1 La morale et la politique I QU’EST-CE QUE LA POLITIQUE ? En un premier sens,

1 La morale et la politique I QU’EST-CE QUE LA POLITIQUE ? En un premier sens, la politique désigne la quête et l’exercice de l’autorité publique (autrement dit le pouvoir légitime, ou à tout le moins celui que est reconnu de fait comme tel) au sein de la communauté des citoyens (ou communauté politique). Étymologiquement le terme renvoie au substantif « polis », terme du grec ancien que les Latins ont traduit par « civitas » et qu’on rend le plus souvent en français par « cité » ou par « cité-État »1. La polis grecque, 1 polis peut aussi est traduit par « ville », ainsi « l’acropole » dé- signe, dans les villes grecques, la « ville haute » 2 formée le plus souvent de la réunion de plusieurs villages, était une forme d’organisation de la vie en commun dans laquelle des citoyens libres s’engageaient à vivre selon des règles communes, les lois (en grec ancie : oi nomoi), parfois rassemblées dans une constitution écrite, ce qui se dit en grec politeia mot de la même famille que polis. Il n’y a donc pas de « cité » sans lois, et pas de lois sans institutions qui les fondent. « Polis : l’agglomération urbaine d’une multitude de personnes qui se soumettent à des décrets communs. Il s’agit d’une pluralité d’hommes vivant sous la même loi. » Attribué à Platon, Définitions (415c) (trad. François Deviers-Jonlon). Pour le citoyen libre, la cité constituait, au Ve siècle av. J.-C., le « pôle » autour duquel son existence devait graviter au point qu’une vie heureuse ou une vie accomplie ne pouvait se concevoir hors de l’exercice effectif de sa citoyenneté, autrement dit sans la participation aux décisions politiques engageant sa cité. Rappelons que dans la Grèce classique certaines fonctions publiques, notamment les fonctions d’exécution (celle de police, par exemple) étaient remplies par des es- claves. La forme la plus éminente de communauté était la polis, la commu- nauté politique donc, étant entendu que les Grecs, à la différence des modernes, n’ont pas théorisé distinction entre la société et l’État (L’État) : « Puisque toute polis, nous le voyons, est une sorte de communauté, et que toute communauté est constituée en vue d’un bien déterminé […], il est clair, étant donné que toutes les communautés visent un bien déterminé, que le bien suprême entre tous est la fin de la communauté la plus éminente entre toutes […] : c’est celle qu’on appelle polis ou communauté politique. » Aristote, La Politique, I, 1, 1252 a1-7 (trad. originale Jean Montenot). L’atteste, de manière éminente et sans doute idéalisée, l’attitude exemplaire de Socrate, citoyen d’Athènes, qui refuse de s’évader de sa prison, alors qu’il a été injustement – quoique légalement – condamné à mort par le peuple athénien. Accepter de s’enfuir revenait en effet à ruiner l’autorité des lois de la cité au nom desquelles il a été condamné. Socrate précise à Criton, son vieil ami issu du même « dème » (village) 3 que lui et qui venait d’organiser son « évasion », qu’il est autant l’enfant des lois de la cité que celui de ses parents. C’est dans la fameuse « pro- sopopée des Lois, discours que Socrate prête aux Lois de la Cité, qu’il développe cet argument : Socrate : – « Examinons donc, Socrate, continueraient-elles peut- être, si nous avons raison de trouver injuste ce que vous entreprenez contre nous ? Nous vous avons fait naître, nous vous avons nourri, nous vous avons élevé ; enfin, nous vous avons fait comme aux autres citoyens tout le bien dont nous avons été capables. Cependant nous ne laissons pas de déclarer qu’il est permis à chaque particulier, après qu’il aura bien examiné les lois et les coutumes de la Cité, et qu’il en aura fait l’essai, s’il n’y trouve pas son compte, de se retirer où il lui plaira avec tout son bien. Et s’il y a quelqu’un de vous qui, ne pouvant s’accoutumer à nos manières, veuille aller habiter ailleurs, pas une de nous ne lui fait obstacle et ne lui défend de s’en aller avec sa fortune où bon lui semblera. Mais d’un autre côté, si quelqu’un demeure, après avoir bien considéré de quelle manière nous exerçons la justice, et comment pour le reste nous administrons la Cité, dès lors nous disons qu’il s’est engagé à faire tout ce que nous lui commanderons, et s’il désobéit, nous soutenons qu’il est injuste de trois manières : en ce qu’il n’obéit point à celles qui l’ont fait naître, en ce qu’il foule aux pieds celles qui l’ont élevé, enfin en ce qu’après s’être engagé à nous obéir, il s’y refuse, et ne