Hannah Arendt Qu’est-ce que la politique ? TEXTE ÉTABLI PAR URSULA LUDZ TRADUCT

Hannah Arendt Qu’est-ce que la politique ? TEXTE ÉTABLI PAR URSULA LUDZ TRADUCTION DE L’ALLEMAND ET PRÉFACE DE SYLVIE COURTINE-DENAMY Éditions du Seuil Dans la première édition de cet ouv rage, publiée dans la collection « L’Ordre Philosophique », dirigée par Barbara Cassin et Alain Badiou, le lecteur trouv era des annexes concernant l’établissement des textes d’Hannah Arendt qui constituent la présente édition. Titre original : Was ist Politik ? Éditeur original : Piper Verlag ISBN original : 3-492-0361 8-X © original : R. Piper GmbH & Co KG, Munchen, 1 993 ISBN 97 8-2-02-0481 90-8 (ISBN 2-02-021 7 69-4 lre publication) © Editions du Seuil, nov embre 1 995, pour la traduction française et la préface Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collectiv e. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ay ants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suiv ants du Code de la propriété intellectuelle. Préface Le Sahara en Afrique n’est qu’une forme de désert1. Les textes de Hannah Arendt que nous traduisons ici sous l’intitulé Qu’est-ce que la politique ? sont nés d’une rencontre avec l’éditeur allemand Piper en 1955 qui lui avait proposé d’écrire une « Introduction à la politique »2. Hannah Arendt s’occupa pendant de nombreuses années de ce projet qui devait être prêt pour le printemps 1958. Elle préparait alors la publication des six conférences Walgreen sur « Le travail du corps humain et l’œuvre de nos mains », prononcées en avril 1956 à l’université de Chicago, où elle avait exposé sa réflexion sur le travail, l’œuvre, l’action, première ébauche de La Condition de l’homme moderne. Elle préparait en outre la version allemande de Fragwürdige Traditionsbestände im politischen Denken der Gegenwart qui parut en 19573 et dont quatre articles allaient être réintégrés à La Crise de la culture. Enfin, elle écrivait sa conférence sur la révolution hongroise4, le système des Conseils lui apparaissant comme la seule résistance possible face au totalitarisme. Comme le montre sa lettre à Piper datée d’avril 19595, elle prit du retard, et le projet avait subi de nombreuses modifications, au point que le chapitre originellement prévu sur la guerre et la révolution étant devenu matière à un volume entier elle se proposait d’écrire un second volume répondant à la question « La politique a-t-elle finalement encore un sens ? ». La lettre adressée en décembre 1959 à la Fondation Rockefeller6 en vue d’obtenir une subvention lui permettant de mener à bien sa tâche est encore plus instructive. On y apprend que ses plans remontaient à l’année 1955 pour le moins, qu’elle disposait de larges extraits au brouillon et qu’une des raisons pour lesquelles elle avait dû différer ce projet tenait à la rédaction concomitante de La Condition de l’homme moderne, publiée en 1958. Plus encore, de l’aveu d’Arendt, La Condition de l’homme moderne, où sont analysés le Travail, l’Œuvre et l’Action, était conçue comme « une sorte de prolégomène au livre que j’ai l’intention d’écrire maintenant […] [et qui] reprendra la question à l’endroit où s’achève le précédent. Il sera exclusivement centré sur l’action et la pensée ». Face au refus de la Fondation, Hannah Arendt renonça à son projet qui ne survécut plus que sous la forme de conférences : « Introduction à la politique »7 et « Philosophie et politique : qu’est-ce que la philosophie politique ? »8, sans pour autant détruire les manuscrits. Ils sont au nombre de sept : aucun n’étant daté, l’éditeur allemand, Ursula Ludz, s’en est chargé ainsi que de leur classement9. Les fragments 1, 2a, 2b auraient donc été rédigés entre 1956 et 1957, les fragments 3a, 3b, 3c, 3d entre 1958 et 1959. L’éditeur leur a rajouté un chapitre prévu sur « La position socratique » qui n’a pas été écrit1 0 et, très judicieusement, la conclusion d’un cours que Hannah Arendt avait prononcé au début de l’année 1955 à l’université de Berkeley, intitulée « Du désert et des oasis »1 1. Quels sont les concepts dont Hannah Arendt dispose en 1955 alors qu’elle commence à réfléchir à la question « Qu’est- ce que la politique ? » ? Hannah Arendt avait publié sa thèse sur saint Augustin en 19291 2. Elle retient de lui sa situation, la brèche entre passé et futur, le moment de l’éclatement de la triade romaine religion, autorité, tradition, la faculté centrale en l’homme de la mémoire, l’expression vita activa sous la forme de la vita negotiosa ou actuosa, traduction du bios politikos d’Aristote, « vie consacrée aux affaires politico- publiques », le motif du commencement, de l’initiative, et elle fera de lui le premier philosophe de la volonté. Elle a également presque terminé de rédiger le manuscrit de Rahel Varnhagen, La vie d’une juive allemande à l’époque du romantisme1 3 auquel il ne manquait que deux chapitres au moment où elle fuit l’Allemagne nazie, et publié Sechs Essays1 4 qui deviendront Die verborgene Tradition : Acht Essays1 5, c’est-à-dire La Tradition cachée. Elle a donc perçu la nature du piège que constitue l’assimilation, élaboré les catégories du parvenu et du paria, mis au jour les concepts d’acosmisme et d’isolement, et démontré l’impuissance des droits de l’homme. Elle avait enfin publié en 1951 The Origins of Totalitarianism1 6. Outre l’analyse des éléments de la haine des juifs et de l’élément de l’expansion, on trouve dans ce livre une analyse des masses modernes, caractérisées par l’absence de chez-soi, de racines, d’intérêt commun (l’inter-est cicéronien). Hannah Arendt y récuse également l’assimilation des idéologies totalitaires à une nouvelle religion1 7, tire les conséquences de l’abolition entre privé et public, affirme le caractère inédit du totalitarisme par rapport à la tyrannie1 8, s’interroge sur la perte du sens commun – sens politique par excellence –, sur ce mal qu’elle nomme tantôt absolu et tantôt radical, sur la disproportion entre crime et châtiment, et enfin sur l’impossibilité du pardon. En fait, Hannah Arendt, à l’issue de son projet d’étudier les éléments totalitaires du marxisme dans Le Système totalitaire, tentait d’élaborer une nouvelle science du politique. Tout ce qu’elle écrivit entre 1952 et 1956 était destiné à l’origine à un livre sur le marxisme qu’elle préparait, qui ne vit jamais le jour, mais dont elle soumit quatre chapitres1 9 à la Fondation Guggenheim. S’efforçant de comprendre la montée des systèmes totalitaires, elle faisait apparaître avec Marx un point de rupture par rapport à la tradition20. Pour dégager la spécificité des régimes totalitaires, elle retraçait l’historique de la loi et du pouvoir, fondements traditionnels des formes de gouvernement, et se référait à Montesquieu pour distinguer le totalitarisme de la tyrannie. Dans sa lettre à la Fondation Rockefeller, nous l’avons vu, Hannah Arendt affirmait que La Condition de l’homme moderne ne serait qu’« une sorte de prolégomène » au livre qu’elle avait maintenant l’intention d’écrire et qui reprendrait la question à l’endroit où s’achevait précisément le précédent. « Il sera exclusivement centré sur l’action et la pensée », précisait-elle. Si nous nous souvenons en outre que, dès la fin de La Condition de l’homme moderne, Vita activa dans l’édition allemande, elle reconnaissait que son principal défaut consistait à « considérer la vita activa du point de vue de la vita contemplativa sans jamais rien dire de réel à propos de la vita contemplativa », annonçant ainsi son complément La Vie de l’esprit21, il faut bien reconnaître qu’il s’agit là en quelque sorte d’une trilogie, Qu’est-ce que la politique ? constituant le maillon intermédiaire entre les deux grandes œuvres. A la fin de La Condition de l’homme moderne, s’interrogeant sur la permanence de la capacité d’agir à l’âge moderne, Hannah Arendt constatait que, si elle est bien toujours présente, elle est toutefois devenue le privilège des hommes de science dont le champ d’action est la nature22, l’univers, et non le réseau des relations humaines. Ce qui leur manque, c’est le « caractère révélatoire de l’action comme de la faculté de produire des récits et de devenir historique, qui à eux deux forment la source d’où jaillit le sens23 ». En ce qui concerne les conditions de possibilité de l’exercice de la pensée, forme suprême et vulnérable de l’action, « elle reste possible partout où les hommes vivent dans des conditions de liberté politique24 ». C’est précisément cette problématique que reprend Qu’est-ce que la politique ?. On y trouve une première affirmation : « La politique repose sur un fait : la pluralité humaine25. » Le présupposé de la politique serait ainsi la pluralité. La Condition de l’homme moderne affirme pour sa part l’équivalence du vivre, c’est-à- dire du fait d’occuper une place dans le monde qui est toujours plus vieux que nous et qui nous survivra, et de l’inter homines esse, la pluralité apparaissant spécifiquement comme « la condition per quam de toute vie politique » (p. 42). « La pluralité est la loi de la terre », reprendra en écho La Vie uploads/Politique/ quest-ce-que-la-politique-hannah-arendt.pdf

  • 24
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager