Le Racisme Y Z Pierre-André Taguieff Directeur de Recherche au CNRS Le Multicul

Le Racisme Y Z Pierre-André Taguieff Directeur de Recherche au CNRS Le Multiculturalisme Y Z Michel Wieviorka Directeur du CADIS (EHESS) 1998 Cahier du CEVIPOF n° 20 Le Racisme - Le Multiculturalisme Les deux textes présentés ci-dessous sont issus de séances des “ Lundis du CEVIPOF ”, au cours desquels, une fois par mois, des chercheurs exposent leur recherche, d’une manière synthétique, sur un thème rattaché à un ensemble plus large. En 1996-1997, le thème d’ensemble traité était : “ les mots de la politique ” (Mots, modes et modes d’emploi). Lundi 25 novembre 1996 : Pierre-André TAGUIEFF : “ Le racisme ” Lundi 13 janvier 1997 : Michel WIEVIORKA : “ Le multiculturalisme ” Lundi 3 février 1997 : Sophie DUCHESNE : “ La citoyenneté ” (les cahiers du CEVIPOF N°18) Lundi 3 mars 1997 : Odile RUDELLE : “ Le modèle républicain ” (les cahiers du CEVIPOF N°16) Lundi 5 mai 1997 : Lucien JAUME : “ Le libéralisme ” (les cahiers du CEVIPOF N°18) Lundi 2 juin 1997 : Gil DELANNOI : “ La démocratie ” (les cahiers du CEVIPOF N°18) Cahier du CEVIPOF n° 20 1 Le Racisme - Le Multiculturalisme En 1997-1998, le programme était sur : “ Crise de la gouvernance et globalisation ” Lundi 1er décembre 1997 : Jean LECA : “ Démocratie et globalisation ” Lundi 19 janvier 1998 : Daniel BOY : “ Sciences, politiques publiques et citoyenneté ” Lundi 9 février 1998 : Patrick LE GALES : “ Gouvernance des territoires, intégration européenne et mondialisation ” Lundi 16 mars 1998 : Thierry VEDEL : “ Peut-on gouverner les nouvelles techniques de communication ? ” Lundi 6 avril 1998 : Elie COHEN : “ Politiques publiques institutionnelles : l’interdépendance des banques centrales ” Lundi 25 mai 1998 : Pierre MULLER : “ Gouvernance européenne et globalisation ” Cahier du CEVIPOF n° 20 2 Le Racisme - Le Multiculturalisme Y Sommaire Z I- L E R A C I S M E - P i e r r e - A n d r é T A G U I E F F .......................4 I N T R O D U C T I O N .....................................................................................4 Expliquer le racisme, repenser l'antiracisme ...........................................4 I. UN PHENOMENE INHERENT A LA NATURE HUMAINE ? RACISME = ETHNOCENTRISME ........................................................................................22 II. LA THEORIE MODERNITAIRE ELARGIE ......................................................39 1. Le mythe du « sang pur »....................................................................40 2. L'hypothèse du désir d'homofiliation physique et culturelle...............44 3. Le système des castes : un pseudo-racisme ........................................49 III. LE TERME DE « RACISME » : ENTRE UNE EXTENSION IMMODEREE ET UNE DEFINITION ULTRA-RESTRICTIVE...........................................................52 1. La théorie ultra-restreinte du racisme selon Lévi-Strauss..................55 2. « Race » et « racisme » dans le langage ordinaire.............................61 3. Le néo-racisme : hypothèses et interrogations ...................................67 IV. SUR L'ANTIRACISME ...............................................................................77 1. De l'éducation scientifique de l'humanité à la répression judiciaire des « racistes » : un demi-siècle d'antiracisme.......................................79 2. Portée et limites d'un modèle critique : le « racisme institutionnel » ........................................................................................89 3. L'erreur d'interprétation « dispositionnaliste »..................................96 C O N C L U S I O N ......................................................................................102 I I - L E M U L T I C U L T U R A L I S M E - M i c h e l W I E V I O R K A ...105 C O N C L U S I O N ......................................................................................126 Cahier du CEVIPOF n° 20 3 Le Racisme I- L e R a c i s m e Pierre-André TAGUIEFF I n t r o d u c t i o n Expliquer le racisme, repenser l'antiracisme Unanimement condamné depuis un demi-siècle, le racisme n'a pas pour autant disparu. Il s'est métamorphosé, au point d'être devenu parfois méconnaissable. Et il s'est, à bien des égards, planétarisé. Il s'est par là même banalisé, normalisé. Sa forte spécificité scandaleuse, liée à son exceptionnalité visible, semble s'être effacée, comme diluée. Reconnu à peu près partout, en toute passion négative (haine, mépris, ressentiment), en toute discrimination et en toute forme d'exclusion, voire en toute extermination de masse — interprétée spontanément comme « génocide », donc comme réalisation planifiée d'un programme politique « raciste » —, il est devenu conceptuellement flou et paraît désormais faire partie du paysage. Le Mal absolu est devenu le mal ordinaire. Un malaise s'est insinué dans la dénonciation du « racisme ». Cahier du CEVIPOF n° 20 Le Racisme Nous présupposerons donc d'abord que ce qu'il est convenu d'appeler « le racisme » n'a point cessé, en