, ont des difficultés importantes pour effectuer seules les actes élémentaires de la vie quotidienne de rester chez elles comme elles le désirent dans leur immense majorité ou faut-il les inciter à recourir à une institution d’hébergement ? Cette question, bien antérieure aux années 1960, est toujours d’actualité et le sera, sans doute, encore pendant longtemps. QUELQUES JALONS HISTORIQUES DU DÉBAT DOMICILE VERSUS HÉBERGEMENT 2Ce débat se posait déjà en 1791 comme en témoignent ces projets de décret du comité de mendicité : « Art. Premier : il y aura deux espèces de secours pour les vieillards et infirmes : le secours à domicile; le secours dans les asyles publics. Art 2 : le secours à domicile sera le secours ordinaire. Le secours dans les asyles publics n’aura lieu que pour les individus qui ne pourront pas le recevoir, à raison de défaut de famille, d’infirmités graves qui exigeroient des soins particuliers, ou de toute autre cause pareille » [1][1]Comité de mendicité (1791). Projets de décrets présentés à…. 4Même discours sous la plume de monsieur de Melun, en 1851, au nom de la commission d’Assistance publique : « lorsque avec un secours moindre qu’il recevrait à domicile, le vieillard ferait bénir sa présence au milieu de sa famille à qui il rendrait encore quelques services, il est enfermé loin du foyer domestique avec des hommes que leur âge, leurs infirmités rendent tristes et moroses comme lui (…) un secours distribué avec intelligence coûterait beaucoup moins cher que le séjour à l’hôpital et ne donnerait pas à l’ouvrier la perspective d’un asile assuré qui exclut toute idée d’économie » [2][2]Dalloz Aîné, Dalloz A., Dalloz E. (1851). Jurisprudence…. 5Notons au passage qu’on trouve déjà dans ce texte l’idée que rester à domicile coûte moins cher que l’hébergement, nous y reviendrons. 6La loi du 14 juillet 1905 relative à l’assistance obligatoire aux vieillards, aux infirmes et aux incurables privés de ressources stipule dans son article 19 : «les vieillards, les infirmes, les incurables ayant le domicile de secours communal ou départemental reçoivent l’assistance à domicile. Ceux qui ne peuvent être utilement assistés à domicile sont placés, s’ils y consentent, soit dans un hospice public, soit dans un établissement privé soit chez des particuliers ». 7Néanmoins, malgré ces intentions déclarées de permettre aux vieillards de l’époque de finir leurs jours à domicile, on peut affirmer que jusqu’aux années 1950, la tendance de la société a été de recourir très souvent à l’institution d’hébergement qui s’appelait à l’époque l’hospice : «la première moitié du XXe siècle n’a pas inventé l’hospice, elle l’a reçu en héritage d’une vieille tradition hospitalière, mais c’est bien cette période qui a rendu ce terme indissociable de la vieillesse : hospice des vieux » [3][3]Feller E. (1997). Vieillissement et société dans la France du…. 8Le changement d’attitude va intervenir au début des années 1950 avec la création des premiers services d’aide ménagère, héritiers de la tradition charitable puisque on va trouver souvent à leur origine des mouvements congréganistes telles les petites sœurs de l’assomption [4][4]Escalere B. (2001). L’aide à domicile : des publics, une…. Ces aides ménagères de l’époque vont devenir rapidement les pivots de la politique de maintien à domicile, celle-là même qui va être officialisée par la publication en 1962 de ce qu’on a coutume d’appeler maintenant le rapport Laroque. LA PUBLICATION DU RAPPORT LAROQUE, COUP D’ENVOI DE LA POLITIQUE DE MAINTIEN À DOMICILE 9Le rapport Laroque, intitulé politique de la vieillesse, publié en 1962, pose la question fondamentale et toujours d’actualité de la place des personnes âgées dans une société : «Poser le problème de la vieillesse en France, c’est essentiellement rechercher quelle place peut et doit être faite aux personnes âgées dans la société française d’aujourd’hui et plus encore dans celle de demain » [5][5]Haut Comité Consultatif de la population et de la famille…. 10La réponse du rapport Laroque est tout à fait claire : la place des personnes âgées dans la société française est de rester parmi les autres générations, comme elles le souhaitent profondément, en excluant toute ségrégation. Convenant que le placement collectif de certains vieillards, physiquement ou psychologiquement incapables de mener une vie indépendante, continuera de s’imposer, ce rapport affirme «cette solution doit demeurer exceptionnelle. L’accent doit être mis, par priorité, sur la nécessité d’intégrer les personnes âgées dans la société, tout en leur fournissant les moyens de continuer le plus longtemps possible à mener une vie indépendante par la construction de logements adaptés, par la généralisation de l’aide ménagère à domicile, par la création de services sociaux de toute nature qui leur sont nécessaires (…) Ainsi tout en évitant de faire naître chez les vieillards un sentiment de dépendance, pourra-t-on respecter le besoin qu’ils éprouvent de conserver leur place dans une société normale, d’être constamment mêlés à des adultes et à des enfants » [6][6]Op. cit.,p. 9.. 