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See discussions, stats, and author profiles for this publication at: https://www.researchgate.net/publication/271126616 Un héritage symbolique détourné ? La nouvelle revue française des années noires Article in Etudes Litteraires · September 2009 DOI: 10.7202/037901ar CITATIONS 0 READS 45 1 author: Some of the authors of this publication are also working on these related projects: Interco-SSH : International Cooperation in the SSH View project Gisèle Sapiro École des Hautes Études en Sciences Sociales 162 PUBLICATIONS 1,288 CITATIONS SEE PROFILE All content following this page was uploaded by Gisèle Sapiro on 24 March 2016. The user has requested enhancement of the downloaded file. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : info@erudit.org Article « Un héritage symbolique détourné ? La nouvelle revue française des années noires » Gisèle Sapiro Études littéraires, vol. 40, n° 1, 2009, p. 97-117. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/037901ar DOI: 10.7202/037901ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Document téléchargé le 4 January 2016 01:52 y y y y y y y y y y y y y L ieu de la littérature « pure » et de l’indépendance de l’esprit avant la guerre, La NRF fut la seule revue autorisée à reparaître en zone occupée pendant la Seconde Guerre mondiale. Comment expliquer ce paradoxe ? Certes, elle avait été un des lieux de promotion du dialogue franco-allemand dans les années 1920, mais à partir de 1933, nombre de ses collaborateurs les plus réguliers s’étaient engagés dans l’antifascisme. Cette position de monopole qui semble ratifier l’extraordinaire concentration de capital symbolique réalisée par la revue avant la guerre conduit, deuxième paradoxe, à la dissolu- tion de ce capital. Comme si le seul fait de cette grâce accordée par un pouvoir autoritaire dans une situation de perte d’autonomie du champ littéraire lui faisait perdre le crédit accumulé comme emblème de cette autonomie, en dépit des prétentions – un peu trop réitérées pour être crédibles — de ceux qui ont accepté de participer à l’entreprise à se placer « au-dessus » des circonstances. Mais cette perte de crédit n’a rien de mécanique. La situation de crise entraîne une rupture de la représentation ordinaire du monde et des habitudes, qui nécessite un réajustement des schèmes de perception qui orientent les logiques d’action. Elle change la signification même des pratiques professionnelles : publier ou ne pas publier devient un enjeu politique. Or, les réajustements et leur tempo- ralité varient fortement selon les dispositions sociales des agents et leur position dans le champ littéraire2. Du fait de la position symboliquement dominante qu’occupait la revue avant la guerre, la question de la collaboration à La NRF va concentrer pendant plusieurs mois les enjeux de la recomposition du champ littéraire dans les nouvelles conditions de Un héritage symbolique détourné ? La nouvelle revue française des années noires1 Gisèle Sapiro 1 Cet article reprend, sous une forme synthétique et remaniée, les analyses développées dans mon livre La guerre des écrivains, 1940-1953, 1999, notamment au chapitre 6. On s’y reportera pour nombre de citations et de références à l’appui de l’argumentation, qu’il n’était pas possible de toutes mentionner ici faute de place. Les principales sources, outre le dépouillement de la revue et l’analyse prosopographique, sont mentionnées dans la liste des références. 2 Sur le concept de champ, voir Pierre Bourdieu, Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, 1992. 98 • Études littéraires – Volume 40 No 1 – Hiver 2009 production hétéronomes et, après des hésitations et des revirements qui circonscrivent le nouvel espace des possibles, contribuer à la cristallisation des choix. C’est dans ce dilemme que se joue aussi le sort de la nouvelle formule. La reparution de La NRF divise l’équipe de la revue entre ceux qui se proclament, tantôt au nom de « l’art pour l’art », tantôt au nom du maintien de « l’esprit français », favorables à la poursuite de l’activité littéraire sous la botte, et les partisans de l’abstention, les écrivains du « refus », qui y voient la légitimation de la situation d’occupation. Mais ces principes de division, qui traversent tout le champ littéraire à la faveur de la politisation des enjeux, sont réfractés par les enjeux internes et les logiques propres à la