LA FRANCOPHONIE : essence culturelle, nécessité politique Session octobre 2016

LA FRANCOPHONIE : essence culturelle, nécessité politique Session octobre 2016 - 1 - SEANCE 5 : QUEL AVENIR POUR LA FRANCOPHONIE ? B. Les facteurs d’attractivité de la Francophonie Cette avant dernière séquence est centrée sur l’attractivité de la Francophonie. L’attractivité constitue un élément d’ordre symbolique qui repose sur des idées reçues mais aussi sur des éléments concrets et réels. Nous nous y intéressons parce que la position et la dynamique des différents espaces linguistiques, et donc leur avenir dépendent pour beaucoup de ces facteurs d’attractivité. 1. Différents discours sur la Francophonie D’abord examinons les éléments symboliques. En particulier, on peut distinguer plusieurs discours très différents sur la langue française qui sont parfois assez éloignés de la réalité. 1.1. Le discours positif Le premier discours, issu du XVIIIè siècle et que l’on rencontre encore ici où là, peut être qualifié de discours positif. Il encense les qualités imaginaires de la langue française, qui serait plus claire, plus précise, en un mot mieux faite pour discourir du monde. Notons qu’aujourd’hui, le discours positif s’est plutôt reporté sur l’anglais et sur sa supposée supériorité pour traiter des affaires du monde moderne, comme si dans l’imaginaire collectif, il fallait qu’une langue soit dominante. Nous savons cependant et depuis longtemps que cette vision d’une langue supérieure à d’autres n’est basée sur aucune réalité et est, par ailleurs, toujours éphémère. 1.2. Le discours défaitiste Un second discours, que l’on entend souvent en France peut être qualifié de défaitiste. Beaucoup de français pensent en effet que leur langue est en régression et qu’elle n’est plus adaptée à un monde moderne. Ce discours, comme nous l’avons vu, correspond à une image faussée de la réalité en négligeant fortement la très grande vitalité de la production culturelle en français et son aura international. « Discours sur l’universalité de la langue française » (1784–Antoine de Rivarol) Tour Eiffel. Source : https://www.flickr.com/photos/sa datshami/8312077987 (Sadat Shami) LA FRANCOPHONIE : essence culturelle, nécessité politique Session octobre 2016 - 2 - 1.3. Le discours utilitariste Ceci nous conduit à un troisième discours, que nous qualifions d’utilitariste et qui revient à juger d’une langue en fonction de son utilité. En général, la vision utilitariste confond ou néglige les fonctions d’une langue en la simplifiant à son rôle de communication et en oubliant les fonctions d’identité, de support de la culture ou de capacité à agir dans le monde. Dans cette vision, l’humanité n’aurait besoin que d’une langue… Avant-hier le latin, hier le français, aujourd’hui l’anglais et peut être demain le chinois… Il s’agit donc d’une approche naïve de l’univers des langues. Progression du nombre de locuteurs des langues mondiales (en millions) 1.4. Le discours triomphaliste A rebours du défaitisme, on voit aussi apparaitre un quatrième discours, triomphaliste, qui nous annonce une croissance record du nombre de francophones et donc d’un poids de plus en plus grand de la Francophonie. Nous sommes là encore loin de la réalité, car ce discours se base sur une projection sur 30 ans, un peu floue et évidement incertaine. Tour de Babel. Source : https://en.wikipedia.org/wiki/Tower_of_Babe l#/media/File:Pieter_Bruegel_the_Elder_- _The_Tower_of_Babel_(Vienna)_- _Google_Art_Project_-_edited.jpg (Pieter Bruegel) LA FRANCOPHONIE : essence culturelle, nécessité politique Session octobre 2016 - 3 - 1.5. Conclusion partielle Comme vous le constatez, ces différents discours, et peut être bien d’autres, sont souvent emmêlés et mélangés, coexistant tous ensemble et s’opposant en permanence. Ils sont construits sur des idées reçues un peu sommaires et négligent ou oublient les fonctions essentielles des langues. Le modèle de référence est toujours l’anglais, sauf que l’anglais que l’on évoque en permanence est une langue internationale qu’il conviendrait de nommer autrement, « globish » par exemple (Jean-Paul Nerrière, Parlez globish : L'anglais planétaire du troisième millénaire, Eyrolles, 2011), car c’est une langue simplifiée, plus facile et rapide d’emploi et qui permet effectivement de traiter des affaires simples avec des coûts raisonnables. Ce « globish » n’est cependant pas l’anglais, en tout cas, pas l’anglais de Shakespeare ou celui de James Joyce et il ne permet ni d’écrire de la poésie ni de philosopher sur le besoin et les modalités démocratiques de plus d’éthiques en bio-ingénierie ou en nanotechnologie… Il s’agit d’un instrument de travail et d’échange principalement porteur de la seule fonction de communication. 2. La question de l’attractivité A côté des éléments symboliques que nous venons de dénombrer, la langue française est forte de quelques éléments plus objectifs et assez positifs d’attractivité. 