11On peut donc dire qu’en 1962 le rapport Laroque rompt avec la politique d’institutionnalisation des personnes âgées et définit ce que devrait être une politique publique qui ambitionne de donner toute leur place aux personnes âgées et de répondre à leur désir de rester dans la société. Contrairement à une idée reçue le rapport Laroque ne fait pas du maintien à domicile un objectif en soi, il le subordonne à une finalité éthique : permettre aux gens âgés de garder leur place dans la société. MAINTIEN À DOMICILE OU SOUTIEN À DOMICILE ? 12Revenons sur cette querelle de mots qui a toute son importance. Pour certains qui se veulent « gérontologiquement correct » … il ne faudrait pas dire « maintien » car cela signifierait qu’on oblige les gens à rester chez eux. Certains ont même été jusqu’à écrire «le maintien à domicile devrait être interdit pour maltraitance active » justifiant cette assertion stupide en se référant par exemple à la locution « maintien en détention ». Rappelons simplement qu’étymologiquement, « maintien » vient du latin manutenere: tenir avec la main. «En ancien français, il signifiait soutenir, protéger, défendre, avoir sous sa garde. L’usage moderne a seulement gardé le sens de conserver dans le même état, faire ou laisser durer et de fait le mot maintien, dérivé du verbe maintenir, a ce sens de « action de faire durer » avec la connotation de conservation et de continuité » [7][7]Dictionnaire historique de la langue française (1992).…. 13Il y a aussi, dans ce mot de maintien, l’idée de conservation et de continuité dans un sens protecteur. Maintenir et maintien intègrent donc aussi la notion de soutenir, empêcher de tomber. 14C’est d’ailleurs bien ce sens originel du mot maintien que le dictionnaire usuel a retenu encore aujourd’hui : Maintenir : protéger, défendre, tenir avec la main, avec comme premier sens conserver dans le même état, faire ou laisser durer [8] [8]Dictionnaire Le nouveau Petit Robert (1994). Maintenir, p.…, ce qui a donné par ailleurs l’expression « se maintenir »: rester dans le même état, ne pas aller plus mal, durer, rester, subsister [9][9]Op. cit.,p. 1328.. 15Ainsi parler de contrainte et d’obligation en se référant par exemple au maintien en détention est tout à fait erroné. Car maintenir en détention veut dire littéralement : faire durer (avec une notion de conservation et de continuité) la détention. L’aspect contraignant de l’expression est lié au mot détention et nullement au mot maintien. De même quand on parle des vertèbres cervicales «maintenues par une minerve», il ne s’agit nullement d’une contrainte dans ce maintien, mais d’un aspect protecteur au sens de soutien de ces vertèbres qui sinon risqueraient d’être mal en point et avec eux la personne à laquelle elles appartiennent ! 16J’espère ainsi avoir fait justice du fait que la locution «maintien à domicile» ne comporte en elle-même aucune idée de contrainte, ni d’une quelconque obligation. 17D’ailleurs, c’est bien dans sa signification étymologique de base que le rapport Laroque annonçait en 1962, cette politique de « maintien à domicile »: «le problème de la vieillesse est dominé par la nécessité de concilier, d’une part l’adaptation du milieu et des conditions d’existence à l’état physique et psychique des personnes âgées, d’autre part, leur maintiendans la société, en excluant toute ségrégation » [10][10]Haut Comité Consultatif de la population et de la famille,… et il ajoutait « Ainsi, tout en évitant de faire naître chez les vieillards un sentiment de dépendance, pourra-t-on respecter le besoin qu’ils éprouvent de conserver leur place dans une société normale, d’être mêlés constamment à des adultes et à des enfants » [11][11]Op. cit.,p. 9.. Il s’agit bien, dans l’esprit du rapport Laroque, de laisser les gens conserver leur place, donc de se maintenir dans la société où ils ont toujours été et où ils souhaitent demeurer. Pour être encore plus précis, ce rapport indiquait les conditions de ce maintien à domicile «Le maintien à tous égards souhaitable des personnes âgées dans un logement individuel uploads/Politique/ regards-sur-les-politiques-du-maintien-a-domicile.pdf

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