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Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=MULT&ID_NUMPUBLIE=MULT_034&ID_ARTICLE=MULT_034_0195 Biopolitique, médecine sociale et critique du libéralisme par Emmanuel RENAULT | Association Multitudes | Multitudes 2008/4 - n° 34 ISSN 0292-0107 | ISBN 2-3548-0028-4 | pages 195 à 205 Pour citer cet article : — Renault E., Biopolitique, médecine sociale et critique du libéralisme, Multitudes 2008/4, n° 34, p. 195-205. Distribution électronique Cairn pour Association Multitudes. © Association Multitudes. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. La théorie foucaldienne de la biopolitique a subi un certain nombre de transforma- tions. Initialement formulée dans le cadre d’une analyse des sociétés disciplinaires, elle a été profondément remaniée dans les cours qui étaient supposés en développer le contenu. Un premier déplacement a ré- sulté de l’opposition des sociétés discipli- naires et des sociétés de sécurité : au lieu d’être conçue comme un discipline por- tant directement sur la population, la bio- politique devenait un forme de pouvoir définie par la régulation de l’environne- ment naturel et artificiel (Sécurité, territoi- re, population, 1977-1978). Un second dé- placement a partie liée avec le projet d’une histoire de la gouvernementalité (Nais- sance de la biopolitique, 1978-1979) : alors que la biopolitique était présentée comme une technologie commune à la « l’État de police » et au libéralisme, il apparaît alors que le libéralisme doit être conçu comme le « cadre général de la biopolitique ».  Sur la généalogie du concept de biopolitique, voir M. Bertani, « Sur la généalogie du bio-pouvoir », in J.-C. Zancarini (dir.), Lectures de Foucault. A pro- pos de « Il faut défendre la société », ENS Éditions, 2001 ; Ph. Artières, E. Da Silva, « Introduction », in Dans la mesure où les articles consacrés par Foucault à la « médecine sociale » en 1976 constituent les seules véritables applications développées du concept de biopolitique, ils présentent un intérêt tout particulier. Même s’ils appar- tiennent à la phase initiale de la réflexion foucaldienne sur la « biopolitique », ils permettent d’interroger deux thèses qui continuent de jouer un rôle important dans les débats contemporains sur le statut des références à la vie et à la santé : la mé- decine sociale serait la forme par excellen- ce des références normalisatrices à la vie et à la santé qui caractérisent la biopolitique, et sous différentes modalités (santé publi- que, psychologisation et médicalisation Michel Foucault et la Médecine, Kimé, 2001 ; M. Sé- nellart, « Situation des cours », in M. Foucault, Sécu- rité, Territoire, Population, Seuil/Gallimard, 2004 ; G. Le Blanc, « Foucault et la médecine », in La Pensée Foucault, Ellipses, 2005.  M. Foucault, « Crise de la médecine ou crise de l’antimédecine », in Dits et Écrits (cité DÉ), Gal- limard, 1994, t. III, n° 170, p. 40-58 ; « La naissance de la médecine sociale », ibid., n° 196, p. 207-228 ; « L’incorporation de l’hôpital dans la technologie moderne », ibid., n° 229, p. 508-521 ; voir également « La politique de la santé au XVIIIe siècle », ibid., n° 257, p. 725-742. biopolitique, médecine sociale et critique du libéralisme emmanuel renault sation de la force de travail, d’une part, en distinguant les bons (infirmes et malades) et les mauvais (en bonne santé) pauvres, et d’autre part, sous forme de médecine du travail cœrcitive. La médecine sociale aurait alors visé deux buts principaux : a) une médicalisation de l’assistance destinée à la rendre plus efficace et moins coûteuse, b) le développement de contrôles médi- caux pour améliorer la qualité de la force de travail, c) tout en continuant à tenter de prévenir le développement d’épidémies à partir des quartiers miséreux des gran- des villes. De la police médicale du XVIIIe à l’hygiène publique du XIXe siècle, nous n’aurions donc affaire qu’à des déplace- ments, et les transformations de la méde- cine sociale s’expliqueraient par l’exten- sion d’un principe à des objets toujours plus nombreux et spécifiques, davantage que par des changements de principe : « les autres systèmes de médecine sociale aux XVIIIe et au XIXe ne sont que des dé- clinaisons atténuées [du] modèle profon- dément étatique et administratif […] in- troduit en Allemagne ». On peut certes considérer que la distinction de « l’État de police » et du « libéralisme » (introduite après la rédac- tion de ces articles) et l’identification du libéralisme au « cadre général de la biopo- litique » auraient été de nature à modifier cette présentation en introduisant un élé- ment de discontinuité dans la succession des trois étapes. Le mot d’ordre de l’État de police est « on ne gouverne jamais as- sez », alors que celui du libéralisme est « on gouverne toujours trop ». La gouver-  M. Foucault, « La naissance de la médecine so- ciale », ibid, p. 214-215.  