2.1. Attractivité de la Francophonie en tant qu’acteur des relations internationales Céline Carère et Maria Massood dans un récent rapport (Le poids économique de la langue française dans le monde, rapport au MAEE français, décembre 2012,) sur la francophonie économique proposent quelques chiffres pour caractériser l’espace francophone. Ainsi, il représenterait 5.5% des ressources pétrolières mondiales, 6,5% de la LA FRANCOPHONIE : essence culturelle, nécessité politique Session octobre 2016 - 4 - population du globe, 8,4% du PIB, 11% des terres agricoles et 14% d’IDE (investissement directs étrangers). Bien sûr ces chiffres sont discutables car ils dépendent pour beaucoup de la façon dont on circonscrit l’espace francophone. Ainsi, dans son rapport récent, Jacques Attali présente des chiffres légèrement supérieurs. Toujours est-il qu’on peut considérer que la Francophonie toute entière pèse autour de 10% dans le monde actuel. C’est peu. En même temps c’est beaucoup et l’on peut se demander pourquoi cette organisation est si attractive qui a réussi à rassembler aujourd’hui 40% des pays membres de l’ONU. D’abord et nous l’avons déjà dit, pour les petits pays, c’est une très bonne tribune pour agir de concert et pour faire du lobbying au niveau international. Pour d’autres pays, c’est aussi un espace politique qui pourrait peser dans les évolutions du monde contemporain, d’autant qu’il semble pouvoir porter un projet alternatif. La Francophonie institutionnelle s’est en effet donnée des missions et objectifs stratégiques qui promeuvent un modèle de société respectueux des biens communs de l’Humanité (cf. les langues et les cultures, l’éducation, l’environnement dans le cadre du développement durable …) et basé sur les valeurs de solidarité, de dialogue et de démocratie. En ont témoigné les actions de l’OIF pour l’adoption en 2005 de la Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion LA FRANCOPHONIE : essence culturelle, nécessité politique Session octobre 2016 - 5 - de la diversité des expressions culturelles ou le non francophone à l’intervention américaine en Irak lors du Sommet de Beyrouth. Enfin l’espace francophone constitue un espace de solidarité au niveau des États mais aussi au niveau des collectivités locales (cf. les actions menées par les régions, les villes et, selon les pays, les différentes collectivités territoriales), au niveau des ONG, et plus généralement au niveau des acteurs de la vie culturelle et sociale. Il ne s’agit pas ici de simples survivances de l’histoire coloniale comme le montrent, par exemple, les politiques de coopération menées par le Québec ou l’engagement de Région wallonne en Asie du Sud-Est. 2.2. Attractivité de la langue française Au-delà de ces aspects politiques, la Francophonie est également attractive du fait de sa langue, la langue française. Si l’on regarde les autres langues, nous pouvons constater que : Dans tous ces cas, du fait de son histoire et de sa culture humaniste, scientifique ou technique, le français reste très attractif et demeure donc un des moteurs de l’attractivité de la Francophonie. Si l’on prend le cas des sciences juridiques, par exemple, le français est aujourd’hui, plus que jamais, avec l’anglais une des deux grandes langues mondiales du droit et représente face au monde anglo-saxon une véritable alternative de valeur. LA FRANCOPHONIE : essence culturelle, nécessité politique Session octobre 2016 - 6 - La langue française détient par ailleurs une place particulière dans le monde des langues occidentales. Très proche des grandes langues romanes comme l’espagnol ou le portugais, c’est aussi une langue qui affiche une grande proximité avec l’anglais dont elle partage 40% du vocabulaire. Le français est alors une sorte de langue tremplin parmi les grandes langues de notre monde… Enfin, je souhaiterai donner l’exemple des prix Nobel de littérature en français pour illustrer la force et la vitalité de la langue française et souligner ses problèmes. La France est, en effet, le pays qui a le plus de lauréats du prix Nobel de littérature avec 15 auteurs couronnés et la langue française est la seconde langue après l’anglais en terme de nombre de lauréats. On constate à travers cet indicateur que la langue française rayonne dans le monde entier depuis un siècle et de manière constante année après année (il n’y a pas de baisse des attributions). On voit aussi qu’un des problèmes de ce rayonnement culturel est qu’il reste centré sur la France. 2.3. Attractivité de l’espace francophone Enfin un troisième facteur d’attractivité est lié à l’espace francophone lui-même. Comme nous l’avons vu, cet espace pèse grossièrement pour 10% dans le monde, à la fois économiquement, en population, en surface et en ressources. C’est aussi aujourd’hui un espace où l’on retrouve des pays parmi les plus riches, mais aussi des pays avec les taux de LA FRANCOPHONIE : essence culturelle, nécessité politique Session octobre uploads/Politique/ seance-5-b-les-facteurs-d-x27-attractivite-de-la-francophonie.pdf

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