dépit de la banalisation du terme, liée à un sur-emploi croissant, de poser des problèmes de définition, et, ensuite, que la lutte contre le racisme doit toujours et encore être interrogée, non seulement quant à son efficacité, voire à son utilité sous certaines formes et dans certains contextes, mais aussi et surtout quant à ses fondements. Car il faut bien constater, à explorer la littérature savante sur « le racisme », que celle-ci nous place devant des approches extrêmement diverses et des conceptualisations souvent incompatibles de l'objet « racisme ». Or, les conceptions différentes du racisme impliquent des visions différentes de l'antiracisme. Pour clarifier la question, il faut faire le détour par l'histoire et les sciences sociales, non sans problématiser les modèles d'intelligibilité et les données qu'elles fournissent, au regard d'exigences relevant de l'épistémologie, mais non moins de la philosophie morale et de la philosophie politique. On se contente le plus souvent, y compris dans certains travaux savants, de définir le racisme, en premier lieu, par la biologisation du différent ou des différences pour naturaliser une infériorité attribuée ou établir une classification hiérarchisante des groupes humains, et, en second lieu, comme l'ensemble des attitudes et des conduites exprimant une « horreur des différences », un irrésistible et fondamental « refus de l'autre », une posture ou une disposition Cahier du CEVIPOF n° 20 5 Le Racisme hétérophobe 1. Le problème définitionnel est loin d'être réglé pour autant. Il convient tout d'abord de faire des distinctions conceptuelles, de dissocier ce qui est amalgamé dans le sens commun et le discours ordinaire. Nous distinguerons par exemple le racisme classique, biologique et inégalitaire, et le néo-racisme, différentialiste et culturel, qui ne biologise pas le différent 2. Ou encore le racisme de type universaliste fondé sur un déni d'identité et le racisme de type différentialiste fondé sur un déni d'humanité. Précisons cette distinction fondamentale : le racisme dérivant de l'universalisme abstrait ne reconnaît pas la dignité spécifique de tel ou tel groupe, et il se reconnaît à son refus absolu du droit à la différence, à sa négation de la diversité humaine comme valeur (il est donc hétérophobe) ; alors que le racisme dérivant de la vision différentialiste radicale consiste à sacraliser les différences, phénotypiques ou culturelles, entre les groupes humains, il ne reconnaît pas une égale dignité humaine aux membres de tous les groupes, il nie donc la commune nature des humains (il pourrait être dit hétérophile). On doit également se garder de confondre le racisme d'exploitation (illustré par le colonialisme européen ou le système esclavagiste moderne) et le racisme d'extermination, incluant un projet 1. Voir : Albert Memmi, Le Racisme. Description, définition, traitement, Paris, Gallimard, 1982, p. 115-118 ; Pierre-André Taguieff, Les Fins de l'antiracisme, Paris, Michalon, 1995, p. 302-304. 2. Voir Pierre-André Taguieff, La Force du préjugé. Essai sur le racisme et ses doubles, Paris, La Découverte, 1988 (puis Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1990), p. 14 et suivantes. Cahier du CEVIPOF n° 20 6 Le Racisme génocidaire plus ou moins explicite (le régime nazi en fournit l'illustration historique la plus visible). Cette importante distinction a été introduite en 1967 par la philosophe Jeanne Hersch 3. Enfin, c'est un fait social observable que, dans la récente période post-nazie, la norme antiraciste a été non seulement intériorisée par les citoyens des Etats démocratiques-pluralistes, notamment du fait de l'action des organisations antiracistes, mais encore institutionnalisée, à travers des législations antiracistes, permettant de sanctionner les actes jugés racistes comme des délits. Le racisme n'a pas pour autant disparu, mais ses modes de manifestation sont devenus inavoués, honteux, et, partant, ses expressions se sont faites indirectes et implicites. Bref, le racisme est largement devenu symbolique et voilé, n'apparaissant plus qu'exceptionnellement dans l'espace public sous la forme d'actes flagrants ou de propos explicites susceptibles de tomber sous le coup de la loi sans ambiguïté. Le racisme peut aussi exercer ses effets à l'état diffus, à travers les normes culturelles et sociales en cours, ainsi que dans le fonctionnement même des institutions. L'hypothèse, déjà classique (et beaucoup discutée) en sciences sociales, du « racisme institutionnel », qui fut esquissée vers 1967-1968 aux Etats-Unis, portait précisément sur cette dimension cachée du racisme dans la société américaine (voir infra, IV, 2). 3. Jeanne Hersch, « Sur la notion de race », Diogène, n° 59, juillet- septembre 1967, p. 127-128. Cahier du CEVIPOF n° 20 7 Le Racisme Ces difficultés et ces interrogations conduisent à poser la question, fort épineuse, des critères d'identification ou de reconnaissance des formes du racisme, uploads/Politique/ taguieff-wieviorka.pdf

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