se donne pas même la peine de nous adresser quelque remontrance, s’il nous arrive de commettre une injustice. Et quoique nous nous contentions de proposer les choses, sans user d’aucune violence pour nous faire obéir, et que nous lui donnions même le choix, ou d’obéir ou de nous ramener par ses conseils, il ne fait ni l’un ni l’autre. » Platon, Criton (51c-52a) (trad. P. Allain, modifiée), Delalain,1878, p.65 LA LIBERTÉ ET LA PLURALITÉ HUMAINES, CONDITIONS DE LA POLITIQUE La politique présuppose, au moins en principe, que les hommes, en tout cas certains d’entre eux, soient à même d’agir les uns sur les autres dans un cadre déterminé par des règles et qu’ils puissent avoir une in- 4 fluence sur la destinée des collectivités dont ils sont les membres. Aussi peut-on dire que la liberté et la pluralité humaine sont les deux condi- tions fondamentales de la politique. Peut-être faut-il y ajouter la condi- tion d’égalité ? « Être-libre et vivre-dans-une-polis étaient en un certain sens une seule et même chose. […] Au sens grec, le politique doit donc être compris comme étant centré sur la liberté, la liberté étant elle- même entendue de façon négative comme le fait de ne-pas- gouverner-ni-être-gouverné, et, positivement, comme un espace qui doit être construit par la pluralité et dans lequel chacun se meut parmi ses pairs. Sans une pluralité d’autres hommes qui sont mes pairs, il n’y aurait pas de liberté, et c’est la raison pour laquelle celui qui gouverne d’autres hommes et qui, de ce fait même, est essentiellement différent d’eux, quand bien même est-il plus heureux et plus enviable que ceux qu’il gouverne, n’est pas pour autant plus libre. » Hannah Arendt, « Introduction à la politique II » (1958), in Qu’est-ce que la politique ? (trad. Sylvie Courtine), Points-Seuil, 2001, p. 76-77. UNE SOCIÉTÉ POLITIQUE A BESOIN POUR MAINTENIR SA COHÉSION D’INSTITUTIONS, REFLET DE SES MŒURS ET DE SES COUTUMES Le terme de société désigne un groupement d’hommes fondé sur des relations d’interdépendance entre les individus qui en font parties. Ces relations ne vont bien sûr pas de soi et toute société peut être caractérisée par le type et la nature du lien social qui unit ses membres. Le mot reflète d’ailleurs dans ses usages courants cette diversité : parler de la « bonne société » ou de la « haute société », c’est reconnaître implicitement que la société renvoie à une réalité stratifiée et, au fond, assez souple et assez mobile. L’existence et la reproduction des sociétés sont condition- nées par un ensemble d’institutions (l’école, les diverses administra- tions de l’État et les organismes engendrant des règlements) qui viennent s’ajouter aux manières de vivres habituelles, autrement dit les mœurs et les coutumes, autres sources de normativité. C’est à partir de cet ensemble que se comprend la genèse des normes qui règlent les rapports entre les individus et, en retour, cet appareil 5 normatif se fondent sur les valeurs éthiques et politiques que la société considère comme opératoires. Les institutions, au premier rang des- quelles il faut compter la langue (Le Langage), se présente comme ce que les hommes établissent pour garantir l’unité et la pérennité d’une société. Les sociétés humaines doivent ainsi veiller plus ou moins consciemment à préserver les conditions de leur reproduc- tion. Les moyens sont multiples et varient beaucoup suivant les cultures et les époques : les sociétés primitives ne fonctionnent pas selon les mêmes formes institutionnelles que les sociétés industrielles contemporaines. Pour autant, on peut soutenir que la dimension institutionnelle de la politique relève de quelque chose qui s’apparente le plus souvent au montage ou au bricolage. Les institutions tiennent debout dans la me- sure où elle suppose une sorte de mensonge, plus ou moins conscient, un mensonge nécessaire à son collage même. C’est en tout cas le point de vue de Pierre Legendre : « Il m’arrive de définir les institutions comme le lieu où tout le monde vient pour s’y mentir à l’aise. Cela n’est ni de l’humour ni une mince formule. Tous les systèmes d’institutions sont construits sur cette certitude : ça ment ». Pierre Legendre, Leçons II L’Empire de la Vérité : Introduction aux espaces dogmatiques industriels, Paris, Fayard, 1983, p. 203 QU’EST-CE QUI FAIT TENIR LE LIEN SOCIAL ? Les institutions tiendraient donc par des artifices symboliques, des mises en scènes plus uploads/Politique/ terminales-la-morale-et-la-politique 1 .pdf

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