M. Foucault, Naissance de la biopolitique. Cours au collège de France. 1978-1979, Gallimard/Seuil, 2004, p. 24.  M. Foucault, DÉ III, n° 274 : « La naissance de la biopolitique ». du travail social, émergence de la problé- matique des « risques psychosociaux »), elle constituerait en outre l’une des formes caractéristique du type de politisation de la vie qui est propre au libéralisme et à ses transformation néolibérales. biopolitique et libéralisme selon foucault Selon ces articles, la biopolitique précède le libéralisme. Même si la biopolitique vient après l’anatomo-politique, la « mé- decine sociale » serait déjà l’un des instru- ments de l’État de police du XVIIIe siècle. L’article « La naissance de la biopolitique » explique ainsi qu’en Allemagne tout parti- culièrement, une « police médicale » s’est développée alors qui faisait de la santé de la population un moyen d’accroître la puissance militaire et économique de l’État. La seconde étape du développe- ment de la médecine sociale correspon- drait aux transformations économiques et géographiques qui ont conduit à la crois- sance et à l’unification des villes au XVIIIe siècle. Celles-ci devenant le principal lieu des troubles sociaux et politiques, ainsi que l’objet de différentes craintes liées à la possibilité d’épidémies et de différentes formes de dégénérescence, elles auraient donné lieu à la naissance d’une « méde- cine urbaine » qui, tout particulièrement en France, tenta de contrôler la santé des populations par l’intermédiaire d’une « hygiène publique », dans le cadre d’une problématique de la « salubrité » et du « milieu ambiant ». Ce n’est que dans un troisième temps que la médecine se serait développée comme technique de normali-  Pour un examen du débat contemporain relatif à la médicalisation et à la psychologisation du social, voir Ch. Laval, E. Renault, « La santé mentale : une préoccupation partagée, des enjeux controversés », in J. Furtos, Ch. Laval, La Santé mentale en acte. De la clinique au politique, Érès, 2005. mineure multitudes34 philosophie des normes page196 nementalité libérale se définit comme une conduite des libertés, elle se propose tout à la fois de développer les libertés et de les contrôler à partir de leurs conditions, ce qui la conduit à prendre en charge les in- dividus dans les différentes sphères de leur existence, de leur naissance à leur mort. Mais du point de vue matérialiste qui est adopté par Foucault dans ces articles, il est aisé de comprendre comment la référence à la gouvernementalité libérale aurait pu être interprétée en termes continuistes. Selon Foucault, le développement de la médecine sociale doit être référé au déve- loppement du capitalisme. On peut com- prendre que ce soit une même exigence de discipliner, contrôler et normaliser la vie au profit du capitalisme qui ait conduit dans un premier temps à mobiliser les techniques de pouvoir propres à l’État de police, avant d’avoir recours ensuite à celle de la gouvernementalité libérale. On peut comprendre aussi que c’est seulement sous le régime libéral que la médecine sociale a pu trouver toute son importance sociale et tout son développement, et qu’elle a pu servir de nouveaux objectifs fonctionnels sans nécessairement être remaniée dans ses principes. D’après Foucault, le libéralisme ne peut pas être réduit à une simple idéo- logie au service d’une classe dominante, pas plus qu’à une théorie et une pratique politique destinées à limiter le pouvoir de l’État au nom des droits individuels. Bien plutôt, il doit être conçu comme une nouvelle manière de gouverner centrée sur l’institutionnalisation des libertés. Il  M. Foucault, La naissance de la biopolitique, op. cit., cours du 24/01/79.  M. Foucault, « La naissance de la médecine so- ciale », op. cit., p. 209-210. Voir également dans La Volonté uploads/Politique/ renault-biopolitique-medecine-sociale-et-critique-du-liberalisme.pdf

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