revue. Continuité ou rupture ? « Il est un moment où la littérature elle-même exige le silence et le combat », écrivait Jean-Paul Sartre dans un article intitulé « La littérature, cette liberté ! », publié en avril 1944 dans Les lettres françaises clandestines, organe du Comité national des écrivains. Cette phrase fait directement écho à l’éditorial que Jean Paulhan a rédigé sous le titre « L’espoir et le silence » en mai 1940, au moment où la défaite militaire de la France paraît inéluctable. Il y annonçait l’interruption de la revue. On prête à l’ambassadeur allemand Otto Abetz, à son arrivée à Paris pendant l’été 1940, ce mot démarqué d’une phrase de Paul Bourget : « Je ne connais en France que trois puissances : la banque, les communistes et La NRF3 ». Bon connaisseur de la culture française, ami de Pierre Drieu La Rochelle, il l’autorise dès le mois d’août à faire reparaître la revue à Paris. C’est la solution que choisit Gaston Gallimard, contre l’avis de Paulhan qui suggérait de la faire reparaître en zone libre. Le 1er octobre, Jean Giono avait informé André Gide d’une lettre de Drieu La Rochelle lui annonçant, à sa grande surprise, que La NRF reparaîtrait sous sa direction, avec un comité de rédaction composé d’Éluard, Céline, Gide et Giono4. Lors de sa visite chez Gide, Gaston Gallimard lui soumet le projet d’un comité de rédaction composé de Drieu, Éluard, Giono, Malraux, Saint-Exupéry. Mais Gide se récuse, et le projet est abandonné, sans doute faute de volontaires, puisque La NRF reparaît le 1er décembre 1940 sans comité de rédaction. La reparution de la revue participe en fait des conditions de réouverture de la maison d’édition, mise sous scellés le 9 novembre sur un ordre de la Propaganda-Staffel émis le 9 octobre5. Gallimard, ayant refusé une prise de participation allemande, obtient la reprise d’activité fin novembre, sous la condition de « réserver pour une durée de 5 ans à M. Drieu La Rochelle [...] des pouvoirs étendus pour la totalité de l’exécution de la production spirituelle et politique de [la] maison6 ». 3 ���������������������� Citation extraite des Cahiers de Libération, no 1, septembre 1943, reproduite dans Anne Simonin, « Les Éditions de Minuit : littérature et politique dans la France des années sombres », 1994, p. 63. 4 ������������������������ Maria van Rysselberghe, Les cahiers de la Petite Dame 1937-1945, 1976, p. 197. 5 Il s’agissait d’une bavure, selon Pascal Fouché, L’édition française sous 1’Occupation 1940- 1944, vol. I, 1987, p. 70-71. 6 Lettre de la Propaganda-Staffel (signée par Kaiser) à Gaston Gallimard, le 28 novembre 1940, faisant état de l’accord passé avec le conseiller Rahn de l’Ambassade, reproduite d’après une copie de la traduction figurant au dossier de la Commission interprofessionnelle, dans ibid., p. 73. Un héritage symbolique détourné ? La NRF des années noires… de Gisèle Sapiro • 99 Cette prise de pouvoir à la faveur des conditions de production hétéronome plaide pour la thèse de l’usurpation, vers laquelle penche la réaction première des écrivains informés du projet, et que contribue à accréditer l’éviction de son ancien directeur, qui a refusé d’en prendre la codirection tant que les écrivains juifs et les antinazis ne seraient pas autorisés à y publier. On cite en exemple Paris-Soir, contrefaçon du quotidien réfugié en zone sud que les Allemands lancent en zone occupée. Cependant, à la différence de Paris-Soir, La NRF de Drieu est tout à fait « authentique ». Les négociations ont été engagées avec la bénédiction de Gaston Gallimard, Drieu n’est pas un prétendant illégitime à la direction de la revue, et si imposture il y a, c’est une imposture bien fondée puisqu’elle recueille l’assentiment de toute une fraction de l’ancienne équipe de la revue. Qui plus est, c’est un pur produit « maison », où aucun texte n’est imposé par les pouvoirs, où les règles du jeu sont en apparence respectées — les textes sont publiés avec l’accord de leurs auteurs —, et qui s’offre en outre le luxe, sans équivalent à l’époque, de jouir d’une grande liberté sous la condition de ne pas dire de mal des Allemands, la censure n’intervenant que très incidemment, selon la promesse faite à Drieu par Abetz. Drieu s’autorise du reste de cet argument pour convaincre les écrivains qu’il pressent. Drieu La Rochelle peut uploads/Politique/ un-heritage-symbolique-detourne-la-nouvelle-revue.pdf

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